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Rétrospective 2011

Après le voyage au Mexique et à Cuba. Deuxième partie (7/4/2012)

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La lettre de Jeannine du 6 avril

     



Chère Béatrice,

Je retrouve donc notre Pape à Cuba lors de son arrivée à l'aéroport de Santiago de Cuba décoré d'une grande inscription :
Bienvenido a Cuba Su Santidad Benedicto XVI
Prélats cubains et personnes présentes pour l'accueil attendent que le grand oiseau blanc qui transporte notre Saint-Père et sa suite s'immobilise sur le tarmac. L'espace vide s'anime un peu, la porte de l'avion s'ouvre et Benoît XVI descend tranquillement la passerelle. Une dame et quatre enfants avec un bouquet lui souhaitent la bienvenue. C'est l'accueil classique d'un chef d'état à un autre avec présence importante de militaires qui exécutent une parade très bien réglée. Les 21 salves de canon ne sont pas une nouveauté pour lui mais cet environnement dépouillé et la fumée qui se dégage renforcent le caractère austère de cet accueil. Le Mexique et son ardeur sont bien loin. J'aurais souhaité une discrète présence féminine pour apporter une touche de douceur. Je suis honnête : le Président Raoul Castro entoure notre Pape, lui donne des précisions et notre Benoît, tranquillement assis écoute le discours très politique de celui qui le reçoit. Je note que la poignée de main à la fin des paroles de Raoul Castro me paraît bien plus chaleureuse que celle de l'arrivée. Le Pape prend la parole, il met les points sur les i, il ne dira que ce qu'il veut bien dire et suit le canevas qu'il a tant peaufiné jusqu'à la dernière minute. Le cardinal et la barrette d'évêques, à l'arrière, écoutent les paroles de sagesse, de foi, de raison, de cet orateur tout en blanc, inattendu dans le contexte habituel mais qui apporte avec lui des paroles d'espoir, d'amour qui ne sont pas superflues. Discours très applaudi et ce n'est qu'après la fin des présentations des suites papales et présidentielles que Benoît XVI salue ceux qui sont venus pour l'accueillir. Malgré le tableau très sombre dressé par un missionnaire dans La Croix du 4/4 [1], j'ai la faiblesse ou la tentation de croire que, dans le nombre, il doit bien avoir quelques présents qui ne sont pas en service commandé pour faire la claque. La cérémonie se termine, les militaires quittent le terrain et la foule agite des drapeaux et se manifeste. Notre Pape monte dans la papamobile, salue ceux qui sont venus l'accueillir et quitte l'aéroport accompagné par de très nombreux Cubains, chaleureux, qui l'attendent le long de la route et manifestent leur joie. Dans sa voiture, vitres baissées le Pape gagne sa résidence.

Le Saint-Père va célébrer une messe à Santiago de Cuba, place Antonio Maceo, pour le 400è anniversaire de la Virgen de la Caridad del Cobre. D'après Philippine de Saint-Pierre ce rassemblement est un évenement exceptionnel car la liberté religieuse est très limitée. Elle a signalé que les personnes sont venues à pied, aucune voiture et cette foule qui se déplace est disciplinée. Il y a dans cette assemblée, côte à côte le Président, ceux qui l'accompagnent et dans un autre carré l'Ordre de Malte, les sœurs de Mére Teresa; bref les deux extrêmes. Malgré l'encadrement sévère les prêtres, prélats, séminaristes, religieux et religieuses sont venus rencontrer le Pape. Les chants cubains sont rythmés et les voix belles, je pense que cette musique reflète l'âme du pays. Les tenues sont simples: vêtements blancs avec écriture en bleu, casquettes blanches, petits foulards blancs, écharpes bleu clair pour les chanteuses de la chorale; tout porte la mention de Benedicto XVI ,
Bienvenido Benedicto XVI Peregrino de la Caridad avec une image de Benoît XVI en tenue de célébrant, et d'autres sûrement. Cette grande tache blanche mouvante au rythme des chants anime le paysage triste sous le ciel gris qui se plombe de plus en plus. Le commentateur signale un peu d'air qui agite les palmiers et va peut-être rendre plus supportable la chaleur étouffante qui règne, allégeant ainsi la pénibilité de ce temps pour le Saint-Père. Un prêtre signale l'arrivée du Pape et la chorale interprète un chant composé pour lui. Souriant, il salue depuis sa voiture et la foule se déplace pour le suivre, l'accueil est chaleureux, c'est de la joie qui monte vers lui. Le président Castro est présent et applaudit longuement. Benoît XVI gagne l'autel, s'assied pour écouter les paroles d'accueil de l'archevêque et Mgr Marini, très délicatement , remet en place le pallium et veille à la bonne présentation de son patron. A la fin de la célébration le Pape remet une rose d'or qu'il pose à côté de la statue de la Vierge de la Charité. Avant de partir le Président vient le saluer, l'assemblée applaudi, il pleut. C'est abrité sous un parapluie et accompagné par un chant cubain que notre Benoît quitte la Place Antonio Maceo.

