Vatileaks? Une opération commerciale

Le commentaire de Massimo Introvigne, interviewé dans Il Sussidiario (15/8/2012). [Photo ci-contre: Gianluigi Nuzzi]

>>> Relire: Vatileaks, 8 options + 1 (benoit-et-moi.fr/2012(II))

Vatileaks arrive-t-il à son dénouement?
C'est ce que semble croire Massimo Introvigne. Pour lui, de toutes les conjectures qui ont pu être faites, il n'en reste qu'une, la plus simple (et la plus vraisemblable, en réalité): celle d'un "micro-complot", impliquant une paire de misérables, et qui a rapporté beaucoup d'argent à ceux qui l'ont fomenté, tout en jetant un peu plus de boue sur l'Eglise. La seule réflexion que j'ajouterais, en me répétant (et qui me ferait douter du préfixe "micro"), c'est celle-là: pour qu'une opération de cette nature prenne autant d'ampleur, il faut un "client", ou si l'on veut, un commanditaire. Tous les scandales révélés n'aboutissent pas à une explosion, et même 99% d'entre eux restent dans l'ombre. Il faut quelque chose de plus. Le sinistre Nuzzi n'a été qu'un élément mineur (et sans doute à son insu) de la chaîne d'évènements qui a abouti au scandale Vatileaks que nous connaissons.
Pour avoir une idée de la bassesse des deux misérables, le majordome félon et le journaliste marron, on regardera sur le site de la 7 (1) , la rediffusion de l'émission "les intouchables" qui a mis le feu aux poudres en février dernier.. "Edifiant", même si on ne comprend pas l'italien. Dans cette bouffonnerie sinistre, le majordome apparait encagoulé, la voix camouflée. Il prétend lire chaque jour l'Evangile, dont la phrase la plus belle, dit-il est "Aimez-vous les uns les autres... " On ne lui contestera pas ce point. L'interprétation qu'il en fait, toutefois, si. Comme il trouvait sans doute que ce précepte évangélique n'était pas assez appliqué au Vatican, il en a donné sa propre version. On voit le résultat.

VATILEAKS / Introvigne: mais quels secrets, c'est juste une opération commerciale.
Massimo Introvigne
Il Sussidiario

Un chèque de 100.000 euros à l'ordre de Saint-Père (2), une pépite d'or et une copie précieuse de l'Enéide datant du XVIe siècle. Dans l'appartement de Paolo Gabriele, majordome du Pape Benoît XVI, ont été trouvés des objets précieux et des documents confidentiels. L'homme a été inculpé par la magistrature du Vatican. Sur le banc des accusés, Claudio Sciarpelletti, technicien en informatique, a été arrêté le 25 mai dernier. Ses responsabilités seront établies, bien que le porte-parole du Vatican Federico Lombardi ait souligné que son rôle est «marginal» dans l'histoire.
Le scandale Vatileaks continue donc, bien que certaines pièces du puzzle semblent avoir trouvé une place. C'était bien Paolo Gabriele la source de Gianluig Nuzzi, l'auteur de Sa Sainteté , et c'était encore lui l'homme encagoulé interrogé par les micros de l'émission de la RAI "Porta a porta" (1).

«A mon avis, il y a deux considérations séparées dans cette histoire - explique à Il Sussidiario.net Massimo Introvigne, sociologue de la religion et expert du catholicisme -. D'une part, l'événement lui-même, très grave: le pape était entouré par des gens qui fouillaient dans les papiers de son bureau et ont révélé des informations confidentielles à des journalistes. D'autre part, le contenu de ce qui est révélé. A la lecture du livre de Nuzzi, en effet, la seule question qui me soit venue est: c'est tout?».

- Le «best-seller» déçoit les attentes?
-- Regardez, il n'émerge des documents publiés que très peu de choses qui n'aient pas été déjà connues des Vaticanistes. Le battage publicitaire laissait présumer que nous allions trouver la dénonciation de malversations internationales, de comportement peccamineux d'évêques et de cardinaux de premier ordre.

