Messori: la foi, Marie, le Concile

Interviewe dans Famiglia Cristiana, autour de la sortie de son livre sur Bernadette. "Parmi les quatre Constitutions conciliaires, Gaudium et spes est celle qui, entre la théologie et la sociologie doit le plus à la seconde." (17/12/2012)

>>> Voir ici:
Bernadette ne nous a pas trompés

Texte original: http://www.famigliacristiana.it
Ma traduction.

     

La foi, Marie, le Concile

Alberto Fulvio et Chiara Scaglione
Famiglia Cristiana
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Quel sens cela a-t-il de discuter de carrosserie, couleurs et accessoires, alors que l'on vient à peine de fondre le moteur?
Le rapport sur la foi (ndt: Rapporto sulla fede est le titre original du livre-interviewe avec Joseph Ratzinger de 1984, paru en français sous le titre "Entretien sur la foi") de Vittorio Messori part d'une métaphore automobile. «Dans l'Église», explique t-il, «depuis des décennies, on débat sur une fidélité plus ou moins grande au Concile, en s'arrêtant au contenant, c'est-à-dire à la façon dont se structure l'institution ecclésiale, avec plus ou moins de collégialité, plus ou moins de latin, plus ou moins de morale traditionnelle ou d'engagement ou politique: dommage que dans l'intervalle, la recherche d'absolu et le sens de Dieu se soient affaiblis presque au point de s'éteindre».

Le style de toujours, celui du journaliste strictement allergique aux points d'exclamation, Messori a publié son 23ème livre, "Bernadette ne nous a pas trompés", dans les librairies depuis un peu plus d'un mois. «C'est la énième étape d'un parcours qui a commencé en Juillet-Août de 1964, quand il me fut donné de découvrir l'Evangile (1). Celui-ci, comme mes autres livres, montre qu'être chrétien ne signifie pas être crétin (2). Croire, en effet, n'exempte pas poser de se questions. Accepte même le doute. La croyance authentique offre plutôt des réponses qui ne nient pas la raison. Et même, pour dire les choses comme Blaise Pascal, le grand écrivain français du XVIIe siècle, utilisée correctement, parvenue à la limite, la raison nous oblige à un pas: faire le saut, s'ouvrir au mystère».

- En fait, dans le livre, on parle de Lourdes , des apparitions et Notre-Dame.
« Ce n'est pas, ou pas seulement, un livre sur Marie. Il s'agit d'un livre sur la foi en l'Evangile. A Lourdes, nous a été fait un grand don: celui de nous fournir un point d'appui providentiel, une poignée solide».

- Une poignée solide?
« Un appui auquel s'agripper lorsque la foi est en crise. Marie n'est pas une option, une affaire de vieux dévots. Elle mène à son Fils. Là où la Vierge est oubliée ou raillée, Jésus s'en va».

- Pourquoi enquêter sur les faits de Lourdes aujourd'hui?
« Parce que, à ce stade historique, beaucoup de nos églises sont presque désertes, tandis que devant cette grotte défilent, prient, pleurent et se convertissent 5 à 6.000.000 de pèlerins par an. Sont-ils tous victimes d'un terrible imbroglio? ».

- Quelle réponse est donnée?
« Que ce qui est arrivé à Lourdes est vrai. Entre le 11 Février et le 16 Juillet 1858, à dix-huit reprises, Marie est apparue à une fillette d'un mètre quarante, asthmatique, analphabète, qui n'avait pas fréquenté le catéchisme ni fait sa première communion, dont le père avait fini en prison et dont la mère avait une réputation d'ivrognesse. Bernadette Soubirous était fille du peuple et non pas de l'orgueuilleuse bourgeoisie ou de l'aristocratie française»

- Les chrétiens ne sont pas obligés de croire aux apparitions mariales ...
« Bien sûr. Notre foi est fondée sur les apparitions du Christ Ressuscité aux apôtres, racontées par ces bons journalistes que sont les évangélistes. Les apparitions sont une aide, un don gratuit. Nous sommes libres de l'accepter ou non. Marie fait son travail de maman. Sur la Croix, Jésus était explicite: "Fils, voici ta mère, mère, voici ton fils" . Ils nous a confiés à Elle, et Elle ne nous abandonne pas. Ce n'est pas un hasard si les apparitions reconnues par l'Église ont eu lieu à certains moments historiques, ceux où la foi et l'Église ont été en péril. Lourdes, en 1858, à la suite de la diffusion des théories de Charles Darwin, Karl Marx, Renan. Fatima, en 1917, avant (et annonçant) la Révolution d'Octobre, c'est-à-dire l'avènement du communisme. Banneux en 1933, est contemporaine de l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler. Plus près de nous, à Kibeho au Rwanda, Notre-Dame est apparue entre 1981 et 1989, à la veille des massacres de 1994. Il y a une sorte de calendrier marial qui accompagne l'histoire. Il conduit au Christ. Nous recommençons. Devant le problème des problèmes. Le monde a perdu la foi ou, s'il l'a, il l'a faible ou souillée»

