Révolution féminine au Concile

Un livre vient de paraître en Italie, sur les 23 femmes invitées par Paul VI à assister au Concile en tant qu'auditrice. Recension de Lucetta Scaraffia (23/7/2012)

>>> Plusieurs articles de ce site ont été consacrés à Lucetta Scaraffia: cf. Recherche Google

Un supplément féminin à l'OR

Lucetta Scaraffia a eu récemment les honneurs des medias français: le 30 mai dernier, l'Osservatore Romano faisait paraître son premier supplément féminin, "Insertio" (sur lequel je n'ai pour le moment pas d'opinion précise, n'ayant pas eu d'échantillon sous les yeux), et nos féministes ne pouvaient pas laisser passer l'aubaine.
A propos, il faudrait que je pense à un supplément masculin pour mon site, peut-être cela "boosterait"-il mes visites!

Une dépêche de l'AFP a été reprise par plusieurs medias, dont Le Point.fr du 8 juillet, qui a consacré à Mme Scaraffia un article sous le titre accrocheur Une féministe au Vatican. Des sites féministes, par exemple terrafemina.com ont également "habillé" l'article de l'AFP, sur un ton légèrement plus militant (par exemple, on lit sur ce dernier: En revanche, si elle soutient l’introduction progressive des femmes dans les arcanes du pouvoir catholique, ses valeurs religieuses n’évoluent pas aussi rapidement : elle défend ardemment les organisations anti-avortement, n’imagine pas l’ordination des femmes et confirme l’obligation de célibat pour les prêtres. Une manière de marquer sa différence avec les autres féministes, le plus souvent laïques.)

L'article du Point vaut mieux que son titre, et Lucetta Scaraffia n'est pas une sotte: elle ne s'est pas laissée piéger par les questions auxquelles il me semble qu'elle a répondu sur le ton de l'humour, et sa loyauté envers le Saint-Père ne fait pas de doute. (1).

Plus intéressant, Zenit a de son côté publié le 4 juin dernier une interviewe où elle présente le contenu du supplément 'Insertio' et écarte de possibles ambiguïtés sur le féminisme (2)

Mais il est clair qu'en se positionnant sur ce terrain, elle prend le risque de ne pas être comprise par les medias habitués aux simplifications (puisque pour eux, féminisme = "égalité" homme-femme, et donc en particulier ordination des femmes), et de là source de malentendus et de préjudices contre L'Eglise.


* * *

Voici la présentation du livre "féministe" par l'éditeur, et la fine critique de Lucetta Scaraffia. Comme elle, on peut déplorer qu'une initiative noble, dans le sens d'un vrai progrès, ait été après coup récupéré par un mouvement politique dans lequel, finalement, très peu de femmes peuvent se reconnaître.

Présentation de l'éditeur

Mères du Concile

Vingt-trois femmes à Vatican II

Mardi 8 Septembre 1964, Paul VI annonça officiellement la présence d'auditrices au Concile Vatican II et le 25 de ce mois, la première femme entra dans la salle, la française Marie-Louise Monnet (ndt: soeur de Jean Monnet). De Septembre 1964 à Août 1965, vingt-trois femmes ont été appelés en tout: dix religieuses et treize laïques, choisies la plupart du temps, selon les critères d'internationalité et de représentativité. Leur participation, dans l'esprit de nombreux Pères conciliaires, devait plutôt avoir un caractère symbolique, mais au contraire, elle a été particulièrement significative, laissant des signes importants dans les documents mêmes du Concile. Grâce à une documentation inédite et passionnante, le livre présente les visages et les histoires de ces "mères du Concile" qui pour la première fois, ont pris part à quelques-unes des sessions conciliaires et, tout en respectant l'ordre de se taire lors des assemblées générales, ont su trouver les occasions justes pour prononcer des paroles efficaces.
(www.carocci.it/)

