Vatileaks: les mauvais coups de la Repubblica

Ou comment relancer une polémique qui s'essouffle, à coup de nouvelles inventées. Et c'est là que la presse étrangère puise en partie son information, sur le Pape et sur d'autres sujets. Dure mise au point du Père Lombardi (25/7/2012)

Il y a une dizaine de jours, j'alertais Marie-Anne (qui a la gentillesse de me traduire régulièrement des textes en allemand) à propos d'un article de Paul Badde, paru dans Die welt, et reproduit sur www.kath.net , lui demandant ce qu'elle en pensait, et s'il valait la peine d'être traduit.
La réponse de mon amie fut que l'article faisait état de ragots impliquant l'entourage proche du Saint-Père (Ingrid Stampa, Josef Clemens) et, disait-elle "A mon avis, ce n’est pas la peine de le traduire, nous verrons la suite".

L'article de Die Welt est assez longtemps resté à l'état dormant.
Le 23 juillet, coup de tonnerre en Italie (je dois le dire: pas encore en France, vacances d'été oblige, mais je ne doute pas que les habituelles vipères le gardent en réserve, et je préfère prendre les devants).
La Repubblica publiait sur deux pages un article signé Marco Ansaldo , successeur de Politi dans le rôle de vaticaniste malfaisant du quotidien gauchiste (1) sous le titre tonitruant:
La gouvernante, le ghost-writer et l'ex-secrétaire de Benoît, trois corbeaux de plus autour du Pape (l'allusion au 'ghost writer' est une petite saleté, comme ça, en passant, laissant supposer que le Saint-Père n'écrit pas lui-même ses discours, même si dans l'article, c'est plus nuancé, puisqu'il faut bien que quelqu'un relise les notes du Pape, les tape sur l'ordinateur, corrige d'éventuelles coquilles, et éventuellement recherche l'appareil bibliographique, et les citations).

Renseignement pris, il s'agissait d'un plagiat pur et simple de l'article de Paul Badde (dont je ne saisis pas bien le rôle, très décevant, dans cette affaire), ce qui en dit long sur les pratiques d'une certaine presse.
Quant au contenu, on pourrait dire "tout est dans le titre".

Cette mise en cause nominale de trois personnes considérées comme proches du Pape a provoqué l'indignation de la Secrétairerie d'Etat, et la fureur plus que légitime du Père Lombardi.
Il a diffusé un communiqué très dur, accusant explicitement la Repubblica de propagation de fausses nouvelles, dont le bulletin VIS, dans son compte-rendu, donne une version curieusement très édulcorée - une version plus conforme aux propos du P. Lombardi est dans l'article de Paolo Rodari traduit plus bas:

Réagissant à des articles de la presse italienne et allemande, faisant état "d'enquêtes relatives à la fuite de documents, et insinuant la complicité de personnes proches du Pape, la Secrétairerie d'Etat exprime sa vie et totale réprobation.
Non fondées sur des faits objectifs, ces indications blessent gravement l'honorabilité de personnes qui sont depuis longtemps au service du Saint-Père".
Le Directeur de la Salle de Presse a précisé que, "les résultats de l'enquête des autorités compétentes n'étant pas publiés, nul n'est légitimé à publier de telles interprétations infondées. Ce n'est pas l'information à laquelle l'opinion publique a droit".
Par ailleurs, sur les ondes de Radio Vatican, le P.Lombardi a redit une fois de plus que "le fait d'être entendu par une commission d'enquête se signifie aucunement être suspect. Si les trois personnes citées peuvent avoir été entendues cela ne signifie pas pour autant qu'on les suspecte de co-responsabilité ou de complicité... Quant à leur éloignement, le Cardinal Sardi a quitté la Secrétairerie d'Etat à 75 ans passés, Mme Stampa travaille toujours à la Secrétairerie d'Etat, et Mgr.Clemens est toujours Secrétaire du Conseil pontifical pour les laïcs. Il est faux qu'il ait reçu du Pape la lettre dont parle Die Welt, et que La Repubblica cite indirectement".
(VIS n° 145, 23 juillet 2012)

