Les héritiers de Martini

et les oppositions romaines à Benoît XVI. Un très intéressant article de Paolo Rodari, et quelques réflexions en marge. (9/9/2012)

>>> Mort du card. Martini

Il y aurait sans doute beaucoup, beaucoup de choses à dire encore sur la disparition du cardinal Martini, et surtout la façon dont elle a été perçue (et pas seulement par les medias).
Dans le milieu des médias au sens large, (incluant les blogues de ce qu'il est convenu d'appeler la cathosphère), en France, il n'y a presque pas eu de réaction en dehors des dépêches de l'AFP, litanie de lieux communs reprises par tous les journaux, et de celles de la presse "catholique" officielle (La Croix), et "chrétienne" (La Vie).
Par exemple, La Vie voit dans l'interviewe posthume du Cardinal "Un appel d'une formidable profondeur spirituelle et pastorale qui a touché un large public, au sein de l'Eglise catholique et au-delà, parce qu'il propose un retour aux sources et aux fondamentaux, et aussi parce qu'il s'adresse, non pas seulement à l'Eglise institution mais à chacun d'entre nous". (Henrik Lindell , 7/9/2012, www.lavie.fr/..chretiens-en-debats)

Sinon, presque rien, ce qui laisse supposer que la génération née après le Concile connaît à peine Martini, ne s'intéresse pas à lui, que ses idées sont dépassées, et qu'elles seront bientôt tout juste bonnes à figurer sur une étagère poussièreuse du musée de l'Eglise (1).
Est-ce si sûr que cela?

Paolo Rodari consacre un très bon article aux héritiers de Martini.
On y croise en particulier (tiens donc... comme le monde est petit!) un certain cardinal Achille Silvestrini, né en 1923, ex-chef de file de l'aile libérale du collège cardinalice, qui fut Préfet de la Congrégation pour les Église orientales, et en qui dans son livre Les oppositions romaines au pape (Paris, Éditions de l'Homme nouveau, coll. « Hora decima », 2008, 63 p) (cf. benoit-et-moi.fr/2009-I) , l'Abbé Claude Barthe pensait voir le mystérieux "mon cardinal" interviewé par Olivier Legendre dans deux livres-brûlots dont il a été largement question ici (dossier ici: benoit-et-moi.fr/2007).

 

Un lourd héritage. Voici qui sont et ce que font les orphelins du cardinal Martini
8 septembre 2012
Paolo Rodari, Il Foglio
www.paolorodari.com
-----------------------
Qui va reprendre l'héritage du cardinal Carlo Maria Martini? Vers qui se tourneront-ils, en Italie, ces catholiques démocrates qui avaient dans le bibliste et exégète piémontais prêté au diocèse de Milan un vrai père adoptif?

Et au-delà de l'Italie, dans l'Europe des Églises de plus en plus éloignées du centralisme romain, en premier lieu celles de langue allemande, que feront-ils? Y a-t-il un nouveau Martini? Et surtout: y a-t-il, au sein du Collège des Cardinaux, une équipe qui souhaite continuer à porter ses idées?

En 2005, ils sont sortis à découvert de façon spectaculaire. Sur le numéro 49 de "Villa Nazareth" (http://www.villanazareth.org/ ), le bulletin de l'institution pour étudiants universitaires fondée à Rome dans les années quarante par le diplomate du Vatican et futur cardinal Domenico Tardini (et refondu en 1983, par un autre diplomate par la suite Cardinal, Achille Silvestrini), apparaissait bien en évidence une photo de groupe. Au premier rang, quelques étudiants séjournant dans la Villa. Dans la deuxième rangée, plusieurs cardinaux. En plus du "maître de maison", Silvestrini, le cardinal Cormac Murphy-O'Connor, Godfried Danneels, Martini, Karl Lehmann, Walter Kasper, J. Audrys Backis, Jean-Louis Tauran. Ils se retrouvaient quelques jours avant le conclave pour discuter, certains disent même trouver une alternative à la candidature de Joseph Ratzinger. L'histoire a été ensuite ce que chacun sait, mais aujourd'hui, une question demeure: ce groupe existe-t-il encore? Et aujourd'hui que Martini n'est plus, vers qui se tournent ses adhérents?

