L'Eglise du dialogue, et l'Eglise des martyrs

ou la Cour des Gentils, et le Colisée. Mgr Luigi Negri exprime ses doutes par rapport à une certaine conception du dialogue avec les non-croyants. (30/7/2012)

Je n'oublie pas que cette Cour des Gentils est une belle initiative du Saint-Père. A condition, toutefois qu'elle ne soit pas détournée de son but.

 

Cortili dei Gentili e Colossei
(Texte en italien: Totus Tuuus. Ma traduction)

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Il y a une icône qui semble exprimer de manière significative les intentions d'une bonne partie des gens d'Eglise. C'est l'icône de la Cour des Gentils . Des initiatives de ce genre abondent dans l'Eglise italienne: depuis les cathédrales jusqu'aux institutions culturelles et ecclésiales les plus diverses.

On cherche la rencontre et le dialogue avec les non-croyants; mais le dialogue semble souvent faussé par des difficultés de méthode et de contenu. Cela vaudrait peut-être la peine de relire les pages lumineuses de la Summa Contra Gentiles (ndt: La Somme contre les gentils ou Livre sur la vérité de la foi catholique contre les erreurs des infidèles est un traité théologique et philosophique de Thomas d'Aquin, écrit entre 1258 et 1265, wikipedia). Le dialogue, recherché comme une fin en soi, se préoccupe toujours de se rassembler autour de certaines vérités qui seraient communes aux fidèles et aux non-croyants.
Je me pose la question: cette volonté de dialogue et de confrontation avec ceux qui, par choix, appartiennent à des horizons culturels différents de ceux de la foi naît-elle d'une volonté d'évangélisation, et se conclut-elle par une demande explicite de conversion au mystère du Christ et l'Eglise, oui ou non?

Cela ne me semble pas toujours clair.
La Cour des Gentils a été emblématisée d'une manière inégalée par l'intervention de saint Paul à l'Aréopage d'Athènes (cf. Act 17).
Il est entièrement évident que saint Paul veut prêcher au monde païen la nouveauté absolue de l'événement du Christ: «Ce que vous adorez sans le connaître, je vous l'apporte». Cette annonce explicite du Christ consent à Saint-Paul de pénétrer profondément dans la culture grecque, consistant en une demande religieuse incessante et par conséquent la conscience de la présence d'un mystère qui transcende la vie et l'histoire. A cette question profonde et radicale qui anime la culture grecque et la civilisationgréco-romain, seule la présence du Christ est la réponse définitive, dans le caractère concret et l'historicité de sa résurrection.
C'est pourquoi le discours se termine par une requête explicite de conversion, qui est la raison de l'insuccès de la prédication Pauline à Athènes.
Dialoguer ne signifie pas chercher à s'identifier le plus possible avec la culture de l'interlocuteur, laissant implicite l'événement du Christ et le devoir pour nous de l'annoncer, en toute circonstance.
Paul n'a conclu sa prédication, en disant: «Chers amis d'Athènes, nous sommes d'accord sur le sens religieux », il a en revanche affirmé de manière explicite que seul le Christ rachète, et accomplit le sens religieux de l'homme.

En même temps que cette cour des Gentils fleurit toute une littérature (1): des livres écrits à quatre mains par des ecclésiastiques et des non-croyants, qui, souvent, revisitent les questions fondamentales du dogme catholique ou les moments clés dans l'histoire de l'Eglise. Une éminence (ndt: un cardinal) m'a confié récemment: "à la fin de la lecture de ces ouvrages, on comprend que l'ecclésiastique a été très loin dans la tentative d'assumer la position laïque, mais le laïc n'a pas bougé d'un pouce à partir de sa position de départ".
Le peuple chrétien nous demande d'être éduqué dans la certitude critique de la foi et dans le désir d'un témoignage fort et clair face au monde, véhicule pour cette nouvelle évangélisation que le bienheureux Jean-Paul II a confiée à l'Église du troisième millénaire comme une tâche incontournable.
Dialogue oui, rencontre, oui, valorisation réciproque, oui, mais comme expression de cette identité chrétienne forte, parce que rendue consciente dans un authentique chemin éducatif qui ouvre les esprits et les cœurs au mystère du Christ et qui en même temps [se] met sur la route de l'homme, de chaque homme, avec une grande capacité de s'identifier avec la structure fondamentale de sa vie et de sa culture. Si tout ce travail de rencontre et de dialogue avec les non-croyants rend de moins en moins claire l'identité de l'Église et sa mission, on peut se demander si toutes ces tentatives sont objectivement utiles.

C'est pourquoi je ne voudrais pas qu'on oublie une autre grande icône, expression de la vie de l'Eglise d'aujourd'hui. Une revue prestigieuse et intelligente (ndt: Studi Cattolici) offre depuis plus de quarante ans une rubrique "I Colossei del XX- ed ora XXI - secolo" (ndt: "les Colisées du XXe - et aujourd'hui XXIe - siècle" - allusion au Colisée comme lieu du martyr des chrétiens). Tout au long du XXe siècle et de cette décennie du XXIe siècle, des milliers de chrétiens ont été et sont martyrisés pour leur fidélité au Christ et à l'Eglise. Le martyre est la grande richesse de l'Eglise à chaque génération, car il nous rappelle à tous que le témoignage chrétien contredit le monde et ses règles, ne peut pas accepter d'adorer les idoles de l'époque, parce que seul le Christ est le Seigneur de la vie et Mort.

Je le pense souvent, quand je revisite avec émotion et gratitude le splendide témoignage du séminariste Rolando Rivi, (ndt: séminariste exécuté en 1945, à 14 ans, par des partisans communistes italiens) massacré en haine du Christ et de l'Eglise dans l'un des moments les plus tragiques de notre histoire nationale.
Il faut bien tenir présents à l'esprit les deux icônes: l'Eglise du dialogue ne peut pas oublier l'Eglise du martyre, et l'Eglise du martyre est la source positive et adéquate de toute tentative de dialogue et de confrontation.

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(1) Des exemples en France:
¤ À table avec Moïse, Jésus et Mahomet, Abbé de la Morandais, co-écrit avec Jacques Le Divellec, Solar, 2007
¤ Le rabbin et le cardinal, Gilles Bernheim, Philippe Barbarin, ed. Stock (2008), prix Spiritualités d'Aujourd'hui 2008