Cet étrange pouvoir qui finit par l'emporter

Dans son dernier billet, José-Luis Restàn revient sur la catéchèse du Saint-Père du 30 janvier, "Dieu, le Père Tout-Puissant". Traduction de Carlota (6/2/2013)

>>> Cf. Dieu, le Père Tout-Puissant

     

L’étrange pouvoir qui finalement vainc
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Nous, nous voudrions une omnipotence divine selon nos schémas mentaux et nos désirs; un Dieu qui résolve les problèmes, qui intervienne avec son pouvoir pour nous éviter les difficultés, qui mette à plat les pouvoirs mauvais, qui change le cours des événements et annule la souffrance, le nôtre et celui de ceux que l’on aime. Benoît XVI l’a dit dans sa dernière catéchèse, en reconnaissant la difficulté (actuelle et de toujours) à croire en un Dieu qui en étant à la fois infiniment bon et puissant, permet un monde qui nous apparaît tant de fois chaotique. Plus encore, il nous apparaît la scène amère où le mal vainc quotidiennement.

Un célèbre acteur espagnol déclarait récemment qu’il ne croyait pas en Dieu mais qu’au cas où il existe il lui dirait « qu’il n’a pas de pardon de Dieu ». Une plaisanterie acide, pas tellement originale, mais qui illustre bien cette difficulté que le Pape fait refléter dans ses paroles (*).
La surprise croît quand nous nous continuons à écouter Benoît XVI dire que, en réalité, Dieu, en créant les hommes libres, « a renoncé à une partie de son pouvoir ». Le Pape n’est pas un homme qui aime les fioritures, c’est bien plus quelqu’un qui aime la précision au moment de formuler des images qui expliquent la vérité des choses. Il m’a fait repenser à la chose qu’il a répondu à Peter Seewald dans son livre « le Sel de la Terre » à propos des trahisons de quelques ecclésiastiques : «Dieu a pris un grand risque avec nous. Le risque de notre liberté qui est le mystère le plus grand de l’univers ».

On nous le répétera mille et une fois, et nous continuerons à ne pas le comprendre. Que le chemin choisi par Dieu pour sauver le monde passe par le Jardin des Oliviers et par la croix, non pas par l’épée dégainée de Pierre et les légions d’anges qu’il aurait préférer invoquer. Benoît XVI l’explique de nouveau : «sa toute-puissance ne s’exprime pas dans la violence, elle ne s’exprime pas dans la destruction de tous les pouvoirs contraires, comme nous le souhaitons, mais elle s’exprime dans l’amour, dans la miséricorde, dans le pardon, dans l’acceptation de notre liberté, et dans l’infatigable appel à la conversion des cœurs ».
Mais évidemment, ce chemin est pour nous trop lent (pour nos exigences), trop risqué (car il dépend de la souveraine liberté des autres…), et surtout trop douloureux (il n’y a qu’à regarder Jésus devant le Gouverneur).
Le Pape conclut ce passage en regardant Jésus, son apparente faiblesse que le porte à « se laisser tuer. Et cependant Benoît XVI, le Pape de la raison pas du tout amateur des mysticismes étranges, ne manque pas une occasion d’affirmer que « c’est le pouvoir de Dieu, et ce pouvoir vaincra ». Il reprend ainsi une idée qui lui est chère, qu’il ne cesse de semer dans son magistère le plus récent : celle du pouvoir mystérieux du Ressuscité, un pouvoir qui « n’est pas un feu qui dévore et détruit ; c’est un feu silencieux, c’est une petite flamme de bonté, de bonté et de vérité, qui transforme, donne de la lumière et de la chaleur ».

Évidemment ce ne sont pas de simples paroles lancées en l’air. C’est le propre du christianisme, de l’incarnation, de chercher une vérification raisonnable de tout ce est annoncé dans la réalité, dans le présent. Le Pape ne demande pas, bien sûr, une espèce de minimalisme du bien ou une sorte de triple saut qui met dans les mains d’un futur lointain le soin de veiller à une victoire qui actuellement nous paraît incompréhensible. Il s’agit d’un vrai chemin, d’un témoignage fait de chair et de sang, qui désarme le mal depuis l’intérieur, en générant une réalité du bien qui est déjà présent, qui se laisse voir et toucher, qui expose une vérité et un attrait capables de forger un changement qui part des cœurs et arrive jusqu’au tissu de la vie sociale. Benoît XVI décrit une victoire que n’entre pas souvent dans nos paramètres, mais qui doit résister et de fait résiste à la différence de nos véritables exigences humaines.

Vingt siècles après nous pouvons voir (continuer à voir) que l’apparente impuissance de Jésus n’en est pas, et qu’un feu silencieux a forgé toute une histoire qui démontre d’une manière surprenante une résistance surprenante à son élimination par les pouvoirs de la terre qui se sont succédés. « Aujourd’hui aussi à son humble façon, le Seigneur est présent… il donne la vie, il crée des charismes de bonté et de charité qui éclairent le monde et sont pour nous la garantie de la bonté de Dieu. Oui, le Christ vit, aujourd’hui aussi il est parmi nous…sa bonté ne s’éteint pas, il est fort aujourd’hui aussi ». Une bonne question pour les chrétiens de cette heure : « Restons-nous avec le réalisme du Pape ou avec l’eau acide (ndt: dans le texte original eau de javel) des sceptiques ? La réponse, on nous la demande chaque jour.

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Note de traduction

(*) Je pense qu’il s’agit de José Sacristán (né en 1937), un comédien talentueux qui débuta une carrière cinématographique à l’époque du Général Franco dans des films comiques (il jouait plutôt le gentil triste ahuri). Par la suite son répertoire évolua vers d’autres rôles plus âpres et avec l’air du temps. Il fut notamment le protagoniste de « Un hombre llamado Flor de Otoño » (1978) qui racontait une tentative d’attentat à Barcelone contre le Général Miguel Primo de Rivera (Président du conseil des ministres du Roi d’Espagne de 1923 à 1930) par des activistes de gauche dirigés par un avocat engagé mais aussi homosexuel, un film qui réintroduisait le thème de l’homosexualité dans le cinéma espagnol de l’immédiat après-franquisme. L’acteur a joué également des comédies musicales et de nombreux feuilletons et téléfilms. Après l’époque franquiste, l’acteur ne s’est pas fait avare de proclamer ses idées politiques, mais là encore la normalité en Espagne comme ailleurs… Dans l’article ici, José Sacristán parle notamment de sa petite enfance misérable dans l’Espagne des années 40, de son père en prison. Il a commencé à travailler à 14 ans comme tourneur, mais il se passionnait déjà pour le théâtre amateur et a découvert les classiques dans la bibliothèque de la caserne où il faisait son service militaire.
On peut lire encore « J’ai 75 ans […]. Marié une seconde fois, j’ai trois enfants et trois petits-enfants. Je souffre d’une grande déception politique, la gauche me fait particulièrement mal. Je crois que Dieu n’existe pas, mais s’il existe il n’a pas de pardon de Dieu » (ndr je crois comprendre l’idée d’un refus du « d’où il viendra juger les vivants et les morts »?). Bof…comme dit J.L. Restán, une plaisanterie caustique « pas tellement originale ».