Simultanément, on voit re-sortir des articles larmoyants sur le pauvre Paoleto, sorti de cellule, et désormais simplement assigné à résidence, qui, selon son avocat, a envoyé une lettre au Saint-Père pour implorer son pardon "que le vieux Pape lui a déjà accordé dans son coeur, car il l'aimait comme un fils"!!!
A vous arracher des larmes, vraiment...
D'autres articles, cependant, rapportent comme un fait significatif que le Pape n'a pas rencontré son majordome dans sa cellule, comme l'avait fait JP II avec Ali Agça (en réalité, si rencontre il y a, la presse n'a aucune raison d'en être informée).
Bien entendu, l'intérêt des medias pour le majordome n'est nullement dû à une quelconque sollicitude pour sa personne. Dès le début, ils avaient décidé qu'il fallait regarder plus haut, qu'il n'était que le bras-armé - à son corps défendant - d'un complot plus vaste impliquant des personnalités de la haute hiérarchie de l'Eglise, montrant ainsi du doigt la fameuse mal-gouvernance du Pape (preuve qu'il travaillait pour d'autres, il avait dérobé des documents écrits en allemand, alors qu'il ne pouvait pas les lire!!!). Tout cela destiné, évidemment, à brouiller les pistes, et à détourner l'attention de l'opinion de leur propre responsabilité, sinon implication.
Car il y a une différence entre: 1. rapporter des commérages, et 2. inventer des faits; or, c'est de ce dernier fait, très grave, que le Père Lombardi accuse explicitement La Repubblica, dont l'article de Paolo Rodari traduit ci-dessous fait une citation étendue.

Depuis lors, les "méchants" de la Curie sont passés au second plan, car absolument aucun fait n'est venu étayer une quelconque implication de leur part (l'hypothèse Sodano a fait pschitt!!!), et l'on se rabat, faute de mieux, sur de très humains conflits de personnes, et de banals sentiments de jalousie, qui n'en ont pas moins pour résultat de montrer un pape isolé, affaibli, trahi par ceux qui le connaissent le mieux.

A ce stade, l'affaire des Vatileaks est redevenue ce qu'elle était au départ: un simple montage médiatique, où, comme je l'écrivais il y a deux mois, un journaliste peu scrupuleux (peut-être lui-même "recruté") s'abouchait avec un serviteur vénal, pour lui soutirer des informations. Propres malheureusement à alimenter par la suite tous les fantasmes.
Mais la question demeure: au profit de qui? Personnellement je penche pour les pouvoirs qui détiennent les medias, et qui veulent à tout prix faire taire le Pape... ce qui nous entraîne évidemment très loin, en tout cas, là où je ne peux pas suivre.
Voici en attendant ma traduction d'un article de Paolo Rodari, qui offre une bonne synthèse.

Paolo Rodari, dans Il Foglio

Le Vatican poursuit la guérilla contre La Repubblica à coup de démentis sur les corbeaux
http://www.ilfoglio.it/soloqui/14326
----------------------

Il n'y a pas de corbeaux en dehors de l'ancien majordome , au moins pour l'instant. D'abord le père Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, ensuite la Secrétairerie d'Etat du Vatican avec une note officielle, ont retourné à l'expéditeur, à savoir le quotidien La Repubblica, la rumeur selon laquelle l'ex valet de chambre Paolo Gabriele, objet d'une enquête pour le vol de documents dans l'appartement papal et désormais en résidence surveillée avait des complices. La Repubblica publie des noms de poids: l'ancienne gouvernante du pape, l'allemande et fidèle Ingrid Stampa, l'ancien secrétaire de Benoît XVI Josef Clemens et le cardinal Paolo Sardi, qui depuis plusieurs années, collabore à la rédaction des textes pontificaux: trois personnes à un moment très proches de Ratzinger, et certains pensent qu'ils ont pu éprouver du dépit de n'avoir pu profiter d'une familiarité plus grande avec le Pontife.