L'article de Scaraffia

Révolution féminine au Concile
http://www.ilsole24ore.com
Lucetta Scaraffia
------------------------
Les 23 femmes invitées par Paul VI à participer au Concile Vatican II en tant qu'auditrices ont assisté aux réunions vêtues de noir avec un voile sur la tête, comme à une cérémonie pontificale. Dans les intervalles, elles pouvaient aller dans une petite salle-bar séparée, préparée pour elles, et par deux fois, Pilar Bellosillo, présidente de l'Union mondiale des organisations féminines catholiques, s'est vue refuser la possibilité de parler en public. Toutes choses qui nous indignent aujourd'hui, mais normales, si elles sont jugées selon des critères historiques: en 1964, aucune réunion de la Banque d'Italie, du Conseil Supérieur de la Magistrature, et même de la Cour suprême des Etats-Unis, pour ne donner que quelques exemples, ne prévoyait de présence féminine.
Des livres comme celui d'Adriana Valerio, font plutôt comprendre à quel point le monde a changé rapidement et radicalement - même un monde lent comme celui de l'Église - grâce à la révolution des femmes. Déjà dans l'encyclique Pacem in Terris, Jean XXIII avait reconnu l'émancipation des femmes comme un important et positif "signe des temps", et de nombreux cardinaux et évêques appuyèrent la proposition de Paul VI d'ouvrir les portes du Concile à des "auditrices".
Le choix des invitées fut difficile, même si leur présence devait être symbolique - ainsi la définit Papa Montini - n'ayant ni le droit de parler, ni celui de voter. En revanche, les auditrices participèrent activement aux groupes de travail, présentèrent des mémoires et contribuèrent avec leur expérience à la rédaction de documents, en particulier sur des questions comme la vie religieuse, la famille, l'apostolat des laïcs.
La présence de deux veuves de guerre contribua à renforcer le poids des femmes dans les discussions sur la paix, auxquelles, de l'extérieur, l'américaine Dorothy Day contribuait par son activité de lobbying.
Parmi les auditrices, on comptait 10 religieuses et 13 laïques. Beaucoup d'entre elles, en particulier les religieuses, constituaient le fil terminal de groupes constitués aux marges de l'assemblée conciliaire pour préparer commentaires et requêtes. En particulier, le poids de ce travail de médiation pesa sur les épaules de Sabine de Valon, Supérieure Générale de la Société du Sacré-Cœur, qui, en 1962, avait organisé l'Union Internationale des Supérieures Générales, dont elle était présidente. Supérieure aussi des auditrices, et entrée dans la salle conciliaire pleine d'enthousiasme - elle salua ce moment comme «le passage de la salle d'attente à la salle de séjour» - elle rencontra ensuite une tension et une anxiété croissantes.
La plus vive des auditrices laïques fut sans aucun doute Pilar Bellosillo, Présidente de l'Union mondiale des organisations féminines catholiques, choisie pour cela à deux reprises comme porte-parole du groupe des auditeurs. En 1965, pour la dernière session, on nomma la plus jeune des participantes, l'Argentine Margarita Moyano Llerena, président du Conseil Supérieur des jeunes, combattive comme Gladys Parentelli, uruguayienne, qui persista durant les Concile à aller nu-tête et en manches courtes, au point d'être effacée des photographies officielles. Gladys fut déçue par le peu d'espace donné aux auditeurs laïcs au cours des travaux du Concile, au point de ne pas assister à la séance de clôture.
Lisant les biographies reconstruites dans le livre, on peut voir combien d'auditrices, parmi lesquelles la Parentelli, se sont par la suite rapprochées de positions progressistes, considérée comme peu orthodoxes. Bon nombre de participantes, en outre, se seraient déclarées en faveur du sacerdoce féminin. L'auteur prend parti pour ces dernières, sans hésitation, présentant avec un œil critique les observations finales de Paul VI sur les femmes, qui parlaient d'«un modèle représentant le féminin dans la fonction "naturelle" de gardien d'une humanité à sauver» parce qu'il insistait essentiellement sur le rôle maternel.

