Quand les francs-maçons saluent Vatican II

Il y a des amabilités dont on se passerait. Mais les mêmes, heureusement, déplorent un "retranchement dogmatique" aujourd'hui. Article de Giacomo Galeazzi, et les deux notes de la CDF, signées du cardinal Ratzinger (15/10/2012)

Sur le blog de Raffaella, un lecteur érudit ironise, et rappelle le célèbre épisode du cheval de Troyes, dans l'Enéïde: « timeo danaos et dona ferentes » (Je crains les Grecs, même quand ils font des présents), mots par lesquels le grand prêtre Laocoon cherche à dissuader les Troyens de faire entrer dans leurs murs le cheval de bois que les Grecs avaient perfidement laissé sur le rivage, et dans les flancs duquel ils avaient caché des guerriers: Virgile, Énéide, liv. II, v. 49 (source).

Les remarques des francs-maçons ne peuvent pas ne pas faire penser, une fois de plus, à la phrase célèbre de Paul VI - ici, vanté, mais dans le seul but de l'opposer au Pape actuel - dénonçant les fumées de Satan entrées dans l'Eglise (La prophétie de Paul VI)

Article de Giacomo Galeazzi ici: vaticaninsider.lastampa.it
Ma traduction.

     

Des francs-maçons, l'hommage au Concile: «Il a enseigné la valeur du dialogue»
Mais les relations avec l'Eglise restent difficiles: «Aujourd'hui, cette grande poussée a été remplacée par une attitude dogmatique»
Giacomo Galeazzi
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L'hommage des francs-maçons au Concile: «Vatican II a enseigné aux croyants l'importance du dialogue comme méthode rendant possible la rencontre entre les hommes, au-delà de toute croyance ou appartenance; à se sentir comme partie d'une communauté en mouvement. A nous, laïcs, il a appris à reconnaître l'humanité de l'Eglise (!!). Après cinquante ans, ce message de paix, d'harmonie et de fraternité entre tous les hommes est plus que jamais vivant et nécessaire pour réagir à la crise des valeurs qui menace notre monde moderne», déclare Gustavo Raffi, Grand Maître du Grand Orient d'Italie, rappelant l'anniversaire de l'ouverture des travaux du Concile Vatican II.

«Le Concile - poursuit Raffi - obligea les hommes d'Eglise à la confrontation avec la société, au moment où celle-ci s'ouvrait à la modernité. Parmi les résultats, une nouvelle conception d'une institution qui risquait de rester enfermée dans la tour d'ivoire de la doctrine et qui au contraire décida d'ouvrir ses portes aux hommes (!!). Je suis navré de voir aujourd'hui que cette grande poussée vers une vision plus humaine de l'Eglise a été ensuite remplacée par un retranchement dogmatique, une attitude de fermeture a priori». « La Franc-maçonnerie, désormais depuis des siècles, enseigne à regarder au-delà des horizons des dogmes et des différences, ouvrant son cœur à la rencontre avec l'autre, avec une nouvelle disposition de connaissance et de respect. Nous souhaitons à l'Eglise de s'ouvrir à nouveau au monde, s'inspirant à ce bref et courageux printemps représenté par le Concile Vatican II et à l'exemple trop souvent oublié du Pape Montini, et qu'elle accepte de dialoguer, sans préjugés, avec tous les hommes de bonne volonté».

L'histoire des relations entre l'Eglise et la franc-maçonnerie est marquée par des moments de grande fermeture, alternant avec des périodes d'ouverture et de dialogue. Le problème est parmi les nœuds les plus sensibles qui affligent l'Église. C'est une histoire peu connue, constellée le plus souvent, aux XVIIIe et XIXe siècles, de condamnations papales, et de moments contradictoires au XXe siècle. On doit la première déclaration papale à Clément XII qui, le 28 Avril 1738 (tout juste vingt et un ans après la naissance officielle de la franc-maçonnerie, puisque la date retenue est 1717), promulga la bulle In eminenti apostolatus, par laquelle il affirmait l'incompatibilité entre l'Église et la franc-maçonnerie. Depuis ce moment, un chemin très problématique s'est développé.

L'ancien grand maître du Grand Orient d'Italie, Giuliano Di Bernardo, professeur de philosophie des sciences à l'Université de Trente, propose une analyse intéressante: «Les relations entre l'Église et la franc-maçonnerie sont très anciennes. Et historiquement, il y a toujours eu des loges maçonniques dans l'Église catholique. L'Eglise a considéré la Franc-Maçonnerie comme une ressource dès ses origines, au début du XVIIIe siècle. Et à ses débuts, elle lui a paru utile pour reconstruire le schisme anglican. De 1717 à 1738, il s'est créé une situation dans laquelle l'Eglise espérait modifier l'état des affaires religieuses en Angleterre à travers la maçonnerie. Pas moins qu'une tentative pour ramener l'Église anglicane dans l'Église de Rome». Cette tentative n'a pas fonctionné. Ainsi, la francs-maçonnerie, qui à partir de l'Angleterre commençait à se répandre dans le reste de l'Europe, devint une force antagoniste. «En 1738, le Pape en vint à la bulle d'excommunication des catholiques qui se seraient inscrits à la francs-maçonnerie, mais elle n'arriva qu'au moment où, au Vatican ils ont réalisé que les francs-maçons ne pouvaient plus servir à leurs fins. C'est à partir de ce moment que l'on commença à appliquer le principe de l'incompatibilité entre être catholique et être maçon. C'est-à-dire que le fondement de l'incompatibilité, c'est l'idée que le catholique n'a pas besoin d'une autre religion. Alors nous, ce que nous voyons, c'est qu'à la base de l'incompatibilité, de la part de l'Eglise catholique, il y a la reconnaissance du caractère de religion de la Franc-Maçonnerie. Et pourtant, il existe des documents montrant que la franc-maçonnerie a toujours refusé le statut de religion. Pour la maçonnerie un catholique ou un croyant d'une autre religion, s'il veut venir, il peut. Parce que la "foi" dans la franc-maçonnerie n'est pas inconciliable avec les autres religions, puisque que la franc-maçonnerie n'est pas une "religion" », explique Di Bernardo.

