Avant la dernière semaine...

Une lettre de Jeannine. Sa sensibilité très personnelle, davantage tournée vers l'homme que vers le Pape, touchera sans doute beaucoup de mes lecteurs. (26/2/2013)

     

Chère Béatrice,

(...)
J'ai suivi notre Saint-Père pendant toutes ces années avec les yeux mais surtout avec le cœur. Chaque polémique me faisait mal pour lui, chaque succès me remplissait de joie. Lorsque je retrouvais son visage serein, reposé j'étais pleine d'admiration pour cette foi si stable, si sûre qui lui permettait de recevoir les coups durs comme une grâce.

Petit à petit les changements sont arrivés, en douceur, avec discrétion; les concessions auxquelles il était bien obligé de consentir étaient acceptées mais été adaptées à sa délicatesse innée, je crois. Je remarquais tout mais je ne vous en parlais pas car je savais que ce sujet était à éviter. Comment rester insensible devant son amaigrissement, sa silhouette qui se voûtait, le pas moins souple, plus calculé, la canne abandonnée avant de rencontrer les fidèles, les gestes moins amples pour encenser l'autel, les hosties qu'il ne portait plus pour aller donner la communion, le regard qui par instant devenait lointain donnant l'impression d'un pape absent, la voix plus faible et l'élocution moins assurée parfois? Les audiences ont changé d'organisation pour lui épargner de la fatigue et surtout le sourire a perdu sa luminosité. Mgr Marini, toujours très prévenant, l'a été de plus en plus. Il l'aidait dans ses déplacements mais il me paraissait de surcroît attentif à ce qu'il faisait, manifestant parfois un très lèger étonnement. Je me souviens d'une célébration où Benoît XVI a abrégé une bénédiction (je crois) ce qui a déclenché un regard interrogateur des deux cérémoniaires. Tout dernièrement, lors des vêpres Mgr Marini lui a indiqué l'endroit de la lecture. Tout cela ce sont des riens me direz-vous; pourtant ils m'inquiétaient et je me raccrochais à son visage souriant, plus reposé, à sa voix meilleure, pour me rassurer.

Depuis novembre 2012 je craignais le temps de l'Avent, puis l'activité intense de fin d'année; au fur et à mesure du temps qui s'écoulait, l'idée des célébrations de la Semaine Sainte et du voyage au Brésil m'apparaissait comme une véritable folie. Ce Pape a une très haute idée de ce qu'il appelle " servir l'Eglise ", non pas en paraissant ( on le lui reproche) mais en tentant de la faire aimer et de faire connaître Dieu, dans l'humilité, en étant un bon serviteur. On parle de beaucoup de choses pour justifier sa décision, lui seul connaît la vérité. Que je sache, il est le mieux placé pour pouvoir évaluer ce qu'il pourra faire dans le temps qui va venir et décider en fonction de cela. C'est cette part de vérité qui lui appartient qui a pesé lourd dans sa décision mûrement réfléchie dans la prière. Je ne crois pas aux paroles de ceux qui disent, avec une noble assurance, qu'un pape malade, âgé, qui ne serait plus qu'une ombre dans le Vatican, serait toujours le pape. On a vu la fin de Jean-Paul II et les luttes de pouvoirs intestines qui se développées. Si Benoît XVI a voulu échapper à cela et surtout ne pas l'imposer à l'Eglise, ce sont des remerciements qu'il faut lui adresser pour son courage, son humilité, sa fidélité à la mission que le Seigneur lui avait confiée le 19 avril 2005, pour tout ce qu'il nous a donné. Il est lucide, courageux, simple, sa foi et son amour de l'Eglise ne peuvent être mis en doute et il s'est usé à remplir sa mission. Il est aisé de critiquer, moins facile d'exécuter et tous ces contempteurs devraient avoir l'honnêteté de reconnaître qu'ils ne lui ont rien épargné et ont participé à son vieillissement, à son épuisement. Le Panzerkardinal encaissait les coups mais qui sait la trace qu'ils laissaient dans ce Pape dont son secrétaire dit qu'il est très, très, très sensible; j'ai horreur des jérémiades.

