Qui a peur de la crèche?

Une question du prêtre italien déjà croisé dans ces pages, don Ucciardo, tristement d'actualité alors que dans plusieurs pays "de vieille tradition catholique", des crèches ont été la cible d'actes de vandalisme - comme c'était le cas dans ma ville le week-end dernier (11/12/2012)

Ci-dessous: capture d'écran du journal régional du 10/12. Saint-Joseph a été décapité.

Cette réflexion du Père Ucciardo se place d'abord dans le contexte italien, où les épisodes de protestation contre la mise en place de crèches, notamment dans les écoles, se sont multipliés cette année encore.
La France n'en est pas exempte (même le Père Noël a été la cible de cette hostilité). Hier, aux informations régionales de France 3, j'ai appris que la crèche de notre ville (installée cette année dans un endroit très peu passant, presque cachée, sous un sapin très chichement décoré...) avait été vandalisée à plusieurs reprises. Des rois mages ont disparu, Saint-Joseph a été décapité, et sa tête explosée! L'adjoint aux services techniques a annoncé que pour des raisons bugétaires, les personnages ne seront pas remplacés....
La nouvelle, faut-il le préciser, est elle aussi passée pratiquement inaperçue (à l'exception de ce très bref reportage) et n'a donc pas suscité la plus minime réprobation de qui que ce soit.
Cela nous renvoie au discours du Saint-Père devant le parlement britannique, à Westminster Hall, le 17 septembre 2010:

* * *

(...) je ne puis que manifester ma préoccupation devant la croissante marginalisation de la religion, particulièrement du christianisme, qui s’installe dans certains domaines, même dans des nations qui mettent si fortement l’accent sur la tolérance. Certains militent pour que la voix de la religion soit étouffée, ou tout au moins reléguée à la seule sphère privée. D’autres soutiennent que la célébration publique de certaines fêtes, comme Noël, devrait être découragée, en arguant de manière peu défendable que cela pourrait offenser de quelque manière ceux qui professent une autre religion ou qui n’en ont pas.
(http://www.vatican.va)

     

Qui a peur de la crèche?

Don Ucciardo
4.12.2012
http://www.daportasantanna.it
(ma traduction, partielle)
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Qui donc a peur de la crèche?
Je dirais que l'irritation est le fait de quiconque ne ressent plus le caractère sacré de la vie. Il serait peut-être préférable de dire que ceux qui ressentent de l'irritation sont ceux qui ont érigé contre la vie des barrières idéologiques de tous genres, s'il est vrai que, même dans cette culture sécularisée, le climat de Noël résiste. D'accord, ce n'est pas le climat de foi; ce n'est pas le Noël qui a Jésus à son centre, c'est vrai. Cependant, comme un récipient sans contenu, les symboles de Noël semblent résister. Il n'y a pas de préjugé profondément enraciné contre la crèche, s'il est vrai que les Italiens se transforment encore, chaque année, en autant de Cupiello (1). Il y a un préjugé de plus en plus fort contre l'Église. Ce qui semble vraiment étrange, c'est cette perception singulière du rapport qui existe entre la chair du Christ et l'Église. Désormais, il semble échapper aux catholiques eux-mêmes, mais il est par contre très clair pour ces idéologues improvisés. En effet, la lutte contre la crèche n'est jamais la lutte contre le directeur (de l'école), contre le curé, contre le maire, contre les familles des élèves. Ce n'est même pas une lutte contre le christianisme en général. C'est toujours une aversion envers l'Eglise catholique. Parce que seule l'Église catholique, entendue dans ce cas comme «sommet», s'oppose à toute forme de violence contre la vie. On n'a pas peur d'une représentation. On a peur que cette chair puisse être quelque chose de terriblement sérieux.

La crèche fait peur à l'homme qui n'aime pas qu'on lui rappelle le sens du divin. Les combats contre les crucifix et les cloches ont la même matrice, elle aussi idéologique.
La crèche fait peur à celui qui se considère comme si intelligent qu'il n'accepte pas un Dieu qui parle à l'homme avec des paroles humaines. Il vaut toujours mieux parler au divin que d'être interpelé par le divin...
La crèche fait peur à celui qui comprend l'histoire dans une circularité qui rend raison de tout: idéologie, combats du moment, progrès, retour à l'âge d'or. Une éternelle confusion dans laquelle on se sent libre de toute forme de responsabilité. Si l'éternel entre dans le temps, l'histoire assume un sens nouveau, elle se charge de progrès authentique, elle renvoie au grenier les textes des révolutions.
La crèche fait peur à l'homme qui ne veut pas expliquer la solitude dans laquelle il est plombé. On croit entendre résonner partout dans notre culture de moins en moins cultivée, les paroles du Psaume 64: "Ils méditent des iniquités et réalisent leurs plans! L'homme est un goufre, et son cœur un abîme". La simplicité de la crèche est désarmante, c'est une voix qui remplit l'abîme, c'est un signe de la grâce qui guérit le coeur. C'est ce que disent les personnages, immobiles dans le dynamisme de toute la scène.

A présent, il ne nous reste plus qu'à voir ce que nous mettrons dans la cabane quand l'homoparentalité sera devenue le nouveau principe de notre société. En attendant, profitons encore de la stupeur respectueuse des bergers, du voyage des Mages et de l'odeur du musc. Peut-être même que nous retrouverons le regard que nous avions, enfants, quand la vie elle-même nous apparaissait comme un Noël sans fin.

Don Antonio Ucciardo
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(1) Allusion à la pièce d'Eduardo de Filippo (1900-1984) "Noël chez les Cupiello" :
A Naples, dans les années trente. Luca Cupiello, attaché avec nostalgie aux traditions de son enfance, construit la crèche de Noël. Sa femme ne l'approuve guère, quant à son fils il dénigre le travail de son père...Luca a une vision angélique du monde, ignorant l'existence du mal. Ses illusions vont se briser quand il va découvrir que son fils est un bon à rien, que sa fille est prête à abandonner son mari, tant admiré, que son frère le vole... il ne peut plus supporter de vivre.