Il ne veut pas partir sans être allé , en pèlerin, se recueillir devant la statue de la Virgen de la Caridad del Cobre dans son sanctuaire. A l'extérieur des Cubains attendent son arrivée. La rose d'or est maintenant à côté de la statue , à sa place. La voiture arrive et les musiciens jouent, le pape bénit avant de rentrer dans les lieux. Il s'agenouille et se recueille longuement devant la Vierge. Il prie et ses lèvres remuent imperceptiblement; il confie Cuba et tous les Cubains présents ou éloignés à Celle qu'ils vénèrent tant. C'est Mgr Marini qui interrompt sa profonde méditation. Le Saint-Père allume un grand cierge auprès de la statue, se recueille, debout, et chante le chant à la Vierge. Avant de donner la bénédiction finale il paraît fatigué; Il gagne l'extérieur où il est accueilli avec joie. Pour prononcer les mots très chaleureux qu'il souhaite voir transmis à tous la voix est forte comme "boostée" par l'ambiance qui l'entoure avec chants et mains tapées en rythme. Il sacrifie à la photo de groupe avec des membres de la chorale et monte en voiture pour gagner l'aéroport et se rendre à la Havane.

J'ai aimé l'étape à la Havane et l'arrivée à l'aéroport José Marti. L'avion se pose; une présence imprévue : le président Raoul Castro (cf VIS du 27/3) et un accueil en petit comité, concocté pour lui et qui a dû beaucoup lui plaire. J'ai noté ce détail, alors que l'avion roule encore le pilote passe la tête à l'extérieur et regarde vers l'arrière ; il n' y a que lui dans l'aéroport. Au bas de la passerelle le cardinal Ortega y Alamino, deux dames avec six enfants et des fleurs. Dès que le Pape apparaît on entend la musique; il descend tranquillement la passerelle, salue le cardinal, les enfants, caresses aux petits visages et mains serrées pour les dames. Le groupe autour de lui s'étoffe et Benoît XVI salue tous les présents. On a un aperçu de l'orchestre. En se dirigeant vers sa voiture il marque un arrêt pour le spectacle de danse et il applaudit longuement. Je le trouve plus chaleureux qu'à l'aéroport e Santiago de Cuba. Il arrive à sa voiture, les Cubains présents agitent les casquettes, signe de joie.

Selon la coutume le Saint-Père rend une visite de courtoisie au Président de la République qui l'accueille à sa descente de voiture. Après avoir traversé un très grande salle ( je l'ai perçue ainsi) avec présence militaire un ascenseur conduit à la sphère privée. Beaucoup de plantes, de verdure mais je dois dire que le grand mur fort coloré m'a surprise. Les suites papales et présidentielles ont été de nouveau présentées mais l'entretien étant privé la retransmission cesse et l'écran est occupé par la façade d'un grand bâtiment. Toujours grâce au VIS du 28/3 et au Père Lombardi on sait que des cadeaux ont été échangés: un fac-similé de la Géographie de Ptolomée offert par Benoît XVI, et une reproduction en bronze de la Vierge del Cobre offerte par le Président R Castro.
De la même source, l'entretien a été cordial. Benoît XVI a présenté une requête : le rétablissement du Vendredi Saint comme jour férié (accordée exceptionnellement pour 2012, à suivre).

