Mon Concile, par Vittorio Messori

Il a préfacé la version en anglais de l'ouvrage de Mgr Nicola Bux (ici). Observateur extérieur et distrait, puis tardif, du Concile, beaucoup de catholiques pourront se reconnaître dans son analyse. (10/8/2012).

>>> Articles sur Mgr Bux
ici.

>>> Texte original en anglais (merci à Teresa!) sur le site d'
Ignatius, l'éditeur du Pape aux USA.
Ma traduction.

 

Préface au livre de Nicola Bux «La réforme de Benoît XVI: La liturgie entre innovation et tradition»
Vittorio Messori
(Source)
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La «crise liturgique» qui a suivi le Concile Vatican II a provoqué un schisme, avec de nombreuses excommunications latae sententiae; elle a provoqué malaises, polémiques, soupçons et accusations réciproques.
Et ce fut peut-être l'un de ces facteurs - je dis un, pas le seul - qui a provoqué l'hémorragie de la pratique des fidèles, y compris de ceux qui n'assistaient à la messe que pour les grandes fêtes.
Eh bien, cela peut paraître étrange: cette tempête n'a pas diminué mais, au contraire, augmenté ma confiance en l'Église.

Je vais essayer d'expliquer ce que je veux dire, parlant à la première personne, revenant ainsi à une expérience personnelle.
Certains considèreront cette approche comme immodeste, mais d'autres y verront le moyen le plus simple d'être clair et pertinent. Il se trouve que, malgré mon âge je n'ai qu'un souvenir très léger de l' «ancienne» forme de culte de l'Église. J'ai grandi dans un ménage agnostique et j'ai fait mes études dans les écoles laïques; j'ai découvert l'Évangile, et j'ai commencé à entrer dans les églises furtivement, comme un croyant et non plus comme un simple touriste, juste avant que la réforme liturgique n'entre en vigueur, ce qui pour moi signifiait seulement «la messe en italien».
En somme, j'ai attrapé la queue de l'histoire. Ce n'est que quelques mois plus tard que je devais trouver les autels retournés et quelque bric-à-brac kitsch en aluminium ou en plastique introduit pour remplacer le «triomphalisme» des anciens autels, souvent signés par des maîtres, ornés d'or et de marbre précieux.
Mais depuis quelque temps déjà j'avais vu - avec surprise, dans mon innocence de néophyte - des guitares remplacer les orgues, et les jeans du vicaire dépassant sous des robes qui étaient destinés à donner l'apparence de la «pauvreté», des prédications «sociales», peut-être avec quelques discussions, la suppression de ce qu'ils appelaient «accrétions dévotionnelles» (ndt: L’accrétion désigne en astrophysique, en géologie, en médecine et en météorologie la constitution et l'accroissement d'un corps, d'une structure ou d'un objet par apport et/ou agglomération de matière, généralement en surface ou en périphérie de celui-ci), comme de faire le signe de la croix avec l'eau bénite, les prie-Dieu, les cierges, l'encens. J'ai même assisté à la disparition occasionnelle de statues de saints populaires; les confessionnaux, eux aussi, ont été enlevés, et quelques-uns, comme il sied à la mode, ont été transformées en armoires à liqueurs dans les maisons de designer.

Tout cela était fait par des clercs, qui parlaient sans cesse de «démocratie dans l'Eglise», affirmant que cela avait été réclamé par un « peuple de Dieu », que personne, cependant, n'avait pris la peine de consulter. Le peuple, on le sait, est souverain, il doit être respecté, et même, vénéré, mais seulement s'il accepte les vues qui sont dictées par la classe dirigeante, politique, sociale, et même religieuse. S'il n'est pas d'accord avec ceux qui ont le pouvoir de déterminer la ligne à suivre, il doit être rééduqué selon la vision de l'idéologie triomphante du moment.
Pour moi, qui venait de frapper à la porte de l'Eglise, accueillant avec plaisir la stabilitas - si attrayante et consolante pour ceux qui n'ont connu que la précarité du monde - cette destruction d'un patrimoine millénaire me prit par surprise et me sembla plus anachronique que moderne.

