Benoît XVI, serviteur de notre joie

La splendide homélie prononcée le 22 février par le R.P. Louis-Marie de Blignières, fondateur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier (1), lors de la messe d’action de grâces pour Joseph-Ratzinger - Benoît XVI (28/2/2013)

Merci à Michel Janva, du
Salon Beige.

Image ci-contre sur le site de la Fraternité: http://www.chemere.org/

     

Très Saint Père, vous avez été, comme archevêque de Munich, comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et comme Souverain Pontife : coopérateur de la vérité, artisan d’unité et serviteur de notre joie.

1. Coopérateur de la vérité
Votre ministère a été enraciné dans le souci constant d’ouvrir aux hommes le chemin de la vérité, dans le contexte difficile de la modernité, et pour cela vous avez su prendre du recul, en comprenant les enjeux : la perte de la dimension métaphysique de l’intelligence et le déclin conséquent de la théologie de la création, celle qui voit dans la nature et le corps un message de la sagesse de Dieu.

D’où votre œuvre de présentation catéchétique de la foi : des deux conférences sur la catéchèse à Lyon et Paris en 1983… au CEC et à son Compendium en 1992 et 2005 ; d’où votre insistance sur l’harmonie de la foi et de la raison, l’accord de la sagesse grecque et de la révélation : de Veritatis Splendor et Fides et Ratio (encycliques auxquelles vous avez collaboré en 1993 et 1998), jusqu’aux discours de Ratisbonne et des Bernardins en 2006 et 2008, en passant par la conférence à la Sorbonne en 1999 sur le christianisme comme religio vera.

Dans une époque de vacillation et de doute, vous avez rappelé, notamment à l’Europe menacée de nihilisme, la pertinence de la loi naturelle, dans le respect de l’homme et de la création, et la nécessité de « rendre visible la foi comme l’alternative que le monde attend après la faillite de l’expérience libérale et de celle de type marxiste » (Disc. aux Présidents des Com. Doctr. des épiscopats européens, 2 mai 1989).

Je me souviens du jour où je vous disais que c’était grâce à l’amour de la vérité qui transpirait dans vos œuvres, que j’avais retrouvé la communion hiérarchique… et il me semble que vous y fûtes sensible. Merci, Très Saint Père, d’avoir été pour nous et pour tant de personnes (je pense à Magdi Cristiano Allam et au Père Michel Viot par exemple) une incarnation attirante de l’amour de la vérité.

2. Artisan d’unité
Toute votre vie, vous avez été sensible à l’unité comme fruit et comme preuve de la vérité. C’est le souci de l’unité de l’Eglise, telle que le Christ l’a voulue, et du magistère qui en est le garant, qui vous a fait, très rapidement après l’optimisme du renouvellement que vous attendiez du Concile, prendre des distances à l’égard de ceux qui y voyaient, non l’instrument d’une réforme, mais l’occasion d’une révolution, un super-dogme et un commencement absolu. De là la fondation de Communio pour faire pièce à Concilium.

De là votre opposition, de plus en plus affirmée, comme théologien, puis comme archevêque de Munich, au los von Rom [l’éloignement de Rome]. De là votre refus de la rupture sans précédent introduite par l’interdiction des anciens rituels, car vous avez une conscience aiguë que l’unité catholique dans la durée est garante de l’unité dans la foi. De là votre travail incessant, comme préfet de la CDF, pour écarter les conceptions erronées sur la nature du Peuple de Dieu, sur les rapports avec les autres religions, et sur l’œcuménisme… travail manifesté notamment par Dominus Jesus. De là enfin, depuis le 22 décembre 2005, la lecture de Vatican II que vous proposez selon une « herméneutique de la réforme dans la continuité ».

De là votre travail acharné pour combattre la décadence de la christologie, par la lecture de l’Ecriture dans l’analogie de la foi, en redonnant sa place centrale au titre de Fils au sens métaphysique, loin d’un Jésus purement empirique ; et conséquemment, votre opposition à une notion bureaucratique de la communion ecclésiale, en remettant en honneur la réalité de l’Eglise comme Corps mystique, qui seule donne à la communion sa dimension surnaturelle.

Ce faisant, vous avez insisté sur la nécessité d’une théologie de l’enfance, sur la portée théologique de notre « être-fils » (Kindsein). Nous sommes fils de Dieu en Jésus, et à cause de cela, nous sommes fils de l’Eglise. Cette redécouverte de la piété filiale à l’égard de l’Eglise et de son être historique permet de comprendre votre souci de l’unité entre les baptisés (ad extra les réformés, les orientaux ; ad intra les traditionnels latins), avec les sacrifices que cela peut entraîner pour discerner ce qui est essentiel à l’être catholique et ce qui peut et doit être diversité dans l’unité, ou lieu d’un légitime débat.

Je me souviens de ce jour de juillet 1988, où, en compagnie des prêtres qui ont été ensuite à l’origine de la Fraternité Saint-Pierre, je vous demandais s’il y avait une place dans l’Eglise pour des prêtres qui ne diraient jamais le nouveau rit et qui ne feraient jamais schisme ; et vous nous répondîtes : « La main que l’Eglise a tendue à Mgr Lefebvre reste ouverte pour ceux qui veulent la saisir ». Merci, Très Saint Père, d’avoir été pour nous et pour tant de personnes, artisan d’unité dans la vérité. Nous ne regrettons certes pas cette main tendue que nous avons baisée.

