Caro Papa

Les interrogations d'un fils: le cheminement d'un ratzigérien de conviction, qui est passé, après l'annonce du Pape de la déception, et la perplexité, à la compréhension, l'admiration et la gratitude. Beaucoup se reconnaîtront dans sa lettre (14/2/2013)

>>>
Image ci-contre: le pape quite l'Aula Paolo VI après l'audience générale d'hier

     

Chers frères et sœurs,

Comme vous le savez, j’ai décidé – merci pour votre sympathie –, j’ai décidé de renoncer au ministère que le Seigneur m’a confié le 19 avril 2005.
Je l’ai fait en pleine liberté pour le bien de l’Église, après avoir longuement prié et avoir examiné ma conscience devant Dieu, bien conscient de la gravité de cet acte, mais en même temps conscient de n’être plus en mesure d’accomplir le ministère pétrinien avec la force qu’il demande.
La certitude que l’Église est du Christ me soutient et m’éclaire. Celui-ci ne cessera jamais de la guider et d’en prendre soin. Je vous remercie tous pour l’amour et la prière avec lesquels vous m’avez accompagné.
Merci, j’ai senti presque physiquement au cours de ces jours qui ne sont pas faciles pour moi, la force de la prière que me donne l’amour de l’Église, votre prière. Continuez à prier pour moi, pour l’Église, pour le futur Pape. Le Seigneur nous guidera.
(Benoît XVI, introduction de la catéchèse du 13 février)

     

Le mal et l'erreur se répandant toujours plus vite que le bien, les interrogations, plus ou moins malveillantes sur la démission de Benoît XVI, ses motifs, ses retombées éventuelles pour l'Eglise, commencent à se déverser sur Internet. Sans compter les rumeurs, comme par exemple que le texte en latin lu par le Saint-Père lundi devant le Consistoire serait entaché de nullité, car contenant deux "grossières" erreurs de syntaxe!!!
Parmi les interprétations qui courent sur la Toile, la moins pernicieuse n'est pas celle que l'éditorialiste de la Bussola appelle "la réduction moderniste".
Mais il y a aussi ce que certains ont appelé "la descente de la Croix" de Ratzinger. En d'autres termes, on lui reproche de s'être "défilé", d'avoir fui en quelque sorte devant le danger, abandonnant une Eglise en pleine tempête, et la laissant en plein désarroi. Et on le compare, une fois de plus, à Jean-Paul II, pour encenser ce dernier - les mêmes parfois, il y a huit ans, suggéraient de faire une piqûre au vieux pape souffrant pour abréger son agonie!!!

C'est évidemment faux, et les arguments qui le prouvent ne manquent pas. Et le premier de tous est que l'Eglise n'obéit pas aux logiques du monde, comme lui-même ne cesse de nous le répéter.

D'abord, le navire de l'Eglise vogue rarement dans des eaux calmes, et depuis le premier jour de ce pontificat, il traverse la tempête, avec comme principale cible ce pape allemand haï des medias. Il est vrai que récemment, les choses autour de lui s'étaient accélérées.
Benoît XVI, par sa prédication et ses actes laisse un grand héritage à l'Eglise, et à son successeur, tous les éléments pour gérer la barque au mieux. Il a, lit-on (c'est juste, mais bien réducteur) entamé un travail de purification de l'Eglise - l'institution - même si la pureté ne se décrète pas. Il nous a rappelé que le plus important se passe en nous - la conversion. Là encore, cela ne se décrète pas, mais c'est le Chemin qu'il nous indique.
L'argument de l'abandon ne tient pas, car nous savons bien que le Saint-Père n'est pas éternel. Ce qui aurait pu arriver à tout moment - lui aussi le savait parfaitement - c'est qu'il meurt subitement, d'une crise cardiaque (et à chaque retard au début des audiences, je tremblais de peur). Là, il aurait bel et bien provoqué une panique. Il choisit une autre voie: se retirer en douceur, tout en laissant à la "machine" (il faut bien l'appeler ainsi) le temps de se retourner, c'est-à-dire la possibilité de gérer la transition dans le calme. Une opération à chaud est toujours plus risquée et délicate qu'une opération prévue à l'avance.