Répondre à cette question signifie cartographier les différentes âmes de l'épiscopat mondial et sonder l'avenir. Ce qui est certain, c'est que les orphelins de Martini sont nombreux. Il y a le peuple qui a rempli, non sans surprendre le Vatican, la cathédrale de Milan, le jour de ses funérailles (ndt: mais il y avait peu de jeunes!!). Et puis il y a les membres de la hiérarchie proche de l'idée d'Eglise horizontale du cardinal piémontais: plus de collégialité dans l'exercice de gouvernement de l'Église, plus de pouvoir pour les Églises locales et les fidèles laïcs, moins d'ancrage aux dogmes de toujours au nom d'ouvertures sont nous savons que d'une certaine façon, elles vont au devant du temps présent. Mais un nom, ou des noms, existent-ils?

Stefano Ceccanti, sénateur du PD (Parti Démocrate, gauche italienne) et chercheur en théologie (!!), dit qu'«en Italie, il n'y a pas un nom unique. Tout comme il n'y a pas de successeur unique de celui qui était d'une certaine façon son alter ego, Camillo Ruini. Il en manque un qui sache incarner tout ce qu'était Martini. Il y a Giuseppe Betori, archevêque de Florence, qui est un spécialiste de la Bible comme lui, et qui sait faire de la Parole le même usage précieux que lui, mais sa ligne est moins tounée vers l'ouverture. Il y a Bruno Forte, Archevêque de Chieti-Vasto, qui parvient comme Martini à toucher la corde sensible d'un certain public. Et puis il y a l'archevêque Vincenzo Paglia, ancien père spirituel de Sant'Egidio, aujourd'hui président du Conseil Pontifical pour la famille, et qui sur le social et la primauté du social dans la vie ecclésiale suit Martini. Mais un seul nom, non».

Fidèles à Martini, il y a les jésuites américains de la revue America, en particulier l'ancien directeur Thomas Reese que le Vatican a contraint à démissionner à cause de ses positions trop libérales sur le mariage gay. Fidèles oui, et pour cela, sur des positions souvent de désaccord avec Rome.

Ainsi, récemment, quand dans le différend entre la Doctrine de la Foi et les religieuses américaines soumises à une inspection car trop libérales, eux, les jésuites ont déclaré être avec les sœurs, donc contre Rome. Mais en plus de Reese, il y a plusieurs cardinaux. En premier, Godfried Danneels, l'ancien primat de Belgique, accusé d'avoir couvert la pédophilie. Karl Lehmann, l'élève de Karl Rahner qui a dirigé une conférence épiscopale parmi les plus anti-romaines en Europe. Et puis aussi l'émérite de Westminster Cormac Murphy-O'Connor qui, en 2009 était à deux doigts d'entrer, seul catholique parmi beaucoup d'évêques anglicans, à la Chambre des Lords.

Et aujourd'hui? Un cardinal proche des idées de Martini est l'archevêque de Boston, le Capucin Patrick Sean O'Malley. C'est lui qui - avec le primat de Vienne Christoph Schönborn - «l'un des pasteurs les plus lucides pour faire face aux crimes de pédophilie», a déclaré l'historien Alberto Melloni - a été le premierà prendre le tournant pénitentiel sur la pédophilie.
Un clergé libéré des maux de carriérisme, de l'ambition, de la corruption des mœurs jusqu'à abuser des enfants, est la porte par laquelle un certain catholicisme progressiste a décidé aujourd'hui de passer. Mais en cela, ils ont été précédé par Ratzinger, premier architecte «de droite» de la lutte contre les scandales.
Signe qu'aujourd'hui l'Église de Martini peine à trouver un leader et de nouvelles batailles à mener.

* * *

(1) Carlota m'écrit:

Même si beaucoup s'accrochent aux idées du cardinal Martini, il représente vraiment un passé. Les jeunes catholiques de conviction ont compris que la vie n'est pas dans les accommodement sociétaux mais dans la fidèlité ferme aux points non négociables et la réappropriation du catéchisme, des principes essentiels de la foi, la messe où l'on approche du mystère divin et pas où l'on fait le godspell, etc. On ne discute plus dans les salons à qui trouvera la bonne idée nouvelle, on reprend les fondamentaux et on avance.