Je n'arrive pas à imaginer les semaines sans le retrouver sur un écran de télévision, sans guetter avec inquiétude le retard pour le début des directs, le soulagement que j'éprouvais lorsque le bandeau " retrouvez dans quelques instants..." apparaissait et ma joie lorsqu'il arrivait. Depuis que j'ai une idée des personnes qui vont l'entourer et de son futur cadre de vie, il me semble que je suis un peu moins déboussolée mais cela ne diminue pas mon chagrin. Son pontificat, malgré les avis contraires, est une grâce pour l'Eglise. Si je pouvais le rencontrer je lui dirais merci; merci pour sa douce paternité, sa foi joyeuse,ouverte à l'autre, son intelligence brillante, ses connaissances si vastes, touchant à tous les domaines : la musique, l'art, la beauté, la nature, la liturgie, la théologie, les écrits des Pères de l'Eglise, son amour des livres, son vocabulaire si précis, varié et compréhensible pour les débutants, ses textes bien construits dans lesquels on retrouvait le professeur qui guidait son auditoire, son raffinement, sa finesse, sa délicatesse, sa sobriété. Je lui dirais mon immense et affectueuse gratitude pour m'avoir captivée au point de me donner le goût de l'écouter, de le suivre, de méditer ses paroles, de me les approprier, d'apprendre à connaître l'Eglise et ses problèmes. Merci à lui de m'avoir tant donné avec sobriété, clarté, humilité, douceur mais aussi fermeté. Il est << mon Pape>>, le seul, et je suis infiniment malheureuse. Bien sûr il me reste tout ce que j'ai engrangé pendant toutes ces riches années mais il va me manquer sa présence bienveillante, son infinie patience avec les fidèles qu'il rencontrait, son écoute attentive des paroles qui lui étaient murmurées lors des processions des offrandes, pendant les bains de foule, son exquise politesse (il n'omettait jamais de remercier ou de s'excuser), son sourire serein, ses gestes mesurés mais vrais, son élégance naturelle.

Que notre Benoît puisse, à l'écart du monde, du bruit qui meuble trop bien le vide des âmes et des cœurs, se reposer un peu pour pouvoir laisser du temps au temps et à Dieu pour continuer à veiller sur nous par une prière aimante, ardente!! Je trouve sa décision fort sage, très belle, une magnifique preuve d'amour. Le cadre sera plus simple mais je suis persuadée que ce changement ne pourra que réussir à l'évêque émérite de Rome qui n'appréciait que très moyennement tout ce faste. Les monastères qu'il fréquentait avant 2005 pour des retraites lui convenaient fort bien. Ensuite lorsqu'il visitait des religieux cloîtrés j'avais le sentiment que là il était vraiment à sa place, d'ailleurs il ne précipitait jamais le moment du départ . A travers cet environnement plus dépouillé, plus agreste, la vie sera plus sereine, en accord avec ses aspirations profondes. Il emporte son piano et ses livres, ses vraies richesses et il va retrouver ce à quoi il aspire : le calme, la nature, le silence, la méditation , la prière, tout cela afin de mieux servir l'Eglise car ce pasteur est très lucide et adapte ses conditions de vie à son âge afin de pouvoir continuer à remplir sa mission; ce n'est pas une dérobade.Cet homme a le goût des jolies choses et, même dans la simplicité, je pense que son souci de la beauté, de l'harmonie des lieux, imprimera sa marque. Que Notre Seigneur et Marie veillent sur lui et lui accordent de nombreuses années de sérénité avec un entourage qui sera tout à ses soins. Peut-être aurons-nous la grâce de découvrir certains écrits venant de lui, on peut toujours rêver?

Mon appréciation n'est étayée par aucune référence religieuse; elle n'est basée que sur ce que j'ai perçu de lui avec ma personnalité, ma sensibilité et tout ce que vous m'avez appris à découvrir et pour cela je vous dis aussi un grand merci.

Avant de conclure je tiens à préciser que je lis La Croix, Le Figaro, différentes revues mais que je ne m'en nourris pas, je ne me considère pas comme une catholique cérébrale et sèche. Je l'ai dit, je le répète, les médias ont d'immenses torts mais ils n'obligent pas les lecteurs à considérer leurs écrits comme une bible. Le discernement appartient au chaland, pas au vendeur. Je peux lire n'importe quoi: les railleries, les jugements méprisants, les mensonges les plus flagrants, les plus odieux, mais aussi les promesses les plus délirantes, cela a le don de me faire bouillir, de m'indigner, de me donner envie d'étrangler les personnes, de faire naître en moi parfois une interrogation, mais pas de m'ébranler dans mes convictions parce que je suis raisonnable, pragmatique et non influençable. Je ne m'occupais pas de l'Eglise mais je ne lui étais pas hostile. Benoît XVI a été mon seul et durable coup de cœur. Je n'écoute pas les "infos" à la radio, je lis les articles de certains blogueurs dans ces deux quotidiens, quant aux commentaires je constate bien souvent que ce sont beaucoup de caractères alignés pour rien, une façon de se défouler. Si pour certains ils représentent une solution pour s'affirmer, c'est leur problème, mais je déplore que n'importe quoi soit jeté en pâture par un simple clic de souris et commette des dégâts incommensurables et irréversibles avec une grossièreté, une ignominie qui me révulsent.

Bon dimanche.

Jeannine