Quant à l'aspect purement humain, qui existe, et que son frère a évoqué (L' interviewe de Georg Ratzinger), lui seul sait dans quel état il se trouve, mais ce qui est certain, c'est qu'il n'avait plus l'énergie nécessaire pour se battre. L'Eglise a besoin - croit-il - de quelqu'un de plus jeune, plus fort physiquement, plus énergique. Selon ses propres mots "ses forces le quittaient". Et il a choisi de la servir autrement, après un dialogue avec Dieu auquel nous n'avons pas accès, et que nous ne pouvons même pas concevoir.
J'ajoute ceci, que personne n'a souligné: Benoît avait un pacemaker (ce qui est certainement banal de nos jours). Mais l'état de son coeur lui interdisait formellement (selon son frère) les vols long courrier. On imagine son appréhension, et on salue son courage, lorsqu'il grimpait la passerelle de l'avion, à Fiumicino, avant de s'envoler au loin (une chose qu'il a d'ailleurs dite en arrivant à Sidney en 2008, après un vol de 20 heures!). Et cela a été encore plus le cas, lors du dernier voyge, au Mexique, le printemps dernier (1)

* * *

La lettre qui suit, dans laquelle beaucoup pourront reconnaître leurs propres interrogations du début, est parue hier dans l'Avvenire (page "opinion")

     

Caro Papa
La logique du monde, la logique de Dieu
13/2/2013
-----
Cher Pape,
il manque un accent à la dernière lettre de ton nom, "Papa" (ndt: en italien, le mot français "papa" s'écrit "papà"), et ce serait un autre mot. Le mot que chaque enfant prononce des milliers de fois dans sa vie et celui qu'un enfant de Dieu a la chance de prononcer beaucoup plus, car, en fin de compte, la vie chrétienne, c'est d'apprendre à dire: Abba, "papà", à Dieu.

A la nouvelle de ta renonciation, j'ai eu peur. J'ai éprouvé la même douleur pour la mort de Jean-Paul II: alors, j'étais âgé de 28 ans et je me sentais orphelin, j'ai pleuré comme quelq'un qui a perdu un père.
Lundi, il m'est arrivé la même chose. Je me suis senti orphelin. Tu avais décidé de ne plus être pape. Un autre père me quittait. C'est la douleur d'un enfant qui a reçu beaucoup. J'ai suivi ton pontificat à partir du moment où tu es apparu pour la première fois au balcon (je vivais à Rome à l'époque). J'ai lu tes écrits, je me suis nourri de tes paroles toujours profondes et étrangement simples pour un professeur de théologie, parce que fondées sur la relation avec le vrai Dieu....
Durant ces années, où la foi est souvent mise à l'épreuve, moquée, incomprise, tu as servi de paratonnerre à beaucoup de critiques. Tu les as toutes prises sur toi. Peu t'importait de prendre des coups. Heureux ceux qui souffrent pour l'amour du Christ, et qui sait quelle salaté de l'Eglise a été jetée sur toi pour être ce père de famille qu'est le Pape. Tu as toujours démontré, et Dieu sait et avec quelle douleur, depuis le discours de Ratisbonne jusqu'à celui sur le mariage, que le seul consensus qui t'intéresse est celui de ton Père Dieu, c'est-à-dire de la vérité, du logos.

C'est pourquoi j'ai eu peur lorsque tu as annoncé ton retrait. Sur le moment, cela m'a semblé être une fuite (ndt: "tirarsi indietro", on pourrait traduire familièrement par "se défiler"). Si tu te défiles, aussi, toi qui es le pape, qu'allons-nous devenir. J'ai repensé à l'une de tes phrase que je porte dans mon cœur: «La fidélité est le nom qu'a de l'amour dans le temps». Je m'en souviens toutes les fois que mon amour, et celui de l'autre, est mis à l'épreuve et je dois m'agripper de toutes mes forces à l'Amour qui anime tous les autres amours, en plus du soleil et des étoiles. Ces dernières années, ma foi a été renforcée grâce à ce logos courtois, ferme et chaleureux, que tu sais infuser dans les mots que tu utilises, comme (à titre d'exemple) celles-ci, que j'ai lues il y a quelques jours: «Dieu, avec sa vérité, s'oppose aux multiples mensonges de l'homme, à son égoïsme, à son orgueil. Dieu est amour. Mais l'amour peut aussi être haï, là où il exige que l'on sorte de soi-même, pour aller au-delà de soi-même. L'amour n'est pas un sentiment romantique de bien-être. La rédemption n'est pas le bien-être, se baigner dans l'auto-complaisance, mais une libération de l'être comprimé en soi. Cette libération a comme coût la souffrance de la croix». En repensant à ta phrase, en lisant ces mots, ta «démission» me semblait incompréhensible et me jetait dans le tourment.

