Vaticaniste à l'époque de "Vatileaks"

Le témoignage de Jean-Louis de La Vaissière, correspondant de l’AFP au Vatican. (18/8/2012)

Ce témoignage, finalement plutôt bienveillant pour Benoît XVI, est très intéressant, non par ce qu'il nous apprend de la "communication" du Saint-Siège (de toutes façons, le mot n'a pas le même sens de part et d'autre du Tibre) mais par ce qu'il nous révèle de l'incompréhension (la méfiance, même, comme le dit l'auteur lui-même, et elle est réciproque) qui préside aux relations des journalistes "laïcs" avec le Pape. Ce sont deux univers (le Vatican et les medias) strictement parallèles, et définitivement étrangers.

Non moins intéressant est l'aperçu sur la façon dont les journalistes s'informent. Le bouche à oreille au Borgo Pio est sans aucun doute l'explication de nombreuses rumeurs infondées qui font la 'une' des medias.

Bref, on peut ne pas être d'accord avec eux (comme c'est mon cas), mais on est forcés d'admettre: c'est ainsi qu'ils le perçoivent.
Je me permets donc de reproduire l'article, comme document, et sans commentaires (j'espère que l'auteur ne m'en voudra pas de lui laisser une tribune).
Je l'ai trouvé ici: www.paris-normandie.fr

Vaticaniste à l'époque de "Vatileaks"
Vendredi 17 août 2012
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Avec le pape, les contacts directs, même si l'on est vaticaniste, sont à marquer d'une croix blanche.

Fin mars: Benoît XVI vient de monter dans le Boeing qui va l'emmener au Mexique et à Cuba. Peu après le décollage, le porte-parole du Saint-Siège, le jésuite italien Federico Lombardi , distribue cinq feuilles de questions, retenues parmi celles soumises par les médias en prévision d’une « conférence de presse ».

Contrairement à Jean Paul II, très à l'aise avec les médias, Benoît XVI ne se livre pas à un questions-réponses spontané. Le Vatican a recours aux questions envoyées à l'avance pour éviter les malentendus, depuis un voyage en Afrique en 2009 où une réponse du pape sur le préservatif qui "peut aggraver le problème" du Sida avait créé l'incompréhension dans le monde entier (1) . Au milieu d'une forêt de caméras et de magnétophones, le pape apparaît enfin, flanqué de son numéro deux, Tarcisio Bertone, et de son secrétaire particulier, Georg Gänswein.

Joseph Ratzinger, tout de blanc vêtu, apparaît fragile. Sérieux, concentré mais peu solennel, le contraire de sa caricature du "pitbull de Dieu". Ceux qui ont été sélectionnés pour poser les questions, dont cette fois l’AFP, sont présentés par le père Lombardi au "Santo Padre", et propulsés au milieu des caméramen qui les bousculent.

Joseph Ratzinger est (lui aussi) intimidé par l'exercice. Sa voix enrouée, au début peu assurée, alterne en italien et en espagnol. Il ne lit pas des réponses toutes faites, mais cligne des yeux et puis regardant loin devant lui, cherche la meilleure réponse, à la manière de l’ancien professeur qu’il a été.

A chaque départ en voyage, le chef de l'Eglise catholique se livre ainsi aux journalistes. Peut-être est-il heureux d'improviser sans lire un texte, libéré du carcan du Vatican et de ses intrigues? Toujours est-il qu'il s'en sort plutôt bien.

Méfiance, méfiance
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Cet exercice est exceptionnel, réservé aux seuls voyages. Parfois un ami mal informé me demande: "alors, ces conférences de presse au Vatican avec le pape?". Mais en réalité, la communication au Vatican n'est jamais spontanée.

