L'Esprit du Concile

(reprise) C'est le moment de relire LE texte du Père Scalese (6/8/2012)

Ce texte est le premier d'un blog intitulé "Senza peli sulla lingua" (expression qui se traduit mot à mot par "sans poil sur la langue"!), né en janvier 2009 - juste au moment où explosait littéralement l'affaire Williamson, que l'on a depuis lors imputée à un défaut de communication du Vatican - et dont j'ai été d'emblée fan inconditionnelle! Et le second du Père Scalese que j'aie traduit en français.
Le blog du Père Scalese devait vivre pendant un peu plus de deux ans une "belle aventure" - que j'ai accompagnée à travers de nombreuses traductions - malheureusement interrompue en 2011, mais dont de nombreux articles gardent une grande actualité.
Il faut savoir qu'au moment où j'ai traduit le texte, je venais tout juste de découvrir, par hasard, son auteur, un barnabite italien, et que le Concile, son "esprit" et sa "lettre" ne faisaient pas précisément partie de mon bagage culturel, encore moins religieux. A la fin de mon travail de traduction, il me semblait avoir très bien saisi ce qui était en jeu.

A la veille du cinquantième anniversaire de l'ouverture du Concile, auquel le Saint-Père veut donner un relief particulier, tout le monde raconte tout et n'importe quoi sur Vatican II, et l'on a encore vérifié récemment que certains de ses décrets, notamment Nostra Aetate sur les relations avec les religions non chrétiennes, ont été le caillou sur le chemin de la réintégration des lefebvristes.
Lire, ou relire cet exposé limpide est donc un exercice salutaire de réinformation (1).

Il est complété par un autre texte (celui-là était ma première traduction) assez féroce mais bien envoyé, intitulé "Délire d'un octogénaire".
Le Père Scalese dénonçait les effets dévastateurs de ce fameux esprit du Concile, dans sa version la plus caricaturale - Hans Küng venait en effet, une fois de plus, d'accorder une interviewe à la presse mondiale, immédiatement et pieusement reprise en France par Le Monde (ici), où il ressassait pour la millionième fois son dépit et sa hargne de voir Benoît XVI assis sur le trône de Pierre.
Le Père Scalese concluait, non sans humour:

Que devrait faire Benoît XVI ? [selon K] « Avant tout il faudrait qu'il reconnaisse que l'Église catholique traverse une crise profonde ». Comme s'il ne l'avait pas déjà fait. Il pourrait au besoin se demander: à qui la faute, de cette crise ? Mais écoutez ce qui suit, parce qu'à la fin de l'interview, il sort ce qui était et continue à être dans le coeur de certains théologiens conciliaire : l'admission des divorcés à la communion, la correction d'Humanæ vitæ (pour dire qu'« en certains cas la pilule est possible »), l'abolition du celibat des prêtres, un nouveau mode d'élection des évêques. Qui sait pourquoi il a oublié le sacerdoce femmes !
Voilà les grandes préoccupations des experts conciliaires ; voilà les vraies raisons pour lesquelles a été fait Vatican II ! Et nous qui pensions que l'Église avait besoin d'un renouvellement spirituel !
Vu que Küng & C. n'ont pas réussi à atteindre leurs objectifs avec Vatican II, ils continuent à espérer en un Vatican III. Mais ils ne se rendent pas compte (eux qui vivent dans leur monde virtuel) que, si vraiment on faisait un nouveau concilie aujourd'hui, ils auraient probablement de mauvaises surprises…

L'Esprit du Concile

Texte en entier: benoit-et-moi.fr/2009-I/

Je reproduis ici la dernière partie, celle précisément consacrée à "l'esprit du Concile", après: 1. L'opportunité; 2. La valeur; 3. L'interprétation.