Il m'a semblé que les prêtres causaient du tort à leurs propres gens, qui, autant que je le savais, n'avait rien demandé de tout cela, ne s'étaient pas organisés en comités de réforme, n'avait pas signé de pétitions ou bloqué des rues ou des voies ferrées pour mettre un terme au Latin (une «langue de classe», mais seulement selon les intellectuels démagogues), pour voir le prêtre leur fairet face durant toute la messe, avoir des bavardages politiques au cours de la liturgie ou condamner comme aliénantes des pratiques de piété qui étaient au contraire précieuse dans la mesure où elles étaient un lien avec l'ancienne génération.
Il y a eu une révolte de la part de certains groupes de fidèles, qui ont été immédiatement réduits au silence, cependant, et traités par les médias catholiques comme d'incorrigibles nostalgiques, peut-être un peu fascistes, unis sous la devise qui venait de France: «on nous change la religion». En d'autres termes, bien qu'elle ait été poussée par les champions de la «démocratie», la réforme liturgique (ici, je fais abstraction du contenu et je ne parle que de la méthode) n'était pas du tout "démocratique" . Les fidèles, à ce moment, n'ont pas été consultés, et les fidèles du passé ont été rejetés. La tradition n'est-elle pas, comme cela a été dit, la «démocratie de la mort»? La tradition ne laisse-t-elle pas la parole à nos frères qui nous ont précédés?

Avant de juger de ses mérites, permettez-moi de me répèter, on doit dire que cette réforme est descendue du clergé, la décision a été imposée au «Peuple de Dieu» d'en haut, étant pensée, réalisée et imposée à ceux qui ne l'avaient pas demandée ou qui ne l'avaient acceptée qu'à contrecœur.
Certains, parmi les fidèles désorientés, ont «voté avec leurs pieds», c'est-à-dire qu'ilsi ont décidé de faire autre chose le dimanche plutôt que d'assister une liturgie dont ils sentaient qu'elle n'était plus à eux.

Mais, en tant que novice en matière catholique, il y avait une autre raison à ma stupeur. N'ayant pas eu d'intérêts religieux «auparavant», et étant un étranger à la vie de l'Eglise, je savais, par certains titres de journaux, que le Concile Vatican II était en cours, mais je n'avais pas pris la peine de lire les articles. Donc, je ne savais rien sur le travail et les longs débats, avec des affrontements entre les écoles opposées, qui ont conduit à Sacrosanctum concilium, la Constitution sur la Liturgie, qui était, entre autres choses, le premier document produit par ces délibérations. Avec les autres actes conciliaires, j'ai lu le texte «plus tard», quand la foi a tout d'un coup fait irruption dans ma vie. Je l'ai lu, et, comme je l'ai dit, je suis resté surpris: la révolution que j'avais vue dans la pratique ecclésiale ne semblait pas avoir grand chose à voir avec le réformisme prudent recommandé par les Pères du Concile. J'ai lu des choses telles que: «Une loi particulière reste en vigueur, l'utilisation de la langue latine doit être conservé dans les rites latins»; je n'ai trouvé aucune recommandation pour inverser l'orientation de l'autel; il n'y avait rien pour justifier l'iconoclasme d'un certain le clergé - une aubaine pour les magasins d'antiquité! - qui mit tout en vente afin de rendre les églises aussi nues et sans fioritures que des garages. C'était un espace pour l'assemblée des participants, de rencontre et de discussion, et pas de culte aliénant ou - horreur des horreurs - pour une insulte à la misère du prolétariat avec son or brillant et ses oeuvres d'art étalées.

En somme, les fanatiques de la démocratie ecclésiales étaient antidémocratiques: ils imposaient leurs propres idées au «peuple de Dieu» sans se préoccuper de ce que le «Peuple» pensait, isolant et ridiculisant les dissidents. Et les fanatiques de la «fidélité au Concile» - c'étaient presque toujours les mêmes personnes - n'avaient pas fait ce que le Concile avait dit de faire ou même avaient fait ce qu'il avait recommandé de ne pas faire.

