L'enquête de Joseph Ratzinger sur Jésus Enfant

Une ample anticipation du journal "Libero"... illustrée par des tableaux du peintre espagnol Aristides Artal (17/11/2012)

Voir ici: Compte à rebours pour l'Enfance de Jésus

Merci à Teresa, qui avait traduit le texte en anglais.

Les illustrations sont issues du site d'Aristides Artal, en principe bien connu de mes lecteurs.

L'enquête de Joseph Ratzinger sur l'enfance de Jésus
par Martino Cervo
Libero
12 novembre 2012
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L'auto-identification avec laquelle Joseph Ratzinger (qui persiste à se présenter avec sa signature «laïque») pénètre dans les mystères de l'Evangile rappelle le caractère charnel du Caravage dans ses peintures de sujets évangéliques.
Comme lorsque, dans le chapitre 2 de son troisième livre sur la vie de Jésus, il décrit la stupéfaction de Joseph devant la grossesse de Marie, sa fiancée, «bien qu'elle n'ait jamais connu d'homme».
Selon des sources qui ont ont eu accès au manuscrit de «L'Enfance de Jésus», le pape théologien relit l'Annonciation, en notant combien Joseph, homme juste, aime Marie, malgré le coup de sa grande déception - qu'il a d'abord perçue, pas à tort, comme une trahison: Marie était enceinte, mais pas de lui.
Néanmoins, Joseph n'incarne pas un légalisme extériorisé, pharisaïque: il cherche plutôt l'unité entre l'amour et la loi. Cela semble être l'un des passages les plus surprenants du nouveau livre du Pape - une sorte de préquelle (traduction hasardeuse du néologisme anglais prequel, créé par analogie avec séquelle, et qui est aussi désigné par le mot antépisode) aux deux premiers volumes sur le Nazaréen que Joseph Ratzinger a voulu associer à sa prédication sur la Chaire de Pierre: il s'était auparavant concentré sur deux phases de la prédication et du ministère public de Jésus: «Du baptême dans le Jourdain à la Transfiguration», dans le premier tome (2007), et «De l'entrée à Jérusalem à la Résurrection», dans lsecond (2011). Il exprimait l'espoir que Dieu lui laisse le temps de compléter son enquête sur Jésus, «récupérant» les premières années de sa vie. Comme le montre ce troisième volume, la Providence lui a donné le temps dont il avait besoin.

Selon les informations dont nous ("Libero") disposons, le texte a des dimensions légèrement plus réduites que les deux premiers volumes - il a quatre chapitres et un épilogue qui passe en revue les textes de Matthieu et de Luc, depuis l'Annonciation jusqu'à l'épisode célèbre de Jésus dans le temple, discutant Écritures avec les prêtres. Une fois de plus, on est frappé par l'humilité du Pape, qui offre son «petit livre» comme s'il était juste un autre exégète biblique qui est ouvert au dialogue [et même à la contestation] de ses pairs.

Le Pape a deux préoccupations: d'une part, la contextualisation historique impitoyable et incessante de l'Annonce; d'autre part, la considération naturelle qu'une approche de l'Évangile n'est pas crédible si elle ne tient pas compte des questions telles que: Ce qui est écrit est-il vrai? Est-ce que cela nous concerne personnellement, aujourd'hui? Si oui, comment?
S'accrochant à la rationalité dans laquelle s'ancre la foi chrétienne, Benoît XVI plonge aux origines de la revendication de Jésus d'être le Fils de Dieu. En effet, dans le chapitre 1, il ne part pas de l'Annonciation, mais de la question de Pilate à Jésus: «d'où viens-tu?».
La question de Pilate n'était pas une curiosité d'état civil. Le problème des problèmes est celui de la nature d'un homme qui, dans l'histoire, a osé s'attribuer des prérogatives divines: remettre les péchés. De cet homme, au fond, on sait beaucoup de choses relativement à ses contemporains, mais cette prétention est un mystère insurmontable.
Joseph Ratzinger combine l'attitude de l'érudit qui s'aventure dans des références fascinantes à l'Ancien Testament, avec la passion de l'amoureux qui affine le regard cognitif sur Jésus. Dans les pages du Pape, la vérité de l'histoire et la vérité de la foi se mêlent, le défaut de la première rendrait vaine la seconde, mais sans la seconde, le reste serait réduit à un souvenir réconfortant, alors que - note le Pape, en utilisant de façon surprenante un mot anglais - la «rédemption n'est pas wellness (bien-être)».

