Conversation avec le cardinal Ratzinger

Des archives de radio Ratican (édition en anglais), une interviewe datant de 2001, au moment de la sortie du second livre d'entretiens avec P. Seewald, et au lendemain du 11 septembre (3/3/2013)

Article en anglais ici: http://en.radiovaticana.va/ . Ma traduction.
(Merci à Teresa)

     

Antonella Palermo, de Radio Vatican a eu l'occasion de parler avec le cardinal Joseph Ratzinger avant son élection à la papauté.
À l'époque, le cardinal Ratzinger était le chef du Dicastère du Vatican pour la Doctrine de la Foi.
Dans l'interview qui suit, tiré de de nos archives, nous voyons un aspect plus personnel à l'homme qui, lorsqu'il a été nommé pape en 2005, a été largement décrit comme austère et inflexible sur les questions liées à l'Eglise.
Antonella Palermo s'est entretenue avec le cardinal Ratzinger peu de temps après la sortie en Italie du livre "Dieu et le monde" (paru en français soius le titre "Voici quel est notre Dieu"), une conversation approfondie entre le cardinal et le journaliste allemand Peter Seewald - publié deux jours après les attaques du 11 septembre contre les États-Unis en 2001.

A l'époque où le cardinal Ratzinger s'entretenait avec Antonella Palermo, la guerre menée par les USA contre le terrorisme en Afghanistan entrait dans son deuxième mois. L'interview donne un aperçu des idées du nouveau pape sur la théorie de la "Guerre juste" - quand une nation ou un individu a non seulement le droit mais le devoir de défendre la vie humaine et les droits de l'homme.



Q: Votre livre est sorti en Italie deux jours après les attentats terroristes aux Etats-Unis. S'il était sorti un peu plus tard, qu'auriez-vous ajouté, avec le recul?
R: J'aurais probablement dit que l'abus du nom de Dieu était le problème, parce que ces attaques ont été menées au nom de Dieu. On abuse ici de la religion pour d'autres fins; elle a été politisée et on en a fait un facteur de pouvoir. D'un autre côté, peut-être aurais-je parlé davantage de la nécessité de connaître le visage humain de Dieu. Si nous voyons le visage du Christ, notre Seigneur qui souffre pour nous et nous a montré combien il nous a aimés en mourant pour nous, nous avons une vision de Dieu qui exclut toute forme de violence. Et c'est donc le visage du Christ qui me semble être la réponse parfaite à l'abus d'un Dieu qui se transforme en un instrument de notre pouvoir.

Q: Y a-t-il quelque chose comme une «guerre juste»?
R: C'est un sujet majeur de préoccupation. Lors de la préparation du Catéchisme, il y avait deux problèmes: la peine de mort et la théorie de la guerre juste étaient les plus débattues. Le débat a pris une nouvelle urgence compte tenu de la réponse des Américains. Ou, autre exemple: la Pologne qui se défend contre Hitler. Je dirais que nous ne pouvons ignorer, dans la grande tradition chrétienne et dans un monde marqué par le péché, aucune agression mauvaise, qui menace de détruire non seulement de nombreuses valeurs, de nombreuses personnes, mais l'image même de l'humanité. Dans ce cas, la défense de soi et des autres est un devoir. Disons par exemple qu'un père qui voit sa famille attaquée a le devoir de la défendre par tous les moyens possibles - même si cela signifie utiliser une violence proportionnelle. Ainsi, le problème de la guerre juste est défini selon ces paramètres: 1. Tout doit être consciencieusement envisagé, et toutes les alternatives explorées si il y a même une seule possibilité de sauver des vies humaines et des valeurs; 2. Seuls les moyens les plus nécessaires de défense doivent être utilisés, et les droits de l'homme doivent toujours être respectés; dans une telle guerre l'ennemi doit être respecté comme un être humain et tous les droits fondamentaux doivent être respectés. Je pense que la tradition chrétienne sur ce point a apporté des réponses qui doivent être mises à jour sur la base des nouvelles méthodes de destruction et des nouveaux dangers. Par exemple, il peut y avoir aucun moyen pour une population de se défendre contre une bombe atomique. Donc, ceux-ci doivent être mis à jour. Mais je dirais que nous ne pouvons pas totalement exclure la nécessité, le besoin moral, de défendre convenablement les personnes et les valeurs contre les agresseurs injustes.