Une analyse encore plus riche et structurée est celle du Grand Maître de la Grande Loge d'Italie, Fabio Venzi, qui sous une forme sobre et réservée poursuit un front de dialogue avec des représentants du Vatican (??). «Voulant faire un tour d'horizon rapide des documents de l'Église catholique sur la franc-maçonnerie, on se rend compte que l'on est face à des contradictions», commence Venzi. «Le premier document de l'Église catholique contre la franc-maçonnerie, la bulle d'excommunication de 1738 In Eminenti apostulato specula du pape Clément XII, accusait la franc-maçonnerie d'"hérésie". Nous y lisons textuellement: "Nous souhaitons également et ordonnons que tant les évêques, les prélats supérieurs et autres Ordinaires locaux, que Inquisiteurs du mal hérétique en quelque lieu que ce soit, poursuivent et faissent inquisition (enquête) contre les tranggresseurs de tout état, grade, condition, ordre de dignité et prééminence, et qu'ils répriment et punissent les mêmes avec les mêmes peines frappant ceux qui sont soupçonnés d'hérésie". Et la Lettre apostolique "Quaesitum est", du cardinal Ratzinger (1), accuse au contraire la franc-maçonnerie de "relativisme". Entre les deux documents, il en existe d'autres en apparence de moindre importance, mais essentiels pour déceler l'évolution des opinions et des positions de l'Église catholique envers la franc-mançonnerie», poursuit Venzi, selon qui «comme il n'existe pas de corps de référence unique qui représente le vaste et multiforme mouvement maçonnique international, il est crucial de savoir quelles sont les sources sur lesquelles l'Église catholique s'est basée pour la publication des documents les plus récents».

(1) Les 2 notes de la CDF

a. Lire ici .

En réalité, ce texte très bref de novembre 1983, dont les premiers mots en latin sont en effet "de quaesitum est" (on a demandé) ne parle pas de relativisme
Il est seulement rappelé:

On a demandé si le jugement de l’Eglise sur les associations maçonniques était changé, étant donné que dans le nouveau Code de droit canonique il n’en est pas fait mention expresse, comme dans le Code antérieur.
Cette Congrégation est en mesure de répondre qu’une telle circonstance est due au critère adopté dans la rédaction, qui a été suivi aussi pour d’autres associations également passées sous silence parce qu’elles sont inclues dans des catégories plus larges.
Le jugement négatif de l’Eglise sur les associations maçonniques demeure donc inchangé, parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l’Eglise, et l’inscription à ces associations reste interdite par l’Eglise. Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion

b. Ce texte a été suivi, en 1985, d'une réflexion sur l'"impossibilité de conciliation entre foi chrétienne et maçonnerie", voir ici.
C'est là qu'est effectivement longuement abordé le concept de "relativisme" (extrait):

Même si l’on affirme [dans la maçonnerie] que le relativisme n’est pas assumé en tant que dogme, on propose cependant en réalité une conception symbolique relativiste et, ainsi, la valeur relativisante d’une telle communauté morale-rituelle, loin de pouvoir être éliminée, apparaît au contraire déterminante.

Dans un tel contexte, les diverses communautés religieuses auxquelles appartiennent chaque membre des Loges ne peuvent être considérées que comme de simples institutionnalisations d’une vérité plus vaste et insaisissable. La valeur de ces institutionnalisations apparaît donc comme inévitablement relative en regard de cette vérité plus vaste qui se manifeste au contraire plutôt dans la communauté de la bonne volonté, c’est-à-dire dans la fraternité maçonnique.

Toutefois, pour un chrétien catholique, il ne lui est pas possible de vivre sa relation avec Dieu de deux façons, c’est-à-dire en la scindant sous une forme humanitaire: supraconfessionnelle, et sous une forme interne: chrétienne. Il ne peut entretenir de relations de deux sortes avec Dieu, ni exprimer son rapport avec le Créateur par des formes symboliques de deux natures. Ceci représenterait quelque chose de totalement différent de cette collaboration, évidente pour lui, avec tous ceux qui sont engagés dans l’accomplissement du bien, même à partir de principes différents. D’autre part, un chrétien catholique ne peut pas, simultanément, participer à la pleine communion de la fraternité chrétienne et considérer son frère chrétien, par ailleurs, selon l’optique maçonnique, comme un «profane».

Même, comme on l’a déjà dit, s’il n’y avait pas obligation explicite de professer le relativisme en tant que doctrine, la force relativisante d’une telle fraternité, en raison de sa logique intrinsèque elle-même a cependant en soi la capacité de transformer la structure de l’acte de foi si radicalement qu’elle ne serait plus acceptable pour un chrétien «auquel sa foi est chère» (Léon XIII).