Dans le deuxième chapitre, celui qui se penche sur l'Annonciation, l'approche de Ratzinger n'est pas sans rappeler Vittorio Messori dans son «Hypothèse sur Jésus». Il s'agit d'une véritable enquête, qui aborde la question des sources utilisées par les évangélistes, de la datation historique des événements, de leurs références historiques et géographiques, soulignant sans cesse l'impossibilité de renoncer à l'historicité du Nouveau Testament, par une expérience d'appartenance à la foi dont il est le Chef.
C'est même le dualisme qui doit être rejeté dès le début: Jésus est un nouveau commencement, fermement établi dans la tradition juive - incompréhensible sans elle, mais totalement autre. C'est précisément la figure de Marie qui incarne le nouveau commencement de l'histoire humaine: la plus grande révolution dans l'histoire humaine se produit dans le cœur d'une jeune fille humble d'une famille pauvre de juifs pratiquants.

Pour Joseph Ratzinger, la Sainte Vierge est le germe de cette nouveauté: à commencer par le salut de l'ange (la formule hébraïque «shalom», paix, est remplacée par le mot grec «chaîre» que le Pontife traduit par «Réjouis-toi!» ), ce dialogue ouvre le salut à l'humanité toute entiere, dans le langage du logos. Non plus au peuple élu, mais à toute la communauté, au monde.
Mais quel est le contenu de l'Annonciation? Ici, Benoît XVI introduit une catégorie nouvelle - celle de l'événement: le Dieu qui sauve par sa présence, et même l'antique parole de l'Ancien Testament, assument une nouvelle vie pour nous raconter l'histoire du salut qui accompagne désormais l'homme.
Le tournant dans la relation entre le divin et l'humain est le sein d'une femme, son «oui» libre: l'obéissance de Marie est humble et magnanime et dans le même temps se fait la plus grande de toutes les décisions de l'homme sur son protre destin.

Ceux qui ont lu ces pages parlent d'une écriture ardente du pape, Presque un hymne émouvant à celle que Dante appelait «Fille de ton Fils». Et Joseph est le premier témoin de ce monumental «plier» devant Dieu, du «Oui» de cette adolescente.
Et l'humainement incroyable le trouve prêt, le trouve père de la plus inattendue des manières.

Le Pape insiste alors sur un point particulièrement délicat: la superposition entre l'issue messianique de l'intervention salvifique et la rédemption personnelle de l'homme. D'emblée, la portée de la promesse de Jésus transcende le contenu purement «politique», devenant à la fois moins utile socialement, et pourtant infiniment plus radicale.
L'enjeu n'est pas la libération d'Israël dans un contexte historique, mais la rédemption de l'homme dans tous les temps et tous les lieux. Ceci est dramatique pour la mentalité juive: la mission du Messie, écrit Ratzinger, ne correspond pas à l'attente immédiate du salut messianique. A travers un rappel long et complexe de l'histoire d'Israël, Benoît XVI explique comment la promesse faite à Isaïe (qu'il date précisément à 733 avant JC), déconcerta le peuple qui l'avait entendue, avant de devenir des siècles plus tard chair et sang réels dans le sein de Marie.
Et cela, qui était déjà un scandale dans la mentalité juive, devient tout simplement «inacceptable» pour ce que Ratzinger appelle «l'esprit moderne». Il se réfère ici à un concept cher à son pontificat: le fait que le pouvoir concède à Dieu d'agir sur des idées et les pensées, mais pas sur la «matière». C'est quelque chose, dit le Pape, qui dérange.

Et c'est au contraire ce qui arrive: le chapitre 3 est un récit captivant du fait chrétien, dont Ratzinger revendique les coordonnées historiques, chronologiques et même géographiques.
Il affronte la question du rapport entre la liberté et la grâce qui, dit-il, se compénètrent réciproquement. Et, écrit-il sur un ton prophétique, cela indique la grande mission de l'Eglise qu'il dirige: l'homme est appelé à prendre part à l'amour du Christ, mais non pas comme quelqu'un privé de volonté. La tâche du croyant est de s'assurer que cette gloire [du Christ] ne soit ni souillée, ni déformés par le monde.

Le chapitre 4 commence par les Mages, symboles de la raison et de la connaissance, en adoration devant le Dieu Enfant, et se termine par une grande relecture de l'épisode de Jésus au Temple (où les parents inquiets, retrouvent le garçon de douze ans, discutant des Écritures avec les docteurs de la loi), aperçu de la Passion qui accomplira sa mission. La liberté de Jésus, écrit Ratzinger, «n'est pas celle du libéral». Parce que Lui, qui a pensé et a appris comme un homme parmi les hommes, répond à un Autre qui a déterminé sa vie.
Et, conclut le Pape, celui qui se fait proche de Lui se trouve impliqué dans le mystère de sa Passion.
Le christianisme, au fond, c'est cela.