Cher Saint-Père

Comment allons-nous faire, sans vous...? Le 19 avril 2005 commençait un pontificat grandiose. Voici ce que j'écrivais alors - sans même imaginer à quel point vous alliez répondre à nos attentes. Vous nous avez tant donné. (11/2/2013)

Mardi 19 Avril 2005, il est 18h47….

Je suis comme tout le monde devant mon poste de télévision.

Je suis fébrile, mais c’est pour une raison somme toute vulgaire, l’impatience de savoir, de voir, la sensation confuse d’une tension qui monte, mais qui va se relâcher d’un instant à l’autre…Ce n’est pas très éloigné du sentiment que l’on éprouve au cinéma lorsqu’on arrive à la fin d’un film à suspense. Et puis, je n’ai guère hanté les églises depuis mon adolescence, et je suis encore convaincue que la foi est une grâce qui ne m’a pas été accordée.

Comme tout le monde, aussi, je connais l’identité du nouveau Pape, et je sais depuis l’annonce faite par le protodiacre chilien Medina qu’il a choisi le nom de Benoît XVI. Mais celui du cardinal Joseph Ratzinger ne me dit que peu de choses, je sais seulement (ce qui m’agrée) qu’il est classé comme conservateur, et que lors de la méditation du Chemin de Croix, il a prononcé des propos musclés sur l’Eglise, une barque qui prend l’eau de toutes parts…

Puis, le rideau rouge dans la loge des bénédictions de la Basilique Saint-Pierre s’ouvre comme au théâtre… et c’est une révélation !

« IL » apparaît, il ouvre les bras vers nous en un geste caressant, un geste de père, comme s’il voulait nous serrer contre lui, il sourit …
Ah!! ce geste des bras... Comment l'oublier!
Il parle en italien, d’une voix douce, légèrement cassée par la fatigue; et cette voix tremble un peu, de peur et de timidité devant la foule immense, et il bute sur les mots d'une langue qu'il maîtrise mais qui n'est pas la sienne (qui a remarqué qu’il a rectifié le « prières » français en un « preghiere » italien ?), sous l'emprise d'une émotion profonde, qu’il parvient presque à dominer, et qui me le rend instantanément touchant parce qu’il est fragile et humain. Et lorsqu’il nous bénit… il n’a plus d’âge, il est transfiguré par la sérénité, la lumière dont il rayonne. Plus rien d’autre n’existe que cette lumière.

Après, je me sens légère, joyeuse. J’ai téléphoné à ma mère pour partager cet instant de bonheur, je devrais dire "cet instant de grâce"....

Pour moi, il s’est passé ce jour-là quelque chose de vraiment spécial. Comme si une porte s’était ouverte. Beaucoup plus tard seulement, en revoyant les images enregistrées et en y repensant, j’ai réalisé qu’il était beau, avec son doux visage souriant, aux traits menus et délicats comme ceux d’un enfant.
A qui m’objectera que cet engouement banalement humain n’a rien de spirituel, et s’apparente plus à l’idolâtrie qu’à la Révélation, je répondrai que le Seigneur (s’il existe, mais maintenant, comment douter qu’il existe ?) pourrait fort bien choisir cette voie humaine pour se révéler. Après tout, les disciples ont peut-être commencé par aimer la personne de Jésus.

Et sa beauté, ce visage encore si pur et si lisse que l’on pourrait croire modelé dans la porcelaine, et qui rayonne de bonté, ne peuvent qu’être un don de Dieu.

Après ce moment intense, quelques réflexions s’imposent à moi :

D’abord, comment ne pas croire à la prédestination ?
Il l’a dit lui-même, d’ailleurs, dans un de ses livres que j’ai lu par la suite, « Dieu a un projet pour moi ». Et il n’était pas encore pape! Comment ne pas croire en effet que Dieu ne poursuivait pas un but en le faisant naître dans cette famille simple mais exceptionnelle (il faut lire ce qu’il en dit dans son livre de souvenirs), dans cette Bavière rurale profondément marquée par le catholicisme (encore aujourd’hui!), puis en lui accordant tous ces dons vraiment extraordinaires, entièrement tournés vers la recherche et l’accomplissement du Bien, alors qu'à moins de 20 km de là, presque quarante ans plus tôt, et sur les bords de la même rivière, l'Inn, était né et avait grandi l'incarnation du Mal que fut Adolf Hitler.

Son âge apparaît comme un défi à cette société qui vénère comme le veau d’or l’apparence de la jeunesse, et envoie ainsi un message de courage et d’espoir (et pourquoi pas, de fierté) vers ceux qu’il faut bien appeler les vieux. Car son image incroyablement juvénile rayonne d' une énergie sereine qui lui donne une valeur de symbole.

Et puis, comment ne pas être impressionné par la trajectoire fulgurante du petit garçon bavarois issu d’une modeste famille paysanne, jusqu’à la plus haute charge de l’Eglise catholique, après avoir été, au dire de Time Magazine, en tant que préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, l’une des cents personnalités les plus influentes au monde. N’en déplaise aux zélateurs de la démocratie et de son soi-disant « ascenseur social », ceci témoigne de l’incroyable capacité de l’Eglise avec sa structure pyramidale, son système d’élection aristocratique et son et gouvernement monarchique (des survivances du passé !) à promouvoir le vrai mérite de l’excellence.

Quelle leçon pour notre république si encline elle-même à en donner!

Pour finir, j’aimerais témoigner d’un propos recueilli le lendemain « dans la rue » (ou plus exactement, à la caisse d’un supermarché). Devant la photo géante du nouveau Pape à la une du Figaro que je venais d’acheter, une dame m’a dit, après avoir comme tout le monde déploré son grand âge, et constaté ma réticence à ses propos : « il porte la sainteté sur son visage ». On ne saurait mieux dire.

Vox populi…

Metz, 29 avril 2005