Obama 2: it's ethics, stupid.

Les leçons - à contre-courant - des élections américaines, par Massimo Introvigne (9/11/2012)

It's economics, stupid (1): La formule-choc de Bill Clinton à G. Bush lors de la campagne présidentielle de 92 semble avoir ces jours-ci une très bonne fortune. Eric Zemmour, ayant épluché les résultats sur des critères ethniques (encore possibles aux USA), l'a reprise en remplaçant "economics" par "ethnic" . Massimo Introvigne fait une autre lecture, qui ne contredit pas forcément la précédente, mais la complète. Lui, il remplace "economics" par "ethics".
Il faudrait reprendre méthodiquement et méticuleusement les statistiques des présidentielles françaises qui ont amené la victoire de Hollande pour évaluer la lecture "éthique" chez nous. La lecture "ethnique", quant à elle, est incontestable.

     

Non è l'economia, stupido

Massimo Introvigne
Texte en italien: www.rassegnastampa-totustuus.it/
Ma traduction
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Bien qu'amplement annoncée en raison du système électoral américain, la nette victoire du président sortant Barack Obama mérite quelques commentaires, d'autant plus que cette victoire a été accompagnée par le succès du référendum qui proposait la légalisation du mariage homosexuel dans l'État de Washington (sur la côte Pacifique, à ne pas confondre avec le District de Columbia où est le siège de la capitale nationale de Washington), dans le Maine et dans le Maryland, tandis que dans le Minnesota - où le mariage entre personnes du même sexe reste illégal - même si c'est par une petite marge, les électeurs rejeté un amendement qui aurait mis dans la Constitution de l'Etat la notion que le seul mariage reconnu est hétérosexuel. L'État de Washington, le Colorado et le Massachusetts - mais si dans ce dernier c'est uniquement pour «raisons médicales» - ont légalisé l'usage de la marijuana, tandis que l'Alabama et le Montana ont vu prévaloir le «non» des référendum analogues qui auraient rendu la drogue légale. En guise de consolation partielle, la Floride, a voté «non» à la proposition d'utiliser les fonds publics pour soutenir l'avortement. Enfin, ce n'est qu'avec une très faible marge - 51% - et seulement grâce aux zones rurales - dans les villes, y compris Boston, c'est le «oui» qui l'a remporté - le Massachusetts a rejeté un référendum visant à instaurer l'euthanasie «à la hollandaise», c'est-à-dire le «suicide assisté» garanti au malade «en phase terminale» qui en ferait la requête. Le résultat des référendum sur le mariage homosexuel est à sa façon spectaculaire, si l'on considère que dans le passé, il y avait eu des référendum similaires dans 31 états, tous perdus par les partisans du mariage gay.

Maintenant, les sondages - qui, bien sûr, peuvent se tromper - nous disent que la majorité des Américains est opposée au mariage homosexuel. Ils nous disent aussi - c'est la fameuse thèse de la «rigth nation» - que la majorité des Américains se sent plus proches des idées des républicains que des démocrates. Et là, en effet, il y a quelque chose de plus que les sondages.On a également voté pour la Chambre des représentants - et aussi, en partie, pour le Sénat - et là les républicains ont obtenu une majorité solide, 231 sièges, contre aux 190 démocrates. Toutefois, les mêmes électeurs qui ont envoyé une majorité républicaine à la Chambre ont confirmé le démocrate Obama comme président.

Résultats schizophrènes? Les sondages se trompent? La réponse est non.
La donnée fondamentale, comme toujours lors des élections modernes, concerne les votants. L'élection de 2008 a enregistré la plus forte participation depuis 1968, en partie parce que les électeurs afro-américains qui ont l'habitude de ne pas voter souhaitaient soutenir Obama, en partie parce qu'un électorat conservateur qui, lui aussi, vote peu, avait peur de certains points du programme d'Obama. Allant voter pour le président, les électeurs de 2008 ont voté pour les référendum, rejetant ainsi entre autre les propositions sur le mariage homosexuel dans plusieurs Etats.
Pour savoir combien d'électeurs ont voté aux élections du 6 Novembre 2012, il faudra attendre des semaines à cause des systèmes américains de calculs, mais une projection de l'Associated Press signale une chute de 131 millions d'électeurs en 2008 à moins de 120 millions en 2012. Cela représenterait 53% des personnes ayant le droit de vote.
Ce chiffre se combine parfaitement avec les théories sur la «rigth nation». La majorité des Américains est plus proche des idées des républicains, et est aussi contre le mariage homosexuel et l'euthanasie. Seulement que, dans cette majorité conservatrice, ceux qui ne vont pas voter sont presque toujours plus nombreux que les abstentionistes de la minorité libérale. Donc, pour traduire la majorité que la «rigth nation» a le «pays réel» en majorité effective dans le «pays légal» des élections et des référendums, il faut motiver les conservateurs pour qu'ils se rendent aux urnes. Et ce malgré le fait que la «rigth nation» est, en effet, majoritaire, au point de donner la victoire aux républicains - en dépit de l'abstention - à la Chambre des représentants, où les comptes se font et se défont collège par collège (ndt: ce serait à préciser...).