3. Serviteur de notre joie
Un thème constamment présent dans votre ministère, de vos œuvres de théologien à l’encyclique Spe Salvi, est celui de la vie éternelle. Vous avez sans cesse réagi contre la réduction horizontale de l’eschatologie à l’utopie d’un « monde meilleur », ou à la paix terrestre recherchée comme bien ultime, qui semblent être devenus « le véritable objet de l’espérance et le vrai critère éthique ». « C’est à peine si la foi en la vie éternelle joue encore un rôle dans la prédication aujourd’hui », avez-vous dit, y voyant « la menace d’une réduction radicale du contenu de notre foi » (Disc. cité du 2 mai 1989).

Votre ministère cardinalice et pontifical a été, en contrepoint, comme un hymne à l’espérance dans la vie éternelle. Certes, vous avez affronté les défis culturels, sociaux et politiques de l’heure, et encouragé la contribution de l’Eglise au bien de l’humanité, notamment dans Caritas in veritate. Mais vous l’avez fait en « serviteur de notre joie », selon la belle définition de votre ministère pétrinien, que vous avez donnée lors de votre messe d’intronisation papale. Notre joie ne peut être seulement terrestre, elle est dans le Royaume de Dieu, dans la charité mutuelle des chrétiens, dans les béatitudes du Sermon sur la montagne… qui sont la vie éternelle commencée.

Ce service de la joie chrétienne est, pour vous, porté par la beauté : beauté de la liturgie, beauté de l’art chrétien, beauté de la vie chrétienne. Vous avez rétabli les droits de l’usage antique du missel romain, trop longtemps combattu : non seulement parce qu’il « doit être honoré en raison de son usage vénérable et antique » (Summorum Pontificum) ; non seulement par un évident désir de l’unité et par un courageux souci de la justice ; mais aussi à cause de la beauté de ce rite, qui véhicule la sacralité et soutient l’adoration. « J’avais oublié à quel point les prières de ce Missel portent à l’adoration », disiez-vous après avoir célébré de nouveau cette messe dans une communauté "Ecclesia Dei".

Votre amour de la beauté dans l’art, vous l’avez exprimé à de nombreuses reprises, notamment à Barcelone en 2010 : « La beauté est révélatrice de Dieu, parce que, comme Lui, l’œuvre belle est pure gratuité, elle invite à la liberté et arrache à l’égoïsme ». Et votre amour de la beauté dans la vie chrétienne a été manifeste dans la façon dont vous avez dénoncé et combattu ce qui la souillait dans la vie de l’Eglise. Comment avez-vous eu le courage de dire toujours sereinement la vérité sur le mal et la laideur : depuis vos fameux Entretiens sur la foi, jusqu’aux discours et aux mesures contre les scandales de mœurs dans l’Eglise, en passant par le Chemin de Croix de 2005 ?

La réponse est dans votre extrême sensibilité à la beauté de l’amour, dans votre rayonnante humilité, dans votre joie spirituelle. Vous savez que le mal n’est jamais ultimement vainqueur. En écoutant Blaise Pascal parler des saints et du Christ, je ne peux me défendre de penser à vous : « Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre, et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles [dans le sens de : intellectuelles]. Ils sont vus de Dieu et des anges, et non des corps ni des esprits curieux. Dieu leur suffit. […] Il eût été inutile à Notre Seigneur Jésus-Christ pour éclater dans son règne de sainteté, de venir en roi, mais il y est bien venu avec l’éclat de son ordre » (Pensées, Brunschvig, n. 793).
« L’éclat de votre ordre », Très Saint Père, c’est celui de la vérité dans l’humilité. Comme un Agneau de Dieu, vous touchez les cœurs par la grandeur de l’intelligence jointe à la délicatesse de l’amour. « La puissance fait défaut à la vérité, d’autant plus qu’elle est plus noble. […] Plus une vérité est noble, plus aisément les réalités grossières peuvent la pousser de côté ou la couvrir de ridicule ; plus elle doit compter sur l’attitude chevaleresque de l’esprit. » (Romano Guardini, Le Seigneur, II, 253).
Merci, Très Saint Père, d’avoir été, pour nous et pour tant de personnes, un « amant de la beauté spirituelle » (Règle de S. Augustin) et un serviteur de notre joie.

Merci, Très Saint Père, d’avoir été, pour l’Eglise et pour nous, depuis plus de trente ans, en contrepoint du relativisme, de l’égoïsme et du désespoir, une épiphanie chrétienne de la vérité, de l’unité et de la joie.

Fr. L.-M. de Blignières, fondateur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier

Note

La Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, dont le siège se trouve à Chéméré-le-Roi en Mayenne, est une communauté religieuse d’inspiration dominicaine qui puise ses forces dans l’observance régulière et la liturgie traditionnelle.

Disciples de saint Thomas d’Aquin, les frères sont avant tout des apôtres, dont la prédication est orientée au “salut des âmes par la lumière” (sainte Catherine de Sienne).
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