Je me suis senti seul. A quoi sert de défendre sa propre foi si même le Pape se retire.
Et puis, peu à peu, l'émotion a laissé la place au logos justement, à la vérité du Christ, et une grande paix est revenue dans mon cœur. Je devais aller au-delà du code d'interprétation subjectif, affectif, matériel. Renoncer représente un échec pour le monde, c'est un geste de faiblesse pour le monde dans lequel on «est» seulement si l'on s'affirme, à n'importe quel prix. La logique de la faiblesse n'est pas du monde. Du monde est la logique du pouvoir et de l'égoïsme. Pour cela, ton geste est un geste de liberté du "moi", et non de fuite de Dieu, dans lequel tu veux te réfugier complètement pour continuer à soutenir l'Eglise plus et mieux.

Par ce geste, tu fais triompher une logique différente, un logos différent. Celui de quelqu'un qui sait que sa prière silencieuse a autant de valeur que son action, et laisse celle-ci à quelqu'un qui peut mieux que toi la porter. Elle a dû résonner de la même façon, difficile et inexplicable, la phrase du Christ aux siens: «Il est bon que je m'en aille, pour que vienne à vous un autre Consolateur».

Le Christ aussi semble se retirer, mais ainsi il vainc: il laisse la place à la puissance de l'Esprit, il ne se laisse pas lier, même par sa condition humaine, il donne tout, même celle-ci, il se laisse déposséder de tout lui-même, parce que, comme tu l'as expliqué dans ton livre «être chrétien» c'est «être pour». Il remet dans les mains des siens la tâche de continuer ses oeuvres et affirme qu'ils en feront d'encore plus grandes que les siennes.

Je te remercie, cher Pape, pour tous les logos que tu nous as donnés et que nous donneras jusqu'à 28 Février, comme Pape, mais aussi pour tout le logos que tu donneras après, dans le silence que le monde appelle déjà défaite, subterfuge, fuite, et qui est en réalité victoire. Je ne me sens plus seul, car encore une fois, tu m'as aidé à regarder la seule chose qui compte, la seule nécessaire, le Logos lui-même.
Je te demande une seule chose. Ne démissionne pas de l'écriture. Continue à nourrir notre foi avec ton logos. Ne pas le faire serait démissionner d'un talent et l'Evangile parle clairement à ce sujet...
Avec toute mon affection
Alessandro D’Avenia

     

Note additive

(1) Andrea Tornielli rapporte aujourd'hui une nouvelle qui a été confirmé par le directeur de l'OR, GM Vian.
Avant de s'envoler pour le Mexique, le Saint-Père avait confié à ses collaborateurs qu'il accomplissait ce voyage "dans un esprit de pénitence".
Le matin du 25 mars, à Léon,, dans la maison des religieuses où il avait passé la nuit, il est apparu les cheveux maculés de sang. Il avait fait une chute (bénigne) dans sa chambre, et son oreiller et la moquette portaient des taches de sang. Son entourage l'a soigné rapidement, fait disparaître les taches de sang et il a passé une journée intense sans se plaindre un seul instant.
Le soir, tandis que son médecin personnel, le docteur Polisca, lui portait les soins adéquats, il y a même eu un échange plein de cet humour british très caractéristique, entre lui et le Pape:
- Vous voyez, Saint-Père, pourquoi je suis très critique envers ces voyages?
- Moi aussi, je suis très critique...
(source)