Chercher à entrer en relation avec le pape ou les cardinaux, entrer dans le Saint des Saints, est quasi impossible ou nécessite beaucoup d'efforts et de temps. Il faut gagner la confiance, et, depuis les scandales et polémiques des dernières années (pédophilie, discours de Ratisbonne touchant à la violence et l’Islam, évêque intégriste révisionniste) et leur couverture par la presse jugée caricaturale au Vatican, la méfiance est plus forte que jamai

Les fuites de "Vatileaks", où des fonctionnaires anonymes et peut-être des "monsignori" ont photocopié des documents ultra secrets, sont certes des trahisons d'un serment, mais révèlent peut-être aussi l'exaspération de certains qui voudraient briser les murs d'une institution, par certains aspects moderne, mais par bien d'autres figée dans le temps.

La seule autre occasion d'être en contact à Rome avec le pape est de faire partie d'un pool restreint lors de la visite d'un dirigeant étranger. "Abito scuro" (habit sombre"), recommande l'invitation aux heureux élus. Journalistes et photographes, encadrés de près par des fonctionnaires, peuvent assister, après une longue attente dans un silence feutré, à l'échange de cadeaux dans la bibliothèque papale. Deviner quelques phrases sur ses lèvres. Et saluer Benoît XVI quelques secondes. Un pape qui regarde chacun attentivement, avec une surprenante présence. Des photos immortaliseront l'instant.

Bollettini
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La communication à la salle de presse est très rodée. "Bollettini" avec tous les communiqués et les discours du pape, conférences de presse très convenues où des cardinaux lisent de longs textes avant de répondre à quelques questions.

Pour certains évènements, vers midi, le père Lombardi descend à la salle de presse. Les "vaticanistes" se pressent debout autour de lui. Il lit un bref communiqué et le commente. Toujours prudent et mesuré, le chaleureux jésuite sera disponible ensuite au téléphone. Mais il reconnait lui-même n'avoir pas une ligne directe qui le relie au pape, comme l'avait de son temps le laïc espagnol Joaquin Navarro-Valls, porte-parole de Jean Paul II.

Sur "Vatileaks", le porte-parole a systématisé les points de presse. Signe d'ouverture, au moment où paradoxalement demander à parler à un cardinal dans un poste sensible semble plus que jamais voué à l'échec. Un test de l'ouverture viendra avec le procès du majordome du pape, Paolo Gabriele, accusé d’avoir subtilisé la correspondance du pape. S'il a lieu, s'il est public, s'il est ouvert aux journalistes au tribunal de la cité du Vatican, ce sera une première.

Certains dicastères (ministères) sont conscients de la nécessité de communiquer. Comme celui de la Culture et son bouillant président, le cardinal Gianfranco Ravasi. Mais la culture n'est pas "zone rouge". Certains sont particulièrement ouverts, comme le cardinal français Jean-Louis Tauran, à la tête du dialogue interreligieux. Mais pour les sujets les plus sensibles, à la Congrégation pour la doctrine de la foi ou à la Secrétairerie d'Etat (qui gère les relations internationales), la recherche de l'information se fait souvent de manière indirecte. Certains entretiens restent dans les limites de la "langue de buis". Des demandes d'interviews demeurent sans réponse.

C'est souvent à l'extérieur, en interrogeant quelque vaticanistes chevronnés, en assistant à l'Université de la Sainte-Croix ou dans des cafés du Borgo, à l'ombre du Vatican, à des rencontres organisés par l'Opus Dei, ou en parlant avec des jésuites, dominicains, etc (plus libres de parler parce qu'éloignés du sérail) qu'on apprend le plus de choses sur les enjeux et tensions au Vatican. Mais le secret reste tel qu'on comprend --avec le scandale Vatileaks-- pourquoi les journaux italiens échafaudent parfois des théories dignes d'Agatha Christie. Le Vatican est un peu responsable de cette image à "Da Vinci Code" qui lui colle à la peau.

Par Jean-Louis DE LA VAISSIERE, correspondant de l’AFP au Vatican

Note

(1) Rappelons que c'est un journaliste français, Philippe Visseyrias, l'envoyé spécial de France 2, (qui se trouvait -curieusement - à bord de l'avion papal) qui avait posé LA question polémique, déclenchant presque immédiatement le lynchage. Et qu'il avait posé cette question en personne, et non par l'intermédiaire du Père Lombardi. www.vatican.va/