Quand Steve Jobs s'invite au Synode

Le Père Antonio Bucciardo - qui souligne les échos négatifs du Synode - met en perspective deux visions de l'Eglise: celle du Supérieur des jésuites, et celle d'un jeune catéchiste romain de 23 ans (29/10/2012)

Il y a deux jours, j'écrivais: Synode, des critiques pas vraiment inattendues.
Les critiques ont été confirmées (entre autres...) par Jean-Marie Guénois, qui parle sur le Figaro, à propos du message final de "cette interminable et quasi parfaite copie d'élève appliqué - douze pages -, qui veut traiter de tout et n'oublier personne, [qui] semble avoir perdu, en chemin, ce feu sacré que Benoît XVI voulait ranimer" .

Et sur Vatican Insider, Giacomo Galeazzi écrit:
"Une discrète autocritique pour les scandales et un appel générique pour la relance de la foi. Beaucoup de déclarations solennelles mais peu de solutions concrètes aux questions les plus épineuses sur le tapis. La montagne (le Synode des évêques pour la Nouvelle évangélisation) a accouché d'une souris (les 58 propositions finales approuvées aujourd'hui).."

Dommage que ces deux vaticanistes pourtant "aguerris" et souvent bien inspirés, aient feint d'ignorer que le travail du Synode va commencer maintenant, selon les modalités expliquées hier par le saint-Père au moment de l'Angelus (Le Saint-Père explique le Synode):

Pour ma part, j'ai écouté et recueilli beaucoup de matière à réflexion et beaucoup de propositions, qu'avec l'aide du Secrétariat du Synode et de mes collaborateurs, je vais essayer de trier et d'élaborer, pour offrir à toute l'Eglise une synthèse organique et des orientations cohérentes.

Le Père Antonio Ucciardo, découvert récemment (cf. L'eau du Gave et l'eau de la grâce) semble avoir eu, sur la réception critique, la même perception que moi.
Et il met en perspectives deux images saisies au long des deux semaines de débats: le passé - en l'occurrence, le Supérieur des jésuites, qui a cité Steve Jobs, réduisant l'Eglie à un immense centre commercial (cf. Synode, des critiques pas vraiment inattendues), et l'avenir - le jeune catéchiste romain Tommaso Spinelli, qui a osé exhorter les prêtres à être eux-mêmes (cf. Parmi les prêtres, peu de figures d'épaisseur).

     

Quand Jobs entre au Synode.
Da Porta Sant'Anna
28 octobre 2012
Don Antonio Ucciardo
---------------------------
Le Synode a achevé ses travaux. L'Esprit Saint se fera entendre, malgré les vents contraires qui soufflent sur l'Eglise et que le Pape lui-même a mentionnés dans son discours de clôture. Certains participants transmettront l'ardeur d'une foi renforcée par l'expérience singulière de la communion avec l'Eglise et avec le Successeur de Pierre. D'autres, comme l'ont déjà préfiguré certains commentaires, penseront avoir soustrait un temps précieux à leus engagements. C'est-à-dire qu'ils ne changeront rien, absolument rien à leurs convictions! Peu catholique, peut-être, mais profondément humain. Du reste, le Synode n'est pas un moment décisionnel ou magistériel au sens strict. Quelques-uns le voient peut-être comme un moment propositif, en ce sens qu'ils s'activent à faire en sorte que leur vision soit reconnue et adoptée.
Les «Propositions» constituent sans aucun doute une idée «propositive» , mais dans un autre sens. Elles prendront leur forme accomplie à travers la pensée plus haute que le Pape, à partir de leur contenu, voudra offrir à l'Église. Elles exprimeront alors finalement l'extraordinaire beauté de la vérité qui est symphonique. Les notes discordantes continueront sans doute à rendre l'écoute un peu confuse, mais elles ne seront jamais les notes de la partition que l'Eglise transformera en harmonie pour nous. Les considérations peinées de Paul VI me reviennent à l'esprit: «Ce qui me frappe, quand je considère le monde catholique, c'est que dans le catholicisme semble prédominer parfois une pensée de type non-catholique, et il peut arriver que cette pensée devienne demain plus forte. Mais elle ne représentera jamais la pensée de l'Église »(Jean Guitton, «Paul VI secret»).
En attendant de pouvoir réfléchir avec sérénité sur les interventions, les commentaires et interprétations (le Synode parallèle commencera sous peu, lorsque les voix discordantes essayeront d'en expliquer le sens), je vous propose deux images contrastées, qui m'ont frappé et qui, en un sens, sont à mes yeux le photogramme le plus représentatif de ce Synode.