Le matériel offert par le livre mériterait en revanche une analyse plus approfondie, avec un œil plus attentif à la relation avec le monde extérieur de l'Eglise et aux changements de ces années-là, pour surmonter l'interprétation facile de chaque fait conciliaire comme progressiste ou conservateur.
Aussi parce que la présence des femmes, par le simple fait d'avoir eu lieu, a marqué un tournant majeur dans l'histoire de l'Église et du XXe siècle, alors que les possibilités sont plus nombreuses et plus nuancées que l'alternative entre conservation et progrès.

(1) Le Point.fr
Lucetta Scaraffia vénère Benoît XVI et se définit comme "féministe". Son combat ? Que les hommes dans l'Église cèdent une part de leur pouvoir aux femmes, qui ont apporté "tant de richesses" à deux mille ans de christianisme. Cette femme vivace de 64 ans aux yeux gris profonds, éminente historienne, est une battante qui se vante d'avoir l'appui de Joseph Ratzinger. Éditorialiste à l'Osservatore Romano, le journal du Vatican, et dans plusieurs quotidiens italiens, elle exprime ce qui la choque dans l'Église - l'ambition, la corruption du sexe et de l'argent. Dévouée corps et âme à l'institution, elle sait qu'elle s'y fait des ennemis.

Avec le soutien du pape - "c'est lui, dit-elle, qui a décidé qu'il devait y avoir des femmes à l'Osservatore Romano", elle a lancé le mois dernier l'Inserto, un supplément féminin mensuel du journal du Saint-Siège. Une première dans l'histoire de l'Église, inimaginable il y a dix ans.
...
Son "féminisme" diffère de celui des autres féministes laïques : elle est contre l'avortement, défend le célibat des prêtres et s'oppose à l'ordination des femmes estimant qu'elles ont une autre vocation que la prêtrise. La journaliste soutient Benoît XVI, "très seul et qui a une papauté très difficile car tous les problèmes qui étaient cachés ont éclaté... Des problèmes très enracinés dans l'Église depuis 30 ou 50 ans." "Il a le courage de voir les choses comme elles sont. Il laisse éclater les scandales. On les a toujours cachés. Dans le cas de Vatileaks aussi, il est ferme, il laisse sortir des choses." "Beaucoup de gens pensent qu'il est préférable de tout cacher. Lui dit : l'Église n'est pas protégée par le silence. Il pense que, pour la purification, la honte est nécessaire."

---------------
(2) Zenit.org
C'est un supplément pensé pour donner des informations sur la présence des femmes dans la vie de l’Eglise, dans le monde entier et faire résonner leurs paroles et actions. ...
Les femmes, religieuses ou laïques, sont non seulement très nombreuses dans la vie de l’Eglise, mais elles remplissent en plus des rôles importants et intéressants. Or, tout le monde pense au contraire que l’Eglise n’est faite que de cardinaux, d’évêques …comme cela, au moins une fois par mois, nous ouvrirons une fenêtre sur cette présence fondamentale d’aujourd’hui et d'hier.
...
Le féminisme a été et il est tant de choses. En premier lieu, il demande la reconnaissance du rôle de la femme qui est souvent – et précisément dans l’Eglise – sous-estimé et ignoré. Mais
il y a une différence entre le féminisme qui demande la parité des rôles en collant celui de la femme à celui l’homme, et qui veut donc effacer la différence féminine, en substance la maternité, et celui de la différence, qui reconnaît la différence mais veut la faire reconnaître.
Trop souvent, la différence est synonyme de disparité, mais nous la défendons et la ferons connaître, en proposant un nouveau féminisme.

-------------------

>> Voir aussi l'édito de GMV sur l'OR du 31 mai: www.osservatoreromano.va