- Et au lieu de cela?
-- Au lieu de cela, nous constatons que, comme c'est normal, les mouvements religieux, si on les interroge, expriment des opinions sur la nomination des évêques. Nous apprenons qu'Ettore Gotti Tedeschi a donné des conseils sur la réorganisation de l'IOR, comme d'ailleurs il le faisait grâce à de nombreuses interviewes publiques. Nous apprenons avec un peu d'agacement, que bon nombre de monsignori à chaque fois qu'un poste devenait vacant avait un candidat idéal pour l'occuper: eux-mêmes.
Peut-être la partie la plus intéressante concerne-t-elle la correspondance entre le pape et l'Eglise de Chine, à la fois l'Eglise clandestine, et l'Eglise patriotique officielle. Avec un petit détail: maintenant, il y en a là-bas qui risquent de se retrouver dans un goulag ... .
En somme, fasse le ciel que sur le bureau des dirigeants d'autres régions du monde il y ait des papiers aussi peu compromettants.

- Comment jugez-vous la réaction du Vatican au sujet des fuites?
-- Le fait est grave et a été à juste titre pris au sérieux par l'Eglise. La machine judiciaire du Vatican, en effet, s'est mise en mouvement, bien que cela arrive très rarement.

- Qu'est-ce qui, selon vous, animait les responsables de ce qui s'est passé?
-- Au-delà de ce qui a été écrit, je me refuse à croire que ces gens ont été poussés par le désir de faire du bien à l'Eglise. Aussi parce qu'aucun "nettoyage" n'a été fait et qu'aucun sépulcre obscur n'a été mis au jour.
Je suis en revanche convaincu que l'opération est de nature commerciale. Quelqu'un a pris de l'argent pour voler des documents, le livre a fini en première place au classement des ventes et il s'est créé un vaste "tour" d'argent.
Peu se soucient de la longue série de délits qui ont été commis, que ce soit au regard de la justice du Vatican, ou de celle de l'Italie, qui pour des raisons politiques n'interviendra pas.
On est frappé, de toutes façons, par le succès d'une propagande s'adressant aux moins attentifs, basée sur des documents en grande partie à la limite de l'insignifiance.

- Vous pensez que l'histoire touche à sa conclusion?
-- Je dirais que oui, parce que je lui donne une interprétation micro-complotiste
. Il y a eu en effet un petit complot qui a permis à certains journaaux de crier que dans l'Eglise il y a des secrets cachés, et que quelques journalistes courageux ont osé lever le voile. Je pense que la chose se termine ici.

- La chasse aux corbeaux se termine également?
- Le corbeau était le majordome, je n'irais pas en chercher d'autres parmi les cardinaux. Tout au plus y aura-t-il un informaticien et une secrétaire. Toute personne devant passer de la secrétairerie d'État à la préfecture de la maison pontificale pourrait savoir combien de personnes passent à travers ces couloirs.

- Et quelles sont les mesures que devrait prendre le Saint-Siège pour l'avenir, à votre avis?
-- Seulement une meilleure sélection du personnel. Que des gens aient accès à la salle du Pape pour faire leur travail est inévitable.

Notes

(1) Video ici: http://www.la7.it/intoccabili/

(2) Le Père José Luis Mendoza, gestionnaire de l'Université catholique San Antonio di Murcia qui a émis le chèque à l'ordre de "Santidad Papa Benedicto XVI", en date du 26 mars 2012 a immédiatement précisé que l'Université aidait depuis longtemps l'Eglise dans ses oeuvres de charité, et qu'il avait profité cette année du voyage du saint-Père à Cuba pour remettre le chèque au nonce.
Beaucoup plus étrange: le chèque a été encaissé depuis belle lurette, et ce n'est donc qu'une photocopie (contrairement à ce qui est affirmé, forcément par erreur, dans l'acte d'accusation) qui figurait dans les papiers du corbeau. Il vient immédiatement un vilain soupçon sur ses intentions, c'est-à-dire l'usage qu'il espérait qu'en ferait le journaliste marron - mais moins stupide que lui (d'après Korazyml.org )