- Des remèdes à suggérer?
« Proposer l'Evangile avec conviction et en même temps avec sérénité et rigueur. Sans se décourager si le monde le rejette sans le connaître. Il est temps de présenter à nouveau les raisons de croire. Donc, je pense qu'il est temps de redécouvrir l'apologétique»

- L'athéisme est un vêtement à la mode ...
« L'athéisme est, à son tour, une religion. Dans la Turin de mes Maîtres universitaires, à la faculté de sciences politiques, être athée n'était pas considéré comme élégant. C'était mieux d'être agnostique. Mieux de considérer les questions sur Jésus, la résurrection et la vie éternelle comme des questions puériles, pour l'âge des boutons. La philosophie a ssuré qu'il n'y a pas de réponse, me disaient les gourous laïcs, enfermés dans le cercle de leur rationalisme. Ignoramus et ignorabimus, nous ne savons pas et ne saurons jamais. Je suis entré dans l'Eglise au moment où a commencé la grande fuite. En cinquante ans, la moitié des soeurs et un tiers des prêtres sont partis».

- La faute du Concile? Vous passez pour un conservateur tenace...
« Je passe pour tellement de choses que je ne suis pas. De la période qui a précédé le Concile Vatican II, je n'ai pas d'expérience: je ne fréquentais pas les églises. Je sais que l'Église pouvait aussi être étouffante et moraliste. Je ne suis pas du tout un traditionaliste. Le Concile a été un événement providentiel, qui a à juste titre innové les formes de l'annonce, cherchant des mots nouveaux pour dire des vérités anciennes, en pleine continuité avec la doctrine précédente. A l'instar du Pape, si je peux me permettre, je défends le Vatican II authentique, je réfute ses déformations».

- Certains observent que l'on a perdu l'optimisme qui a caractérisé Gaudium et spes, marquant un tournant dans les relations entre l'Église et le monde, les non-croyants en premier lieu ...
« Parmi les quatre Constitution conciliaire, Gaudium et spes est celle qui, entre la théologie et la sociologie doit le plus à la seconde. Et à l'esprit des années soixante, Kennedy et Khrouchtchev, la décolonisation, le boom économique , les premières missions spatiales. En avançant, l'histoire a pris une autre tournure. Alors que l'Église est et doit rester celle de toujours, "mère et maîtresse". Soucieuse de construire des ponts, mais tout aussi prudente en élevant des murs qui protègent le "depositum fidei", le cœur de notre foi. Nous sommes à Noël. Nous célébrons la naissance du Sauveur, qui a eu lieu dans une période historique déterminée, dans un endroit spécifique sur la terre. Ne nous arrêtons pas pour une sorte de festival générique de la bonté, rabâchant des slogan sur la solidarité qui souvent sonnent creux et hypocrites comme des spots de publicité. Réussirons-nous à dire avec clarté que nous sommes en fête pour la naissance du Fils de Dieu, ou nous plierons-nous à nouveau au "politiquement correct", dans la crainte d'offenser quelqu'un? ».

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(1) Messori a raconté son expérience dans un ouvrage "Pourquoi je crois" (http://benoit-et-moi.fr/2008/0455009a4e0a83616/0455009b4a0c49607.html), qui n'est pas traduit en français

(2) Allusion à une insulte proféré par un écrivain italien à la mode, révéré par les "catholiques adultes", Pirgiorgio Oddifreddi. Dans son livre Perché non possiamo essere cristiani (Pourquoi nous ne pouvons pas être chrétiens, 2007), il écrivait: "Au fond, la critique du christianisme pourrait être réduite à ceci : qu'étant littéralement une religion pour des crétins, elle ne s'adapte pas à ceux qui, peut-être pour leur malchanche, ont été condamnés à ne pas l'être" (l'étymologie de « crétin » remonterait à « chrétien »).