D'une part, il y a le successeur de Saint-Ignace de Loyola, que je devrais regarder avec une sainte et humble crainte.
Parler de Compagnie de Jésus, d'une assemblée aussi prestigieuse, ne signifie pas seulement parler de ce que l'Ordre représente, aujourd'hui encore, dans l'Eglise. Cela signifie voir, sur les épaules de son Supérieur, les Exercices Sppirituels, la fidélité indéfectible au pape, le zèle missionnaire de Saint-François-Xavier, les fresques du frère Pozzo (Andrea Pozzo, 1642-1709), la diffusion de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, l'incroyable floraison de sainteté. Dans un registre plus «théologique», c'est voir sur ses épaules Saint-Pierre Canisius et Saint-Robert Bellarmin, le Collège Romain, Fourvière, Hugo Rahner, Daniélou, le premier von Balthasar (?), de Lubac. A vous donner la cheir de poule .... Il n'est pas exagéré de dire que la Compagnie représente l'histoire, la doctrine, la catholicité! Le passé, en somme, mais avec un "P" majuscule.
L'intervention du père Nicolas a mis l'accent sur les aspects les plus pastoraux et «médicinaux» de la Parole de Dieu: «En ces jours du Synode, nous avons écouté beaucoup de ces aspects qui font de l'Ecriture Sainte un don de Dieu si précieux. Toutefois, nous continuons de penser qu'il y en aura toujours de nouveaux ou sans réponse. Les questions les plus fréquentes que nous recevons sont de caractère pastoral. Le Peuple de Dieu continue de poser la question pastorale: comment pouvons-nous lire les Écritures afin qu'elles produisent en nous, dans nos cœurs, dans nos familles et dans nos communautés tous les effets positifs que la tradition chrétienne a proclamés au cours des siècles?». Il a aussi rappelé les conditions de rencontre de l'homme avec Dieu à partir de la Bible: «Les pasteurs et les ministres de la Parole devraient devenir une grande aide pour des rencontres positives et fécondes. Nous devons savoir où les personnes en sont vraiment (diagnostic); il nous faut la capacité de présenter la Parole (enseignement, prière, catéchèse biblique); on attend de nous que nous soyons une bonne compagnie dans l'approfondissement (contemplation); et nous sommes ordonnés ou appelés à une bonne direction chrétienne (service de charité pour la communauté et la vie chrétienne.)
Tout cela signifie que les pasteurs et les ministres de la Parole ont besoin d'une formation au bon diagnostic, à une sage application des modalités de la Lecture, à une prière et une intériorisation plus profonde de la Parole de Dieu et à un accompagnement significatif, qui aide les fidèles à discerner l'action de l'Esprit Saint dans et à travers la lecture de la Bible». Aspects, comme on le voit, très intéressants. Sans doute réductifs, car il n'y a aucune allusion au sens du Magistère et de la grande Tradition dans la lecture des Écritures, ni à cette rencontre qui se réalise dans la dimension sacramentelle.
Il faudrait lire cela, cependant, dans le contexte plus large des interventions et des discussions. A ce titre, l'intervention adopte une perspective précise, et peut aider l'Eglise à cueillir certaines indications susceptibles sinon de passer au second plan. Il est donc dommage que les médias se soient contentés d'un slogan, que le Supérieur des Jésuites a donné comme une synthèse de ses impressions. Ainsi nous lisons sur «Vatican Insider»: «Steve Jobs a dit qu'il était plus intéressé par les questions des consommateurs que par celles des producteurs».
C'est de cette considération qu'est parti le Père Adolfo Nicolas, supérieur des Jésuites, au cours d'un briefing sur le synode des évêques, avant de souligner avec un sourire: «Au synode, nous sommes principalement des producteurs». Et d'ajouter, faisant clairement référence au rôle des croyants: «J''espère - mais peut-être le Synode n'est-il pas l'endroit adéquat - que la voix des laïcs trouvera des expression pour affronter en termes réels le problème de l'évangélisation»(...)
Quant au mérite du synode, le Père Nicolas a souligné, en réponse aux questions des journalistes, que le synode «a porté davantage sur les fondamentaux de la nouvelle évangélisation que sur des questions marginales (de frontières).
A l'examen de ces derniers mots, je suis effleuré par le doute que les premiers sont effectivement réducteurs. Je pourrais dire que je m'attendais à mieux de la part de quelqu'un qui porte un tel poids poids sur ses épaules. Mais là, je risquerais de formuler un jugement sommaire, et ce ne serait pas correct.
Je dirais donc que j'aurais souhaité une parole franche, propre à rassurer ceux qui, comme moi, pensent que si l'Evangile doit être annoncé là où il y a des questions marginales, c'est parce qu'il a en lui une force libératrice par rapport à toute forme de marginalisation, et non pas parce qu'il trouve son sens dans les questions marginales. Cela semble des discussions stériles, mais en fin de compte déterminantes pour l'évangélisation elle-même. Les termes réels de la question ne sont en effet pas clairs, ni le poids concret à attribuer aux laïcs. Il se peut donc que la clé de compréhension se trouve dans cette allusion certainement inhabituelle, à Steve Jobs et aux exigences des consommateurs. Les choses étant posées ainsi, les «marges» prennent une physionomie plus claire. En d'autres termes, c'est la base qui définit les termes de l'annonce et ses modalités. Comme si l'Église était un immense centre commercial!