Lorsqu'on interprète un texte, un des critères herméneutiques fondamentaux est d'établir l'intention de l'auteur ; si le texte est juridique, on recherche la mens du législateur (cf can. 17 CJC). Dans ce cas, les progressistes (parmi eux, in primis, ceux que l'on nomme l'« École de Bologne »), n'ont-ils pas raison de se référer à l'« esprit du Concile », qui se situerait au-delà de la lettre de ses documents et dont eux mêmes seraient les dépositaires ? Pour être franc, j'en suis arrivé à la conclusion que les « dossettiens » (appelons-les ainsi par commodité, sans pour autant exprimer un quelconque jugement sur Don Giuseppe Dossetti) [A propos de don Dossetti, la seule référence en français que j'ai trouvée est Sandro Magister, sur son site chiesa] n'ont pas tous les torts d'en appeler à l'« esprit de Concile ». Je veux dire : cet « esprit » n'est pas né de leur imagination; c'était vraiment l'esprit d'une bonne partie des pères conciliaires ; je ne saurais dire si c'était celui de la majorité ou seulement d'une minorité aguerrie (aujourd'hui nous dirions : un puissant lobby). À lire les chroniques de Concile, il y a de quoi rester pantois (voir sur le sitebUna vox, le compte rendu « Le Concile jour après jour » ). Je me souviens que Mgr Ettore Cunial nous confia un jour ne jamais avoir entendu de sa vie autant d'hérésies que pendant le Concile : s'il n'y avait pas eu l'assistance de l'Esprit Saint et si ces positions avaient prévalu, on aurait détruit l'Église en peu de jours.
Mais justement, il y avait l'Esprit Saint (Dieu sait écrire droit sur des lignes courbes) et, ajoutons-nous, il y avait aussi le bon Paul VI, qui tint la situation en main et sut mener le Concile à sa conclusion.
Même en considérant les choses d'un point de vue purement humain, les discussions parmi les différents groupes présents au Concile conduisirent à des compromis honorables, qui trouvèrent leur expression dans les documents conciliaires, équilibrés et fondamentalement partagés par tous (même Mgr Lefebvre signa tous les documents, y compris Dignitatis humanæ).
Mais précisément parce qu’il y avait les fruits de compromis humains, les dossettiani ont continué à en appeler à l'« esprit de Concile » (c'est-à-dire à l'esprit du lobby progressiste du Concile) comme à l'unique clé de lecture légitime du Concile. De leur point de vue, ils n'ont pas tous les torts : les documents conciliaires sont issus de compromis ; ils ne reflètent pas l'esprit de ceux qui avaient voulu le Concile et en auraient souhaité une issue bien différente. Le problème est : sommes-nous sûrs que cet « esprit » coïncide avec l'Esprit de Dieu ? Sommes-nous vraiment sûrs que l'Esprit Saint s'est exprimé à travers l'« esprit de Concile » et pas plutôt à travers la lettre des documents conciliaires, cette lettre, fruit de compromis humains ?
Le problème est d'autant plus grave, que cette mentalité (l'« esprit de Concile » identifié avec l'intentio auctoris ou mens du législateur) n'était pas répandue seulement dans les cercles progressistes de l'Église, mais influença dans une certaine mesure la réalisation même du Concile de la part des hiérarchies suprêmes.
Voici un exemple tiré de la réforme liturgique. Le Concile avait prévu la conservation de l'usage de la langue latine dans la liturgie en général (Sacrosanctum Concilium, n. 36), dans la célébration de la Messe (ibid., n. 54) et dans le texte de l'Office divin (ibid., n. 101). Eh bien, ce ne fut pas un quelconque prêtre rebelle qui transgressa cette règle, mais c'est le Souverain Pontife lui-même qui autorisa la traduction intégrale de la liturgie dans les langues vulgaires (avec comme conséquence, l'abandon inévitable de la langue latine). Pourquoi cela ? Parce que, bien que contre la lettre du Concile, cela semblait correspondre à sa mens.
Et c'est ce qui a ruiné l'Église. La faute de la crise de l'Église ne peut pas être attribuée au Concile en tant que tel, ou au moins aux documents qui en ont jailli, même pas au défaut d'application de la part de quelque irréductible contestataire, mais à la diffusion à tous les niveaux de ce qu'on croyait être le vrai « esprit du Concile », mais était en réalité, pour employer l'image de Paul VI, la « fumée de Satan » qui s'insinuait dans l'Église.
Il ne s'agit pas ici de criminaliser qui que ce soit, encore moins le pauvre Paul VI, qui fit tout pour s'opposer aux interprétations extrémistes du Concile. Mais tel était malheureusement le climat; tous en furent dans d'une certaine façon contaminés et, peut-être en toute bonne foi, ils furent amenés à se détacher de la lettre de Concile.
L'« esprit du Concile » a été comme un poison qui a pénétré l'Église dans toutes ses fibres. Si maintenant nous voulons assainir l'Église, nous ne devons pas annuler le Concile, mais le libérer du prétendu « esprit du Concile ». Quel est l'antidote ? Revenir à la lettre du Concile, dans laquelle s'exprime le vrai esprit du Concile, qui est aussi l'esprit de la tradition ininterrompue de l'Église.

