Liberté religieuse ou Liberté des chrétiens?

A l'heure où les persécutions envers les chrétiens, surtout en terre d'Islam, se font plus nombreuses (comme on l'a vu encore tout récemment au Nigeria et au Kénya, il est important de faire la distinction entre deux concepts distincts, que le langage politiquement correct a tendance à confondre. L'éditorial du Professeur Roberto de Mattei, spécialiste du Concile Vatican IIdans Corrispondenza Romana (21/7/2012)

>>> A propos des menaces et des persécutions des chrétiens dans le monde, voir sur le site de l'AED L’Observatoire sur les Eglises persécutées et menacées .

Éditorial: Liberté religieuse ou Liberté des chrétiens?
Roberto de Mattei
http://www.corrispondenzaromana.it/
Ma traduction.
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Parmi les slogans du langage «politiquement correct», il y a le terme de liberté religieuse, parfois improprement utilisé par les catholiques comme synonyme de liberté de l'Église ou de liberté des chrétiens. Il s'agit en réalité de termes et de concepts distincts, sur lesquels il convient de faire la clarté. L'ambiguïté, présente dans la Déclaration conciliaire Dignitatis humanae (ndt: déclaration sur la liberté religieuse, texte ici, 1965), découle d'une absence de distinction entre le for intérieur, qui est le domaine de la conscience personnelle, et le for extérieur, qui est la sphère publique, c'est-à-dire la profession et la propagation publique de ses propres convictions religieuses (1).

L'Eglise, avec le Pape Grégoire XVI, dans l'encyclique Mirari Vos (ndt: 1836, condamnation du libéralisme et de l’indifférentisme religieux), avec Pie IX dans le Syllabus (note d'accompagnement de l'encyclique Quanta Cura) et Quanta Cura (1864, condamnation des erreurs politico-religieuses du XIXe siècle) , mais aussi avec Léon XIII dans Immortale dei (1885, sur la constitution chrétienne des Etats) et Libertas (1888, sur la liberté humaine), enseigne que:

1) Dans le for intérieur, nul ne peut être contraint à croire, parce que la foi est un choix intime de la conscience de l'homme.

2) Dans le for extérieur, l'homme n'a pas droit à la liberté religieuse, c'est-à-dire à la liberté de professer et de diffuser une religion, parce que seule la vérité, et le bien et non pas le mal et l'erreur, ont des droits.

3) Le culte public de fausses religions peut éventuellement être toléré par les pouvoirs civils en vue d'un plus grand bien à obtenir ou d'un plus grand mal à éviter, cependant, par lui-même, il peut être réprimé par la force si nécessaire. Mais le droit à la tolérance est une contradiction, parce que, comme il ressort du terme lui-même, ce qui est toléré n'est jamais le bien, c'est toujours et uniquement le mal. Dans la vie sociale des nations, l'erreur peut être tolérée comme un fait, jamais admise comme un droit. L'erreur «n'a objectivement aucun droit, ni à l'existence, ni à la propagande, ni à d'action» (ndt: Pie XII, Discours aux juristes catholiques italiens , 1953).

En outre, le droit d'être libre de toute coercition, c'est-à-dire le fait que l'Eglise n'impose la foi catholique à personne, mais exige la liberté de l'acte de foi, ne naît pas d'un présumé droit naturel à la liberté religieuse, c'est à dire d'un présumé droit naturel à croire en n'importe quelle religion, mais il est fondé sur le fait que la religion catholique, la seule vraie, doit être embrassée librement et sans aucune contrainte. La liberté du croyant est fondée sur la vérité crue (ndt: càd en laquelle on croit) et non pas sur l'autodétermination de l'individu.

