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Il remet de l'ordre. Une vue d'ensemble des célébrations du Consistoire, par Massimo Introvigne. (20/2/2012)

     


Après le Consistoire, tous les discours prononcés par le Pape sont publiés en français sur la page spéciale ouverte par le site du Vatican (www.vatican.va/...concistoro_fr.html ).
Mais j'ai traduit (pour une fois) l'analyse de Massimo Introvigne, excellent guide de lecture pour les méditer en profondeur.
Article original en italien: www.labussolaquotidiana.it/



Cardinaux: le Pape met de l'ordre
Massimo Introvigne
20/02/2012
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Après des semaines de poisons journalistiques sur des conflits réels et supposés entre évêques et cardinaux, on attendait du Consistoire du 18 Février pour la création de vingt-deux nouveaux cardinaux une forte intervention de Benoît XVI, qui rappelle aux fondements de l'autorité dans l'Eglise.

L'attente n'a pas été déçue. Dans deux discours magistraux - l'allocution du 18 février pour le Consistoire et l'homélie de la messe du 19 février concélébrée avec les nouveaux Cardinaux - Benoît XVI a d'abord montré les dangers de la mondanisation et du carriérisme, puis indiqué dans la fidélité scrupuleuse au Pape et au Magistère l'étoile polaire pour sortir la crise.

Samedi, le souverain pontife a commenté le passage de l'Evangile de Marc , qui montre comment la tentation du carriérisme a toujours été présente dans l'Église, même parmi les apôtres. Certes, dans l'Evangile: «Jésus se présente comme un serviteur, s'offrant comme modèle à imiter et à suivre». Mais tout de suite, de ce modèle «se détache avec un contraste criant la scène des deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, qui poursuivent encore des rêves de gloire auprès de Jésus». En effet, ils lui demandent: «Accorde-nous de siéger, dans ta gloire, l'un à ta droite et l'autre à ta gauche» (Mc 10:37). Le Pape définit la réponse de Jésus comme «fulgurante» et «sa question, inattendue»: «Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire?» (V. 38). «L'allusion est claire: la coupe est celle de la passion que Jésus accepte pour réaliser la volonté du Père. Le service à Dieu et aux frères, le don de soi: c’est là la logique que la foi authentique imprime et développe dans notre vécu quotidien et qui, par contre, n’est pas le style mondain du pouvoir et de la gloire».

Où est l'erreur?
«Jacques et Jean, avec leur requête montrent qu'ils ne comprennent pas la logique de vie que Jésus témoigne, cette logique qui - selon le Maître - doit caractériser le disciple, dans son esprit et ses actions».
L'Evangile ne veut pas non plus simplement dénoncer les apôtres Jacques et Jean comme étant spécialement dans l'erreur. Au contraire, explique Benoît XVI «la logique erronée n'habite pas seulement dans les deux fils de Zébédée, parce que, selon l'évangéliste, elle contamine également les dix autres apôtres, qui commencent à s'indigner contre Jacques et Jean (v. 41). Ils s'indignent, parce qu'il n'est pas facile d'entrer dans la logique de l'Evangile et de quitter celle du pouvoir et de la gloire».
La tradition patristique ici a vu des signes précurseurs d'un problème global. Le pape cite saint Jean Chrysostome (349?-407), lequel «affirme que tous les apôtres étaient encore imparfaits, aussi bien les deux qui veulent s’élever au-dessus des dix, que les autres qui sont jaloux d’eux (cf. Commentaire sur Matthieu, 65, 4 : PG 58)». Et saint Cyrille d'Alexandrie (370-444), qui ajoute: « Les disciples étaient tombés dans la faiblesse humaine et discutaient entre eux sur qui était le chef et supérieur aux autres […]. Cela est arrivé et nous a été raconté à notre profit […]. Ce qui est arrivé aux saints Apôtres peut nous servir d’encouragement à l’humilité » (Commentaire sur Luc, 12, 5, 24 : PG 72, 912).

Jésus en tire une morale, s'adressant non seulement à Jacques et à Jean mais à tous les apôtres: « Vous savez que ceux qu'on regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera l'esclave de tous. » (Mc 10, 42-44).
Le Pontife, avec des accents qui rappellent le voyage en Allemagne en 2011, applique la leçon aux successeurs des apôtres d'aujourd'hui, les évêques et les cardinaux. «Domination et service, égoïsme et altruisme, possession et don, intérêt et gratuité : ces logiques profondément opposées se confrontent à toute époque et en tout lieu». Et les reproches de Jésus, dit le Pape, «sont une invitation et un appel, une consigne et un encouragement spécialement pour vous, chers et vénérés Frères, qui allez devenir membres du Collège cardinalice».