Ceci peut même comporter, si nécessaire, des révisions de plusieurs réformes, là où celles-ci se sont détachées de la volonté explicite du Concile. On parle avec toujours plus d'insistance d'une « réforme de la réforme » liturgique.
Pourquoi pas ? La solution actuelle (la coexistence de deux formes du même rite) peut être acceptée seulement comme solution transitoire, mais ne peut certes pas être considérée comme la solution idéale et définitive. Cette interaction réciproque des deux usages liturgiques, prévue par le Saint Père dans la lettre d'accompagnement du Motu Proprio aux Évêques, devient de plus en plus nécessaire : « Les deux formes de l'usage du Rite Romain peuvent s'enrichir mutuellement : dans le Missel ancien pourront et devront être insérés de nouveaux saints et quelques nouvelles préfaces… Dans la célébration de la Messe selon le Missel de Paul VI , pourra se manifester, de manière plus forte que ce qui a eu cours jusqu'à présent, cette sacralité qui attire beaucoup de gens vers l'ancien usage ».

La lettre du 23 juin 2003 du Cardinal Ratzinger à Heinz-Lothar Barth se révèle encore plus explicite: « Je crois qu'à long terme l'Église romaine doit avoir de nouveau un seul rite romain. L'existence de deux rites officiels pour les évêques et pour les prêtres est difficile « à gérer » en pratique. Le rite romain du futur devrait être un seul, célébré en latin ou en vernaculaire, mais complètement dans la tradition du rite qui a été transmis. Il pourrait assumer quelques nouveautés qui se sont avérés valides, comme les nouvelles fêtes, quelques nouvelles préfaces dans la Messe, un lectionnaire étendu avec plus de choix qu'avant, mais pas trop,... ». Plus ou moins ce qu'avait prévu le Concile.

Par conséquent, pour autant qu'il soit légitime de discuter sur le Concile, nous devons admettre que, si on veut trouver un point d'équilibre entre les différentes "âmes" de l'Église, on ne le trouvera probablement que dans la lettre du Concile lui-même, fruit des efforts des pères conciliaires, de la sage médiation de Paul VI et, surtout, de l'assistance de l'Esprit Saint.

La lettre du Concile, c'est ce que le Saint-Père va essayer de faire redécouvrir aux catholiques durant cette année de la foi, en le désincrustant de ces couches parasites d'esprit du Concile dont les ennemis de l'Eglise se sont servis pour créer la division.

Note

(1) Pour être complet, ajoutons que dans son introduction, le 30 janvier 2009, le Père Scalese expliquait le parcours du texte, écrit en juin de l'année précédente, et ses motivations en le re-publiant. Ces dernières ont gardé toute leur actualité... et toute leur charge polémique, sur laquelle, pour des raisons évidentes, je ne peux pas insister.

Il y a quelques mois, précisément en juin 2008, j'avais ressenti le besoin d'écrire quelques réflexions sur le Concile Vatican II, et je les avais envoyées à une paire de sites web, d'habitude attentifs à ce type de problématique, dans l'espoir de les voir publiées. Mais dans un cas, je fus complètement ignoré. Dan le second, je reçus simplement un aimable accusé de réception. OK, pensai-je, peut-être que tes réflexions n'intéressent personne. Tu dois être prêt à accepter que le monde est plus grand que toi, et que ce que tu penses n'est pas si important.
Mais ces réflexions me sont revenues à l'esprit ces jours-ci, après la révocation de l'excommunication aux quatre évêques lefebvristes, avec toutes les polémiques que cette rémission, et surtout les déclarations négationistes de l'évêque Williamson ont comporté.
Permettez-moi donc de publier aujourd'hui ces réflexions. Si vous avez la patience de les lire, à la fin, vous comprendrez pourquoi...
http://querculanus.blogspot.fr/2009_01_01_archive.html