Des décennies se sont écoulées depuis lors, et ce qui a eu lieu dans l'intervalle est bien connu par ceux qui suivent la vie de l'Eglise. Eh bien, ce qui en a troublé beaucoup m'a souvent attristé, moi aussi, mais, comme je l'ai dit au début, n'a pas touché ma confiance dans l'Eglise. Cela ne l'a pas touchée parce que les abus, les malentendus, les exagérations, les erreurs pastorales étaient, comme c'est toujours le cas, le fait des fils de l'Eglise, et non pas de l'Eglise elle-même. Ainsi, si l'on considère le Magistère authentique, même dans les sombres années de chaos et de confusion, il ne s'est jamais sensiblement écarté du principe directeur du 'et-et' (ndt: un thème cher à Messori, qui est même le titre de son blog) : renouveau et tradition, innovation et continuité, attention à l'histoire et conscience de l'Eternel, compréhension du rite et mystère du Sacré, sens commun et attention à l'individu, inculturation et de la catholicité. Et, en ce qui concerne le sommet, l'Eucharistie: c'est certainement un repas fraternel, mais tout aussi certainement, c'est le renouvellement spirituel du sacrifice du Christ.

Le document conciliaire sur la liturgie - le vrai, pas le mythique - est une exhortation à la réforme ( Ecclesia semper reformanda ), mais il n'y a pas de tonalité révolutionnaire en lui, dans la mesure où il trouve son inspiration dans l'enseignement réfléchi et, dans le même temps, ouvert, de ce grand pape qu'était Pie XII. Après l'Écriture, Pie XII est la source la plus citée (plus de deux cents références) de Vatican II, qui, selon la légende noire, entendait s'opposer à l'Eglise même qu'il représentait.
Dans les nombreux documents officiels qui ont suivi le Concile, il y a parfois une imprudence pastorale, en particulier un excès de confiance dans un clergé qui en a profité, mais il n'y a pas de concession sur les principes: les abus ont souvent été tolérés dans la pratique, mais condamnés - et c'est ce qui compte à la fin - au niveau magistériel. Les variations dans la doctrine ne sont pas responsables du pire de ce qui a été fait, mais ont plutôt été des «indults» qui ont été exploités. C'est à cause de telles considérations - pour ce que cela vaut - que moi et beaucoup d'autres n'ont pas été démoralisés, même dans les moments et les années les plus turbulents: une confiance prévalait que les erreurs de jugement pastoral dont j'ai parlé seraient corrigées, que les anticorps ecclésiaux allaient, comme toujours, réagir, que le «Principe pétrinien» prévaudrait à la fin.
C'était, en d'autres termes, la confiance que viendraient des temps comme ceux décrits - avec un réalisme obligé, mais aussi avec un grand espoir - par le Père Nicola Bux dans ce livre. Le passé récent a été ce qu'il a été; le dommage a été massif; certains éléments de l'arrière-garde des vieilles idéologies du «progressisme» continuent à proclamer vaillamment leurs slogans; mais rien n'est perdu, parce que les principes sont très clairs, ils n'ont pas été éraflés. Le problème n'est certainement pas le Concile mais, au pire, sa déformation: le moyen de sortir de la crise est de retourner à la lettre, et à l'esprit, de ses documents. L'auteur des pages qui suivent nous rappelle qu'il y a du travail à faire pour aider de nombreux esprits qui - peut-être sans même le savoir - ont été égarés. Nous devons les aider à récupérer ce que les Allemands appellent die Katholische Weltanschauung, la vision catholique du monde. Ce n'est pas par hasard que j'ai utilisé l'allemand, comme tout le monde sait d'où provient ce Berger qui ne s'attendait pas à ce que l'ascension à la papauté soit tissée dans son histoire de 'patient' et «humble travailleur dans la vigne du Seigneur». Si je mets la référence à la patience en italique, c'est parce qu'elle est l'une des clés d'interprétation au magistère de Benoît XVI, comme ce livre le souligne également.

Ce sont les pages que don Nicola Bux était bien équipé pour écrire, et pour lesquelles nous devons lui être reconnaissants. C'est un professeur de théologie et de liturgie, ayant occupé des chaires importantes, et il a une connaissance particulière de la liturgie de l'Orient chrétien. C'est précisément cela, entre autres choses, qui lui permet de montrer encore une autre contradiction des innovateurs extrêmes: «Des études comparatives montrent que la liturgie romaine dans sa forme préconciliaire était beaucoup plus proche de la liturgie orientale que sous sa forme actuelle». En somme, certains apôtres fanatiques de l'œcuménisme ont, en réalité empiré le problème de la rencontre et du dialogue, se distanciant de ces ancien et glorieux Grecs, Slaves, Arméniens, Coptes, et autres Eglises orientales, en essayant de plaire aux membres de la tradition protestante officielle. Cette dernière, cinq siècles après la Réforme, semble en voie d'extinction et n'est souvent représentée que par quelque théologien sans disciple. Dans certains cas, elle se trouve sur les rives de l'agnosticisme et de l'athéisme ou sur celles de pentecôtistes et de charismatiques appartenant à la kyrielle de groupes et de sectes où chacun invente ses rites selon les goûts actuels, dans un chaos qu'il serait tout à fait inapproprié d'appeler liturgique.

