C'est la dernière fois que nous le voyons...

L'hommage très beau et très affectueux de l'édito de Il Giornale (27/2/2013)

Image ci-dessous à voir en grand format sur Il Giornale.

Au moment où j'écris ces lignes, contrairement aux projections de la presse française, (spécialiste comme on le sait dans la magouillage des "comptages"), qui parlait d'abord de 30 mille personnes, Il Corriere della Sera annonce plus de 200 mille personnes Place Saint-Pierre!!

Aujourd'hui, c'est la dernière fois que nous voyons le Pape

Stefano Filippi
http://www.ilgiornale.it/
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Il arrivera à 10h30 sur la papamobile découverte et il y aura le soleil. Il traversera la place Saint-Pierre, montera sur le parvis de la basilique. Il priera, il prononcera son dernier discours public et donnera la bénédiction avec son doux sourire et des gestes mesurés. Puis il retournera fendre la foule sur la jeep blanche, il ira jusqu'à la Via della Conciliazione, il saluera le peuple qui l'acclame et ne veut pas le laisser partir. Peu après midi, il sera de retour dans son appartement, «caché au monde». Et en personne, nous ne le verrons plus. Demain, après 20 heures, c'est à dire après sa démission et le début de la vacance du Siège, il deviendra «pape émérite» ou «pontife émérite».
L'ultime audience de Benoît XVI est le salut à un ami qui part pour ne jamais revenir. Nous avons besoin de le voir, de l'embrasser, de prendre ses derniers mots, de lui faire sentir qu'il n'est pas seul et qu'il ne le sera pas, même si nous avons du mal à comprendre pourquoi il en a décidé ainsi. Mais le jour du départ, ne nous attardons pas à discuter: l'important est d'être là, de fixer la dernière image, de capter un souvenir qui tienne compagnie.
Joseph Ratzinger est l'ami timide que l'on découvre peu à peu. Doux, profond, essentiel, qui ne concède rien au spectacle ou au sentimentalisme, et encore moins en ces jours de fin de son pontificat. Il a mentionné sa décision en peu de mots pour ne pas alimenter les regrets, il a remercié tout le monde et a invité à prier pour lui. A présent, les questions se font plus pressantes comme pour un être cher, éloigné: comment il va, ce qu'il fait, s'il est content, comment il regardera l'avenir. Allons-nous lui manquer? Bien sûr, tout comme nous sentons la déchirure. Mais Papa Ratzinger a rassuré tout le monde et il le fera encore aujourd'hui, comme à l'Angelus de dimanche. Calme, déterminé, saisi par le Christ.

L'audience finale sera une série de flash-backs qui se succèderont sous la colonnade, durant l'attente. Sa première apparition dans la Loggia des bénédictions, les poignets du pull noir sous les manches de son habit, au lieu d'une chemise blanche avec des boutons de manchette. Le pape à Rebibbia, qui ne condamne pas les détenus, mais se dit «ému par votre amitié». Le théologien habitué à une vie réservée qui enthousiame les places et remplit les stades et les aéroports. L'homme de foi qui défie la raison d'intellectuels, de politiciens, d'avocats dans les capitales culturelles d'une Europe égarée, au Collège des Bernardins à Paris, à Westminster Hall, à Londres, au Bundestag à Berlin. Les larmes devant des gens abusés par des prêtres pédophiles. Les dénonciation de la «saleté qui défigure le visage de l'Eglise».
Et puis les rencontres en questions et réponses «improvisées» comme le dernier «petit bavardage» il y a 10 jours avec les prêtres de Rome pour parler de Vatican II: épisodes d'il y a cinquante ans racontés comme s'ils venaient d'avoir lieu, trois quarts d'heure 'a braccio' sans perdre le fil, dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle, ne s'arrêtant qu'une seule fois pour boire un verre d'eau. Ou la chaude soirée de la rencontre avec les familles à Milan, quand une fillette vietnamienne a demandé à Benoît XVI de parler de «quand tu étais petit comme moi», et le vieux pape a rappelé les dimanches en Bavière, la musique, les dîners, les promenades dans les bois, la joie dans les petites choses.
«Quand j'essaie d'imaginer un peu comment ce sera au paradis, il me semble que ce sera toujours comme au temps de ma jeunesse» a-t-il confessé,et pourtant c'était le temps de la guerre, de la dictature, de la pauvreté, qui n'ont pas empêché le jeune Joseph Ratzinger de grandir «en sachant qu'il est bon d'être un homme, car nous avons vu que la bonté de Dieu se reflète dans les parents et les frères et sœurs. Je pense que dans le ciel ce devrait être semblable à ce qui était dans ma jeunesse. En ce sens, j'espère aller "à la maison", en allant vers "l'autre côté du monde"».
Ainsi a parlé Benoît XVI le 2 Juin 2012 à l'aéroport devant 500 mille personnes Bresso, et ainsi se répétera-t-il maintenant qu'il a pris la route du retrait. «Il est bon d'être un homme»: combien d'entre nous, malades de la modernité, jeune ou vieux, pourraient le répéter avec la même immédiateté?

La dernière audience de Benoît XVI ressemblera aux précédentes. Elle sera chargée de certitudes simples, comme celles du dernier tweet: «En ce moment particulier, je vous demande de prier pour moi et pour l'Eglise, confiants comme toujours dans la Providence de Dieu». Mais aussi de questions, telles que celles proposées à nouveau dans l'avant-dernier Angélus: «Dans les moments décisifs de la vie, mais, à bien y penser, dans tous les moments, nous sommes face à ce dilemne: voulons-nous suivre moi ou Dieu?».
Un Pape qui renonce place chacun devant ce dilemme. Il dit: Dieu est la certitude qui permet de surmonter les peurs, regardez Lui, pas moi.
«A Dieu», justement. Et ce salut perd le dernier voile de tristesse.