Martini et la symphonie dramatique de l'Église

José-Luis Restàn consacre son dernier éditorial sur Paginas Digital à la disparition du cardinal Martini. Traduction de Carlota (5/9/2012)

L'analyse de José Luis Restán est, comme toujours, équilibrée et sereine (indulgente ?).
L’ancien archevêque de Milan avec ses qualités et ses défauts a sans doute été aussi « une fabrication » des progressistes et des medias, qui voyaient en lui plus que ce qu’il était en réalité. Ceux-là oubliaient pourtant l’essentiel : l’élection d’un Pape ne dépend pas que des membres du conclave stricto sensu, mais aussi du Saint Esprit (et en tout cas, pas des journalistes)

Texte original ici: www.paginasdigital.es

 

Martini et la symphonie dramatique de l’Église

José Luis Restán
05/09/2012
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Dans l’Église les différences de tempérament et de sensibilité, de même que les différentes interprétations sur les urgences de chaque époque, expriment la loi de la communion : « la pluriformité dans l’unité ». Ce sont les paroles de l’archevêque de Milan, Angelo Scola, au cours des funérailles de son prédécesseur en la Cathédrale Saint Ambroise, le Cardinal Carlo Maria Martini. Et au milieu de la cascade, parfois peu harmonieuse, d’images et de mots que la mort du cardinal jésuite a provoquée, il me semble qu’elles constituent l’orientation la plus sereine et la plus décisive pour pondérer une figure aussi puissante que controversée.

Martini a été surtout un croyant en Jésus Christ, un homme de l’Église qu’il a servie avec loyauté. Et ce n’est pas peu dire, puisque, à travers des pages entières dédiées à sa louange dans les médias, l’on trouve à peine une trace de cette racine sans laquelle toute sa vie devient incompréhensible.
Le paradoxe c’est qu’un homme autant célébré par la grande presse (en des temps où celle-ci dispense le fiel à pleines mains quand il s’agit de l’Église) eut à cohabiter toute sa vie avec une image qui ne lui correspondait pas du tout.
Pour beaucoup de ceux qui aujourd’hui l’applaudissent, Martini aura été le grand antagoniste, l’autre face de la monnaie, l’anti-Pape, l’homme toujours incommode pour l’Église elle-même, dans laquelle il était né et qui l’avait appelé aux responsabilités les plus élevées.

Mais la réalité est tenace. Quand il avait 52 ans et qu’il était recteur de l’Université Grégorienne, Jean-Paul II l’a choisi pour gérer un des diocèses les plus importants du monde. Il était très jeune, il avait à peine une expérience pastorale et ce n’était pas un secret que sa vision des choses ne coïncidait pas, sur différents aspects, avec celle d’un Pape, qui cependant, n’a jamais cessé de lui faire confiance, même, quand quelques unes de ses positions publiques pouvaient être interprétées comme une divergence discrète ou retentissante. Martini n’a pas été un « étranger » dans le cursus ecclésial des trente dernières années, il a été plutôt un protagoniste évident, cajolé par les uns et contesté par d’autres, mais il était toujours chez lui.

On a beaucoup parlé aussi de sa relation avec Joseph Ratzinger, avant et après l’arrivée de celui-ci sur le siège de Pierre. Ils étaient contemporains et ils étaient unis par leur condition intellectuelle, leur passion pour le dialogue et leur désir de trouver une réconciliation entre l’Église et le meilleur de la modernité. En outre et c’est un fait sur lequel on a des documentations, ils professaient toujours une estime mutuelle et du respect, à l’intérieur de leurs analyses et propositions divergentes. Alors que Martini a cultivé surtout les débats éthiques et institutionnels et y a centré sa bataille pour la rénovation de l’Église, Ratzinger lui s’est toujours passionné pour la nature de l’événement chrétien et a centré son regard sur la relation foi-raison comme clef pour une nouvelle modernité qui sauvegarde la raison et la liberté comme chemin vers le Mystère. Tous deux reconnaissaient que l’Église s’était mise sur la défensive sur quelques sujets à partir du Siècle des Lumières et partageaient cette certitude que cette route était stérile sur le long terme. Mais tandis que Martini réalisait une lecture plombée des derniers deux cents ans de la vie ecclésiale, Ratzinger développait sa thèse newmanienne (ndt John Herny Newman 1801-1890, ecclésiastique britannique béatifié par Benoît XVI en 2010) dans la continuité et réclamait une ouverture mutuelle et une purification réciproque entre la foi et la raison moderne.

Il ne s’agit pas de dire que tout a été un chemin de roses. La symphonie de l’Église se compose tout au long de l’histoire de dissonances et de douleurs, avec des tensions que seuls la miséricorde et le pardon qu’opère la grâce de Dieu peuvent résoudre dans une impulsion constructive. Et en cela Martini a donné et a reçu. Tout au cours de sa vie où il a tenu un premier rôle, il a récolté des critiques certainement amères, et pas que quelques fois injustes, mais à son tour il a causé aussi de la douleur, par exemple quand il a publiquement contesté l’encyclique Humanae Vitae qui avait coûté du sang, de la sueur et des larmes à Paul VI, cette encyclique que Benoît XVI considère prophétique, précisément comme une expression d’une authentique modernité chrétienne (ndt elle était prophétique pour l’humanité entière).

En tout cas le cardinal Martini est beaucoup plus que la caricature de l’intellectuel fâché avec son Église, que nous ont transmise ces jours-ci ceux qui continuent à caresser la prétention de la contrôler depuis les postes de commandement du pouvoir médiatique, économique ou politique.
L’ironie de l’Esprit Saint a voulu que ce soit précisément le Cardinal Scola (caricaturé aussi par quelques uns comme l’anti-Martini) qui retrace son véritable profil, celui qui vaut définitivement pour l’Église : celui d’un pasteur attentif à la réalité contemporaine, disposé à accueillir tout le monde, passionné par l’œcuménisme et le dialogue interreligieux, toujours à la recherche de chemins de réconciliation pour le bien de l’Église et de la société civile. Évidemment tout cela il l’a fait avec son style propre, avec sa personnalité et son tempérament qui ne lui ont pas épargné des chocs et des amertumes, et pas que peu, depuis le bord de ceux qui s’étaient engagés à l’instrumentaliser jusqu’à la fin. Mais tout cela doit déjà se voir avec une sereine piété depuis la Jérusalem céleste par laquelle il a toujours aspiré à transiter.