Lombardi répond non seulement en expliquant que l'indiscrétion recopie "un article de Paul Badde, paru dans Die Welt en ligne il y a une semaine (le 15 Juillet) sans ajouter pratiquement rien, sinon des arguments non pertinents et interprétés de manière infondée", mais aussi en énumérant plusieurs démentis que le Vatican a récemment dû réserver à la Repubblica:
"A ce stade, il est temps de souligner - a dit Lombardi - que l'information donnée dans les articles de la Repubblica sur toute cette affaire a été particulièrement, et je dirais de façon inexplicable, caractérisée par des interventions que j'ai dû à maintes reprises et publiquement réfuter".
Et encore: "Je rappelle seulement quelques occasions parmi les plus évidentes. La présumée interviewe (jamais advenue) avec la femme de Paolo Gabriele, peu après son arrestation (27 mai); l'interviewe avec un monsignore non identifié indiquant l'existence d'une (totalement inexistante) équipe de 'relateurs' coordonnée par une femme, qui ferait des rapports directement au pape (28 mai); l'article sur un prétendu «hacker» (totalement inexistant) consultant du Vatican et soudainement disparu (14 Juin); l'indication des noms de trois cardinaux qui étaient interrogés par la commission de cardinaux (faux dans les trois cas) (19 Juin). Aujourd'hui, avec cet article copié presque littéralement de l'allemand, une semaine après, qui souligne à dessein comme «complices» trois personnes dignes d'estime et de respect, la mesure semble comble".

La minutie de Lombardi confirme que pour le moment, pour le Vatican il n'y a pas d'autres suspects que Paolo Gabriele, ou du moins qu'il n'y en a pas parmi les personnalités à l'intérieur de la Curie romaine. Stampa, Sardi et Clemens, entre autres choses, "sont depuis de nombreuses années au fidèle service du Saint-Père", écrit la Secrétairerie d'Etat.

La nouvelle n'est pas négligeable , car elle dit une fois de plus qu'en interne, la thèse selon laquelle Vatileaks serait la fille d'une sorte de règlement de comptes entre factions opposées ne trouve pas de preuves. Ou que, de toutes façons, la thèse n'est aucunement prise en compte.
...

Les familiers de Castelgandolfo disent que Benoît XVI, au moins jusqu'à l'Assomption, ne veut pas être dérangé. Inutile de lui soumettre des dossiers qui ne relèvent pas de la rédaction du livre "Jésus de Nazareth" dédié aux Evangiles de l'Enfance. Cela ne signifie pas qu'il ne gouverne pas l'Église. Vatileaks, après tout, est la fille d'une de ses décisions explosives: la mise en place en 2011, à travers un Motu Proprio, de l'Autorité d'information financière qui, devant avoir un oeil sur tous les comptes du Vatican a suscité pas mal de mécontentement. Mais avant Vatileaks, d'autres crises: les critiques du monde juif pour le retour de la messe antique dans laquelle il y a l'expression «juifs perfides», la levée de l'excommunication des évêques lefebvistes, la "trahison du Concile" pour une grande partie de l'Eglise. Et aussi la possibilité - très critiquée, cette fois "à droite" - concédée aux anglicans de revenir à la communion avec Rome.
Crises lourdes, mais aussi voulues, par un Pape bien plus "de gouvernement" qu'il n'en a l'air.

Note

(1) Ansaldo fait du journalisme exécrable. Selon un lecteur du blog de Raffaella:

"Nous savons qu'Ansaldo adore inventer des dialogues en privé du Pape, et en plus l'article est un plagiat (il avait déjà été traduit en italien le 16 juillet par Giornalettismo).
Par ailleurs, il y a le toupet de multiplier les expressions comme "sa jalousie est célèbre derrière les murs léonins", " les relations d'amitié et de travail entre ... et ... sont bien connues", et "même les passereaux sur les toits du vatican connaissent l'envie nourrie par .." (ndt: bizarre... cela me rappelle quelque chose...).
Si tout cela était tellement connu, cher Ansaldo, pourquoi avoir déblatéré pendant des mois contre Sodano, et pourquoi seulement après l'article de Badde ces inconnus émérites deviennent-ils si fameux? "