Dernière étape : la messe à La Havane. La foule est dense mais il règne une atmosphère différente de celle de Santiago de Cuba. Ici tout paraît figé, compassé. Les visages des jeunes de la chorale n'expriment rien, ils observent mais ce qu'ils ressentent reste intériorisé. Même pour l'arrivée du Président de la République l'ordre a été donné de se lever, alors pour le Pape, il n'est peut-être pas question de se singulariser, d'ailleurs y pensent-ils? Pas d' exubérance, le contraste avec la chorale de Santiago, si animée, si mouvante pour accompagner la belle musique cubaine est frappant, du moins pour moi. Même Benoît XVI me paraît moins souriant mais la fatigue est là sans doute. A l'arrivée de la papamobile les prêtres s'approchent pour le voir. Cette énorme colonne en marbre gris, haute de 109m, en forme d'étoile, protège la statue de père de la patrie José Marti mais écrase la foule groupée sur l'immense place. J'ai dû être impressionnée par Ph de S-P et le commentateur de KTO; il est temps que notre Pape arrive avec la procession et célèbre la messe.
Le président est présent depuis le début et applaudit. La célébration commence avec les paroles d'accueil très chaleureuses du cardinal Ortega qui s'exprime très directement et il y a le traditionnel cadeau du Pape : un calice et une patène, des souvenirs précieux de cette visite. Pendant que la communion se déroule dans la foule notre Benoît, assis, tout décoiffé, médite mais paraît fort loin. Il donne sa bénédiction demandée avec ferveur par le cardinal, salue longuement, sourit. Le Président Castro vient le saluer, une sœur de Mère Teresa s'incline, peut-être agenouillée devant lui. Sur une indication discrète il salue ceux qui sont en hauteur. Les prêtres et prélats se sont regroupés près de la papamobile, adieu au cardinal, photo de groupe, noyé au milieu de ses frères il est bien difficile de partir. La voiture gagne la route pour retourner à la nonciature. Des jeunes prêtres se congratulent, visages radieux. L'atmosphère est beaucoup moins pesante, sur la vidéo de New player la foule m'avait paru moins écrasée, plus vivante avant la célébration, l'avis de KTO était fort sombre.
Avant de retrouver le Vatican notre Saint-Père a reçu à la nonciature Fidel Castro qui tenait à le rencontrer. L'homme est diminué mais avide de s'entretenir avec ce personnage qu'il dit admirer. Selon le Père Lombardi la rencontre a été respectueuse, cordiale et Fidel Castro a sollicité du Pape qu'il le conseille pour le choix d'ouvrages à lire. En partant il paraissait avoir de la peine à le quitter. Le temps de Benoît XVI aura été utilisé au maximum. Lorsque notre Saint-Père se retrouve avec des personnes qui ne lui sont pas acquises, il a cette grandeur qui lui permet de trouver chez l'autre non pas la faille, l'écart qui sépare mais la qualité, le détail qui le rend digne d'intérêt. J'admire sa naturelle bienveillance.

Fin du voyage et c'est le départ pour Rome sous la pluie qui n'apporte même pas de fraîcheur et rend la chaleur pesante. Cette pluie forte n'a pas dissuadé la foule de l'attendre le long de la route et de manifester sa joie. Le pèlerin repart vers son port d'attache, fatigué normalement mais le cœur léger. La cérémonie prévue en extérieur est organisée différemment, en intérieur, ce qui lui donne un caractère moins solennel mais gagne en convivialité. Les paroles de Benoît XVI sont fidèles à ce qu'il est, à ce qu'il souhaite obtenir pour le bien de ce peuple. Le cap n'a pas varié et c'était annoncé depuis le départ : le Pape ne ferait pas un voyage politique, donc inutile d'épiloguer sur ce qu'il aurait dû dire, dû faire selon les avis de personnes qui n'y connaissent rien. Parmi toutes les paroles entendues le Saint-Père est suffisamment fin, parfaitement lucide, pour faire la part des choses. Il pointe tous les manquements, relève toutes les insuffisances mais a l'honnêteté de souligner les petits progrès qui ont été réalisés et ce sont ces avancées qu'il veut protéger pour permettre de continuer la progression vers davantage de liberté, de sérénité, des conditions de vie meilleures, des familles protégées, des enfants heureux. L'Eglise ne se présente pas comme un redresseur de torts, elle ne demande pas de pouvoir sur la vie du pays mais elle souhaite que le bien lié à l'amour du Christ et largement dispensé par ses membres puisse éclairer la vie de tant d'hommes et de femmes qui aspirent à vivre autrement, mieux, conformément à leur désir profond. Rien de subversif dans les mots de cette silhouette humble, qui ne garde rien pour elle et continue inlassablement de mener la barque de Pierre: la foi à toute épreuve titrait le programme de KTO pour le voyage. Benoît XVI est un pèlerin opiniâtre, qui encaisse les bonnes comme les mauvaises paroles. Il dit et redit son message et se cantonne à son rôle : confirmer ses frères dans la foi en venant au nom de Dieu qui fonde sa vie. J'aime ce visage bon au sourire changeant, tantôt affable, à peine esquissé, large , lumineux, ces paroles calmes, percutantes pour qui veut bien les écouter, la sérénité qui s'installe autour de lui, sa présence apaisante. Même si cela doit faire sourire et être vu comme une platitude, je cite ces quelques mots du président Castro " oui, c'est un peu triste le départ du Pape". La cérémonie à l'abri se termine et l'on retrouve l'avion qui attend ses passagers. Les voitures arrivent et le parapluie blanc vient renforcer l'abri au pied de la passerelle recouverte. Dernières mains serrées et Benoît XVI monte posément pour gagner sa place sans omettre de se retourner , en haut pour saluer, bras grands ouverts puis mains jointes. L'avion commence à rouler, le voyage est fini, de longues heures de vol, un peu de repos et le marathon de la Semaine Sainte commence.