Le catholique, et seulement le catholique, a le droit naturel de professer et de pratiquer sa religion et il l'a parce que sa religion est vraie. Cela signifie qu'aucun autre croyant en dehors du catholique n'a le droit naturel à professer sa religion. La contre-preuve est donnée par le fait qu'il n'y a pas de droits sans devoirs, et vice versa.
La loi naturelle, résumée par les 10 commandements, s'exprime de manière prescriptive, c'est-à-dire qu'elle impose des devoirs dont naissent des droits. Par exemple, du commandement «Tu ne tueras point l'innocent» naît le droit de l'innocent à la vie. Le refus de l'avortement est une prescription du droit naturel indépendante de la religion de ceux qui s'y conforment. Et cela s'applique aux sept (six?) Commandements de la Seconde Table (2).
Comparer le droit à la liberté religieuse au droit à la vie, les considérant tous les deux comme des droits naturels, cependant, n'a pas de sens.
Les trois (quatre?) premiers commandements du Décalogue, en effet, ne se réfèrent pas à un dieu quelconque, mais seulement au Dieu de l'Ancien et du Nouveau Testament. Du premier commandement qui impose d'adorer l'unique vrai Dieu naît le droit et le devoir de professer non pas n'importe quelle religion, mais l'unique vraie religion. Et cela s'applique à la fois à l'individu et à l'État. L'État, comme chaque individu, a le devoir de professer la vraie religion, parce qu'il n'y a pas d'autre fin de l'Etat que celle de l'individu.

La raison pour laquelle l'État ne peut contraindre personne à croire ne naît pas du principe de la neutralité religieuse de l'Etat, mais du fait que l'adhésion à la vérité doit être totalement libre. Si l'individu avait le droit de prêcher et de professer n'importe quelle religion, l'État aurait le devoir de la neutralité religieuse. Ce qui a été condamné à plusieurs reprises par l'Eglise.

Pour cela, nous disons que l'homme a le droit naturel non pas de professer une quelconque religion, mais de professer la vraie. Ce n'est que lorsque la liberté religieuse est entendue comme liberté chrétienne, que l'on peut parler du droit à elle.

Certains soutiennent qu'aujourd'hui, nous vivons de fait dans une société pluraliste et sécularisée, les États catholiques ont disparu, et l'Europe est un continent qui a tourné le dos au christianisme. Le problème concret est donc celui des chrétiens persécutés dans le monde, et pas de l'Etat catholique. Personne ne le nie, mais la constatation d'un fait n'est pas équivalent à l'affirmation d'un principe. Le catholique doit désirer de toutes ses forces une société et un État catholique où le Christ règne, comme l'a expliqué Pie XI dit dans l'encyclique Quas Primas (1925, sur la Royauté Sociale de Jésus-Christ).

La distinction entre la «thèse» (le principe) et «l'hypothèse» (la situation réelle) est connue. Plus on est forcé de subir l'hypothèse, plus on doit essayer de faire connaître la thèse. Ne renonçons donc pas à la doctrine de la Royauté sociale du Christ: parlons des droits de Jésus-Christ à régner sur la société toute entière, et de Son Royaume comme la seule solution aux maux modernes. Et au lieu de nous battre pour la liberté religieuse, qui est l'égalité juridique de la vraie religion avec celles qui sont fausses, luttons pour la défense de la liberté des chrétiens, aujourd'hui persécutés par l'islam en Orient, et par la dictature du relativisme en Occident.
(Roberto de Mattei)

Notes de traduction

(1) En vocabulaire juridique, le for (du latin forum, place publique sur laquelle siégeait le tribunal) désigne le tribunal qui a été saisi d'une affaire, et donc concrètement, le lieu où une affaire est jugée.
En droit canonique, il est fait distinction entre le for interne (ou intérieur), correspondant au jugement d'un acte par rapport à sa conscience personnelle, et le for externe (ou extérieur), correspondant au jugement d'un acte par rapport à des critères objectifs externes.
cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/For_(droit)

(2) Les 4 premiers commandements (première table) sont relatifs à notre relation à Dieu, les 6 suivants (seconde table) à notre relation au prochain.
cf. http://www.info-bible.org/textes/dix-commandements.htm