Le plan de l'auteur de ces pages est guidé par le désir d'expliquer - en réfutant les malentendus et les erreurs - les motivations et le contenu du Motu Proprio Summorum Pontificum par lequel le pape Benoît, tout en conservant un seul rite pour la célébration de la messe, a permis deux formes de ce rite: la forme ordinaire - celle issue de la réforme liturgique - et la forme extraordinaire, selon le missel de 1962 du bienheureux Jean XXIII.

Pour donner forme à son plan, don Bux a pu compter, non seulement sur sa formation de chercheur, mais aussi sur la connaissance des problèmes, des gens, et des écoles, qu'il a acquise dans son expérience de travail dans des commissions et dans les bureaux de la Curie romaine. Ainsi, il a une expérience directe et ce n'est pas seulement un spécialiste et un professeur. Néanmoins, il comprend qu'il n'est pas possible de traiter de la question controversée du «retour à la messe en latin» (je le dis ainsi pour simplifier), sans tenir compte de la perspective théologique et liturgique de Joseph Ratzinger et, ensuite, de la question du culte chrétien et catholique en général.
Telle est l'origine de ce livre - petit et dense - qui unit l'histoire et le présent, la théologie et les événements courants, et peut aider ceux qui «savent déjà» ces choses à aller plus en profondeur et de manière plus réfléchie; et il peut aider le laïc qui «ne sait pas» à comprendre l'importance, le développement, la beauté de cet objet mystérieux qu'est, pour lui, la liturgie, qui implique aussi, même s'il ne pratique pas, lui-même ou ses proches dans les moments importants de la vie

Comme il le dit lui-même, avec une solidarité respectueuse et affectueuse, le point de vue théologique et pastoral de Don Bux est le même que celui de Joseph Ratzinger, qu'il regarde aujourd'hui comme un maître, également en ce qui concerne deux vertus chrétiennes indispensables: la patience , comme nous l'avons déjà souligné, et la prudence. Il s'agit d'une prudence dans laquelle il y a place pour le renouvellement, mais sans jamais oublier la tradition, pour laquelle le changement n'interrompt pas la continuité. Ecclesia non facit saltus : Vatican II est entendu et appliqué comme il mérite de l'être, mais dans sa véritable intention, celle de l'aggiornamento et de l'approfondissement, sans discontinuité avec toute l'histoire de la doctrine catholique.
Ces pages nous aident aussi à récupérer cette réalité sacrée exprimée par la liturgie: dans l'action liturgique, la compréhension, dans le sens des Lumières, ne suffit pas: ainsi, les traductions en langue vernaculaire ne sont pas suffisantes: il est nécessaire de redécouvrir que la liturgie est, avant tout, le lieu de la rencontre avec le Dieu vivant.

Le Père Bux, qui connaît bien le «monde» nous rappelle qu'il y a une mentalité qui doit être changée. Il pense que les conditions pour cela sont présentes: aujourd'hui ce sont souvent les jeunes qui trouvent, avec une crainte qui devient passion, les richesses dont le coffre à trésors de l'Église est rempli. Ce sont ces jeunes qui se pressaient autour du Pape Polonais, le grand charismatique, et qui maintenant se pressent autour de ce Pape Bavarois, en qui - sous la courtoisie et les aimables manière -, ils ont l'intuition du sage projet de «restauration» que Joseph Ratzinger a toujours compris dans son sens noble et nécessaire: la restauration de la Domus Dei après l'une des nombreuses tempêtes de son histoire. Un projet qui a été médité pendant de nombreuses années et que Benoît XVI est en train de réaliser avec courage et patience, car en lui, comme le note don Bux, «la patience de l'amour» est à l'œuvre, l'amour pour Dieu et pour son Eglise, certes, mais aussi pour l'homme postmoderne, pour l'aider à redécouvrir dans le culte liturgique la rencontre avec Celui qui s'est appelé lui-même «le Chemin, la Vérité et la Vie».