De l'autre côté, il y a le futur, mais avec un "f" minuscule. Il a le visage et la voix de Thomas Spinelli, un catéchiste de vingt-trois ans, et donc, à plein titre, enfant du post-concile. Deux âmes contrastées? Plutôt deux faces de la même Église, qui est jeune justement à cause de son âge vénérable. Il nous dit quelque chose de différent, et déplace les termes des marges vers le cœur de l'Eglise: «La nouvelle évangélisation a besoins de substance; de catéchèses substantielles qui peuvent dire quelque chose de grave à nos vies, mais aussi et surtout, de vies "consistantes" qui montrent dans les faits la force d'un chrétien (...) Ce qui m'inquiète, c'est que ces figures "consistantes" sont de plus en plus une minorité .Le prêtre a perdu confiance dans l'importance de son ministère, il a perdu son charisme et sa culture. Je vois des prêtres qui s'adaptent à la pensée dominante. Et la même chose vaut dans la liturgie qui, dans la tentative d'être originale, n'est que pâle et insigniante. Prêtres, je vous demande de trouver le courage d'être vous-mêmes. N'ayez pas peur, car là où vous serez véritablement prêtres, là où vous proposerez sans crainte la vérité de la foi nous, les jeunes, nous vous suivrons. Les paroles de Pierre sont en effet les nôtres: "Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle". Et nous avons une faim infinie de quelque chose d'éternel et vrai».
Tout commentaire est superflu!

Voici donc ici le passé et l'avenir. Voici l'étrange paradoxe d'un passé qui veut dire des paroles qui pourraient configurer l'Église à quelque chose de pas clairement défini, et d'un avenir qui dit les paroles d'un passé fécond. C'est cela, les deux extrêmes du défi de la nouvelle évangélisation. Et nous, avec l'insouciance de la foi, nous n'avons aucun doute quant à la direction que l'Esprit Saint indiquera au timonier. Parce que nous avons confiance en la fiabilité de Dieu et nous sommes sûrs qu'il ne peut pas se contredire. Qu'a-t-il demandé à la barque, quand il l'a déposée sur les flots de l'histoire? Une seule chose: «Allez donc et faites des disciples de toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai ordonné. Et voici, je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde »(Mt 28, 19-20).
Enseigner et ordonner: on ne peut pas prétendre que ces deux verbes ne sont pas là. Tel est le seul problème de la navigation sereine.

Don Antonio Ucciardo