Au terme de l'allocution - selon certains commentateurs, en démenti des rumeurs d'une possible démission - le Pontife a également exhorté à prier pour le Pape «afin que je puisse toujours offrir au Peuple de Dieu le témoignage de la doctrine sûre et tenir avec une humble fermeté la barre de la sainte Église».

* * *

Dans son homélie du 19 Février, Benoît XVI, a proposé aux nouveaux cardinaux un critère fondamental pour exercer l'autorité de l'Eglise selon le modèle proposé par le Seigneur, et sans tomber dans les tentations qui contaminèrent les apôtres: une loyauté indéfectible et continuellement vérifiée au Pape et au Magistère.

Le Pape part d'un autre autre passage célèbre de l'Evangile, celui où Jésus confie à Pierre la tâche d'être le «roc», la «pierre», le fondement visible sur lequel est construit tout l'édifice spirituel de l'Eglise (cf. Mat 16.16 à 19). Il ne s'agit pas d'une reconnaissance des qualités personnelles de Pierre. «Cette dénomination de "rocher-pierre" ne fait pas référence au caractère de la personne, mais doit être comprise seulement à partir d’un aspect plus profond, du mystère : à travers la charge que Jésus lui confère, Simon-Pierre deviendra ce qu’il n’est pas par "la chair et le sang"».
Le pape cite les études du bibliste Joachim Jeremias (1900-1979) selon lequel la notion de «rocher sacré» s'insère dans une longue tradition juive. De Jérémias, le Pape reprend la citation d'un texte rabbinique: « Le Seigneur dit "Comment puis-je créer le monde, quand surgiront ces impies et qu’ils se révolteront contre moi ?". Mais quand Dieu vit qu’Abraham devait naître, il dit : "Vois, j’ai trouvé un roc, sur lequel je peux construire et fonder le monde". C’est pourquoi il appela Abraham un rocher ».
Et Isaïe lui aussi, note le Pontife, reprend pour Abraham l'image de la roche, « regardez le rocher d’où l’on vous a taillés… Abraham votre père » (51, 1-2). . Et si «Abraham, le père des croyants, avec sa foi est vu comme le roc qui soutient la création. Simon, qui le premier a confessé Jésus en tant que Christ et a été le premier témoin de la résurrection, devient maintenant avec sa foi renouvelée, le roc qui s’oppose aux forces destructrices du mal» dans l'histoire.

Avec sa sensibilité notoire à l'art, Benoît XVI a invité les cardinaux à trouver le reflet de ce passage de l'Évangile dans «un élément artistique très connu qui orne cette Basilique Vaticane: l’autel de la Chaire. Quand on parcourt la grandiose nef centrale et que, dépassant le transept, on arrive à l’abside, on se trouve devant un énorme trône de bronze, qui semble élevé dans les airs, mais qui en réalité est soutenu par les quatre statues des illustres Pères de l’Église d’Orient et d’Occident. Et au-dessus du trône, entourée par un triomphe d’anges suspendus dans les airs, resplendit dans la fenêtre ovale la gloire de l’Esprit-Saint».

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Le pape rend hommage «au génie du Bernin» (Gian Lorenzo, 1598-1680), qui a su saisir et proposer «une vision de l’essence de l’Église et, à l’intérieur de celle-ci, du magistère pétrinien».
Benoît XVI poursuit ensuite dans sa reconnaissance, qui n'est pas seulement artistique. «La grande chaire de bronze renferme un siège en bois du IXè siècle, qui fut longtemps considéré comme la cathèdre de l’apôtre Pierre et fut justement placé sur cet autel monumental en raison de sa grande valeur symbolique. Il exprime en effet la présence permanente de l’Apôtre dans le magistère de ses successeurs. Le siège de saint Pierre, peut-on dire, est le trône de la Vérité».
A Pierre, au Pape, le Seigneur a confié la tâche d'«attirer tous à Lui, comme Il le fit du haut de la croix (cf. Jn 12, 32). Par conséquent, "présider à la charité" signifie attirer les hommes dans une étreinte eucharistique - l’étreinte du Christ -, qui vainc toute barrière et tout manque de relation, et crée la communion à partir des différences multiples. Le ministère pétrinien est donc primauté dans l’amour au sens eucharistique, autrement dit sollicitude pour la communion universelle de l’Église dans le Christ. L’Eucharistie est la forme et la mesure de cette communion et la garantie qu’elle demeure fidèle au critère de la tradition de la foi».