Merci Très Saint-Père pour ce merveilleux voyage au succès incontestable, pour votre respect de la ligne directrice que vous vous aviez décidée, pour votre parole claire, précise, simple, profonde comme votre foi. Votre devise était : confirmer vos frères dans la foi en renforçant l'espérance et la charité; mission accomplie et réussie.

Jeannine

Note additive (La Croix)

(1) « Les Cubains ont peur, peur encore, peur toujours »
Un missionnaire présent à Cuba durant le séjour de Benoît XVI a fait parvenir à La Croix un témoignage sur le climat qui a régné dans l’île pendant ces trois jours.

Opposants politiques brimés, police politique omniprésente… Quelques jours après la fin de la visite de Benoît XVI à Cuba, du 26 au 28 mars, un missionnaire a fait parvenir à La Croix un témoignage inédit sur les conditions de l’organisation du pays, durant le voyage pontifical.
Si le séjour du pape a « renforcé la foi du peuple cubain » et apporté l’espérance « à un peuple éreinté », ces quelques jours ont aussi été empreints d’une « forte teneur politique ». « Parce que dans un pays où sévit une dictature, tout est nécessairement politique », poursuit l’homme d’Église.

Et l’auteur de ces lignes de raconter que les habitants de La Havane et des provinces où le pape s’est rendu ont été priés d’utiliser les trois jours fériés décrétés à cette occasion pour participer aux festivités. « Tous les fonctionnaires ont été tenus d’aller à la messe… à l’image de tout le gouvernement. Les bus étaient loués par l’État pour acheminer les pèlerins, avec un responsable sanitaire dans chaque bus », décrit ce témoin, précisant que les cars ont été largement escortés par les motards de la police.

Alors qu’à Cuba le pape enchaîne les discours, les opposants politiques ou ceux qui sont considérés comme tels par le régime sont emprisonnés. « Les moins virulents », complète ce missionnaire, ont vu les lignes de leur téléphone portable coupées par les autorités. Ce fut par exemple le cas de certains prêtres actifs sur l’île, assure le missionnaire.

Durant tout le séjour, les agents de la sécurité d’État et la police politique en civil n’ont jamais cessé leur surveillance. Aussi, lorsqu’un homme jaillit de la foule, au début de la messe célébrée par Benoît XVI à Santiago de Cuba pour réclamer la fin de « la dictature », c’est « un homme revêtant l’uniforme de la “Croix-Rouge” qui lui saute dessus, le tabassant à coups de civière ».

« D’ailleurs, l’ambiance des messes était terne : le peuple cubain, si prompt à danser, à faire la fête, était tout à fait sclérosé : ni chants ni cris de joie. Les seuls se sentant disposés à lancer des slogans étaient des jeunes venus de pays étrangers. Les Cubains ont peur. Peur encore. Peur toujours. »

MESSAGE D’AMOUR DÉLIVRÉ PAR LE PAPE

Des paroles du pape, ce témoin retient plus particulièrement celles rappelant l’importance de l’Église dans l’éducation (« les écoles ont été confisquées à l’Église en 1961 », selon lui), et l’insistance sur le rôle de la famille « qui est à Cuba très déstructurée ».

Durant trois jours, « extraordinaires », conclut-il, « les Cubains ont eu accès à un message d’amour : ils ont entendu qu’ils sont aimés, qu’ils ont une valeur personnelle inaliénable, qu’ils ont un avenir et peuvent donc vivre de l’espérance. Trois choses qu’il est facile d’oublier à Cuba. »

Loup Besmond de Senneville