Dans l'interview, le cardinal Ratzinger montre également son côté plus personnel, et révèle certaines de ses réflexions sur ce qu'il considère comme une tendance dans le monde de faire taire l'Eglise, et de mettre Dieu dans notre propre moule. Compte tenu de sa remarque "n'ayez pas peur" peu de temps après son élection comme pape Benoît XVI, la première question d'Antonella Palermo au cardinal est en soi révélatrice ....

Q. En tant que chrétien du nouveau millénaire, avez-vous jamais eu peur de Dieu?
R. Je n'ai pas peur de Dieu parce que Dieu est bon. Naturellement, je reconnais mes faiblesses, mes péchés et je sais que ceux-ci peuvent blesser le Seigneur qui prend soin de nous si profondément. Je suppose que dans ce sens, j'ai peur de la façon dont mes actions affecteront Dieu - quelque chose de très différent de la conception traditionnelle de la peur. En ce sens, je n'ai pas peur de Dieu; je révère le Seigneur et je ne voudrais pas faire quelque chose qui lui nuise.

Q. Une expression qui est malheureusement utilisé aujourd'hui est "Dieu oui, l'Eglise non". Dans ce livre vous répondez à cela avec une note d'inquiètude. Pouvez-vous préciser ce point?
R. Oui, car en disant: "Dieu oui, ou peut-être même le Christ oui, l'Eglise non" je créer un Dieu, fondé sur ce que je veux qu'il soit, basé sur mes propres idées et désirs. Le vrai Dieu, le vrai juge de mon être et la vraie lumière de ma vie, vit en moi. Dieu n'est pas modifiable en fonction de mes idées ou de mes désirs. Si je peux changer ce Dieu selon mes besoins et désirs, cela signifie que je ne le prends pas au sérieux et que je trouve cela artificiel.

Q. Vous parlez aussi dans le livre d'une tendance à être d'accord avec l'expression «Dieu non, la religion oui».
R. C'est un autre aspect du problème aujourd'hui: nous recherchons quelque chose de religieux, quelque chose de religieux qui nous donne une certaine satisfaction. L'humanité veut comprendre l'infini, pour avoir les réponses au sujet de cette autre dimension, cet "autre côté" qui respire la douceur et l'espoir que les choses matérielles ne peuvent donner. Je pense réellement que c'est une grande tendance aujourd'hui: se séparer du besoin de la foi, d'un «oui» concret à Dieu qui est plein de sens. Les gens recherchent davantage la satisfaction immédiate sans avoir à vraiment s'engager. Alors qu'il peut être très agréable d'entrer dans cette dimension mystique - sans aucun engagement, vous finissez par la simple satisfaction des désirs immédiats et vous êtes emprisonné dans votre estime de soi.

Q: Et que dirait le cardinal Joseph Ratzinger à propos de lui-même s'il avait à peindre un autoportrait?
R: Un autoportrait serait impossible, il est difficile de se juger soi-même. Je peux seulement dire que je viens d'une très simple, très humble famille et donc je ne me sens pas vraiment comme un cardinal. Je sens que je suis simplement un homme. En Allemagne, je vivais dans une petite ville avec des gens qui travaillent dans l'agriculture, l'artisanat et là je sens que je suis à la maison. En même temps j'essaie d'être ainsi dans mon travail / bureau / poste. Si je réussis, ce n'est pas à moi de le dire. Je me souviens toujours avec beaucoup d'affection de la bonté profonde de mon père et de ma mère et naturellement pour moi la bonté implique aussi la capacité à dire «non» - parce que la bonté qui laisse tout aller peut ne pas être bonne pour l'autre. Parfois, la bonté peut aussi signifier dire "non" et donc on risque de rencontrer la contradiction. Mais même cela doit être vraiment nourri, non par un sentiment de puissance, de vindict, mais doit venir de la bonté ultime: le désir de faire du bien aux autres. Ce sont mes critères, c'est mon expérience - d'autres doivent y ajouter ce qu'ils veulent.