Comment motive-t-on l'électeur tenté par l'abstention? Le président Bill Clinton a inventé le fameux slogan «C'est l'économie, idiot» (1), estimant que son succès viendrait du fait que sa campagne parle de l'économie, qui est ce qui intéresse vraiment les électeurs, tandis que les républicains parlent davantage des valeurs, du rôle de l'Amérique dans le monde et de la politique étrangère.
La thèse de Clinton, toutefois, est vraie à l'égard de la minorité qui va voter. En 1996, Clinton a été élu lors d'une élection à laquelle ont participé seulement 49% des personnes ayant le droit de vote, moins de la moitié, le pourcentage le plus faible de l'histoire des États-Unis après 1924. Si en revanche il s'agit de motiver ceux qui s'abstiennent en général, l'économie ne suffit pas. Il existe d'innombrables preuves du contraire: pour autant que la crise économique les frappe, les électeurs de la «rigth nation» sont convaincus que, quel que soit le gagnant, la crise se poursuivra à peu près de la même façon. Inversement, ils vont voter si quelqu'un parvient à les enthousiasmer sur des sujets autres que l'économie. Si nous supprimons l'anomalie de l'année 2008 - avec les caractéristiques particulières du cas Obama - l'élection américaine avec le plus d'électeurs depuis 1968 a été celle de 2004, transformée par le président George W. sortant Bush, qui l'a remportée, en un authentique référendum sur les valeurs et les idéaux.

Il semble difficile d'échapper à la conclusion: malgré les campagnes des médias, qui, comme le dénonce Benoît XVI dans son encyclique Caritas in Veritate, ont désormais atteint une capacité de manipulation inouïe sur les thèmes hostiles à la vie et à la famille - et de ce martèlement incessant, il faut certainement tenir compte - les électeurs conservateurs aux États-Unis sont encore en majorité. Seulement que beaucoup d'entre eux ne vont pas voter. Ils se mobilisent seulement quand ils trouvent quelqu'un qui les enthousiasme, et l'enthousiasme ne fonctionne que sur des questions qui ne peuvent être réduites à la seule économie.
Les recettes économiques de Romney étaient très raisonnables. Son analyse de la crise économique était convaincante. Mais Romney, peut-être mal conseillé par des membres d'une certaine faction républicaine ou peut-être intimidé par les attaques médiatiques sans précédent à la moindre allusion, a couru en tirant sur le frein à main, sur des questions comme le mariage homosexuel ou l'avortement. Le nombre d'abstentions est là pour prouver que la campagne de Romney,même intelligente et honorable, n'a pas suffi à mobiliser la «rigth nation». Avec pour effet secondaire qu'en n'allant pas aux urnes, l'électeur conservateur qui n'a pas voté à l'élection présidentielle, n'a pas voté non plus au référendum sur la drogue, le mariage homosexuel, ou l'euthanasie, où au Massachusetts les défenseurs de la vie l'ont échappé belle.
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Bien sûr, il serait exagéré et excessif d'attribuer la défaite de Romney à la seule réticence à introduire dans sa campagne électorale avec plus de vigueur les éléments idéaux et doctrinaux et les valeurs non négociables. Mais certainement son échec s'explique par le fait qu'il n'a pas réussi à amener aux urnes beaucoup d'électeurs de la majorité conservatrice, qui n'est ni inexistante ni inventée, qui ne sont pas allés voter pour son adversaires et sont restés à la maison.
Le phénomène est désormais mondial. Les candidats conservateurs ne peuvent gagner qu'en motivant leur électorat fatigué et désillusionné et en le soustrayant à l'abstention. Il n'est pas absolument certain qu'ils parviendront à le motiver en insistant sur les principes et les valeurs. Mais il est très probable que, s'ils continuent à avoir peur de montrer du courage et à ne pas parler, parler peu ou lancer des messages contradictoires sur les principes et les valeurs de la vie et de la famille, ils ne parviendront pas à enthousiasmer ceux qui sont poussés par le dégoût de la politique à se réfugier dans l'abstention. Et ils seront encore une fois vaincus par l'abstention. La prochaine fois, chacun fera bien de se répéter: «Ce n'est pas (seulement) l'économie, idiot»

Note

(1) "It's the economy, stupid": un billet (exécrable) de John Allen contenant l'expression, m'avait bien intriguée (benoit-et-moi.fr/2008/ ).
Il s'agit d'une phrase prononcée par Bill Clinton lors d'un débat télévisé l'opposant au président sortant George Bush père en 1992; la légende prétend qu'elle aurait coûté à ce dernier sa réélection.
"Ce retour aux préoccupations concrètes des électeurs – chômage, pouvoir d’achat – reste aujourd’hui, pour nombre de stratèges politiques, la vraie formule du succès, surtout pour des candidats se réclamant d’une pensée progressiste" (cf. ici).
Et cela explique que "nos" medias" ne parlent QUE d'économie durant les campagnes électorales!
La phrase est souvent reprise aux Etats-Unis, où elle fait partie de la culture politique, et elle fréquemment détournée en remplaçant économie par un autre nom.