Comme le Pape l'a évoqué, la chaire du Bernin est soutenue par quatre Pères de l'Église : Deux d'Orient, Saint Jean Chrysostome et saint Athanase (295-373 C.), et deux d'Occident, Saint Ambroise (339 ou 340-397) et Saint Augustin (354-430). Ensemble, les quatre Pères «représentent l’ensemble de la tradition et donc la richesse de l’expression de la vraie foi dans l' Église unique et sainte».
L'autel du Bernin, ainsi, «nous dit que l’amour s’appuie sur la foi. Il s’effrite si l’homme ne compte plus sur Dieu, ou ne Lui obéit plus. Tout dans l’Église repose sur la foi : les sacrements, la liturgie, l’évangélisation, la charité. Même le droit, même l’autorité dans l’Église reposent sur la foi. L’Église ne s’auto-régule pas, elle ne se donne pas à elle-même son ordre propre, mais elle le reçoit de la Parole de Dieu, qu’elle écoute dans la foi et qu’elle cherche à comprendre et à vivre».

Retour au thème de la Foi.
La Foi n'est pas est une émotion, un sentiment, quelque chose que tout le monde - même évêque - réinvente en fonction de la nécessité historique. Elle a un contenu précis. Et «Les Pères de l’Église ont dans la communauté ecclésiale la fonction de garants de la fidélité à la Sainte Écriture. Ceux-ci assurent une exégèse fiable, solide, capable de former avec la chaire de Pierre un ensemble stable et homogène. Les Saintes Écritures, interprétées avec autorité par le Magistère à la lumière des Pères, éclairent le chemin de l’Église dans le temps, lui assurant un fondement stable au milieu des mutations historiques».

Après avoir examiné les divers éléments de l'autel de la Chaire, Benoît XVI ne renonce pas à en proposer également une lecture d'ensemble, montrant ainsi comment on peut évangéliser très efficacementt à travers l'art: et certes, les cardinaux aussi peuvent être évangélisés, par le Pape. Considérant l'autel dans son ensemble, le Pape explique: «nous voyons qu'il est traversé d'un double mouvement ascendant et descendant». Le symbole renvoie à «la réciprocité entre la foi et l’amour. La chaire est bien mise en relief en ce lieu, puisqu’ici se trouve la tombe de l’Apôtre Pierre, mais elle tend aussi vers l’amour. En effet, la foi est orientée vers l’amour. Une foi égoïste ne serait pas une foi vraie». «Dieu n'est pas solitude, mais amour glorieux et joyeux, diffus et lumineux».

Regardant vers le haut, au-dessus de l'autel du Bernin, le Pape note que «la fenêtre de l'abside de l'église s'ouvre vers l'extérieur, vers toute la création , tandis que l'image de la colombe du Saint-Esprit nous montre Dieu comme la source de lumière». «A cette fenêtre, le triomphe des anges et les grands rayons dorés donne le plus grand relief avec un sens de plénitude débordante qui exprime la richesse de la communion avec Dieu»

L'Eglise, explique Benoît XVI, est «comme une fenêtre, le lieu où Dieu se fait proche, vient à la rencontre de notre monde. L’Église n’existe pas pour elle-même, elle n’est pas un point d’arrivée, mais elle doit renvoyer au-delà d’elle-même, vers le haut, au-dessus de nous. L’Église est vraiment elle-même dans la mesure où elle laisse transparaître l’Autre – avec un "A" majuscule – de qui elle provient et à qui elle conduit. L’Église est le lieu où Dieu "arrive" à nous, et où nous, nous "partons" vers Lui ; elle a le devoir d’ouvrir au-delà d’elle-même ce monde qui tend à se fermer sur lui-même et de lui porter la lumière qui vient d’en-haut, sans laquelle il deviendrait inhabitable».

Si quelqu'un dans l'Église ne s'ouvre pas à Dieu, mais se referme sur lui-même et sur ses histoires, il trahit sa mission.