Ils ont expulsé la liberté

Don Antonio Ucciardo (invité récurrent de ces pages, bien sûr à son insu) cite CS Lewis, et Charles Péguy. Juste pour s'arrêter, et réfléchir un peu (19/1/2013)

Photo ci-contre: CS Lewis (1898-1963)

     

Ils ont expulsé la liberté.
http://www.daportasantanna.it/2013/01/hanno-sfrattato-la-liberta/
16/1/2013
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Ce n'est pas une bonne nouvelle, mais il semble que personne ne s'en alarme. Celui qui élève la voix, on le fait taire, avec une immédiateté qui devient violence dans le contenu et la manière.

Récemment, j'ai repris la correspondance entre CS Lewis et Saint Giovanni Calabria. Dans une lettre datée du 17 Mars 1953, l'écrivain anglican observe:

«Les choses que l'on dit à propos de la condition actuelle des hommes sont vraies: et même, la situation est encore pire que ce que vous dites. En fait, non seulement ils négligent la loi du Christ, mais aussi la loi de la nature, connue par les païens. De nos jours, en effet, ils n'ont pas honte de l'adultère, de la trahison, du parjure, du vol et d'autres péchés que, je ne dis pas les maîtres chrétiens, mais les païens et les barbares, condamnaient. Ils se trompent, ceux qui disent: "Le monde redevient païen". Plût au Ciel qu'il le redevienne! En réalité, nous tombons dans un état bien pire. L'homme post-chrétien n'est en rien semblable à l'homme pré-chrétien. Les deux sont aussi éloignés l'un de l'autre qu'une veuve l'est d'une vierge, il n'y a rien de commun entre eux, sauf l'absence de l'époux: mais il y a une grande différence entre l'absence de l'époux futur celui de l'époux perdu».

On ne peut pas dire que Lewis ait tort. Sauf que durant ces décennies, la distance entre les deux types d'homme a été exacerbée, avec le dépassement progressif de la condition post-chrétienne.

Il n'est pas bien beau, le veuvage de notre culture. La première semaine de l'année est un concentré très intéressant de la façon dont on se console du deuil. Les horoscopes se sont prononcés pour tous et sur tout, y compris dans les magazines qui se distinguent par leur profession de foi laïque. Alors qu'en France, on discute de la possibilité pour deux personnes du même sexe de pouvoir recourir à l'insémination artificielle, deux de nos compatriotes sont rentrés des États-Unis avec un bébé qui aura un parent 1 et un parent 2. Alors qu'en Syrie les balles pleuvent sur les enfants, dans une autre partie du monde, on lance un cri d'alarme pour les éléphants (ndt: je suppose qu'il s'agit de la dernière sortie de Brigitte Bardot). Alors qu'au Nigeria, les chrétiens sont devenus de la chair à canon, chez nous, d'autres chrétiens lancent des pétitions pour promouvoir la reconnaissance des droits civils (pour les couples gays). Pendant que nous discutons impôts et propriétés, ceux qui les habitent, ces propriétés, ne savent pas comment s'en sortir. Sans parler de la violence quotidienne, de l'oppression, des conflits et des griefs. Et des jugements qui contribuent à créer l'assourdissement des consciences, l'accoutumance des volontés, l'asservissement des libertés de l'individu à cette liberté que certains pensent devoir enfin offrir à l'humanité.

Parce que l'enjeu est la liberté. La mienne et la vôtre. La liberté de dire non. La liberté de se libérer de la mentalité dominante. La liberté d'être encore libre pour quelque chose. La liberté de pouvoir tendre vers, dix, cent choses qui rendent la vie digne d'être vécue, et qui savent rendre l'objectif le plus banal et le moins spectaculaire grand comme un but longuement convoité.
Ils ne nous ont même pas laissé la liberté d'être des catholiques qui se reconnaissent dans la foi de l'Église et l'obéissance au Pape. Il y en a que le catholicisme dérange, c'est un fait. Il faut en passer par là. Vous êtes libre de lire et de propager les pensées laïcistes qui sont revêtues d'une patine conciliante d'évangile, mais vous n'êtes pas libre d'adhérer à la foi de l'Eglise, qui est, juste pour être clair, la foi dans laquelle Pierre confirme.
La Révolution française a été plus clémente: elle coupait les têtes au nom de la liberté. Mais au moins, il y en avait qui avaient utilisé leur tête. Aujourd'hui, on préfére faire en sorte qu'il n'y ait pas de têtes à couper. Mieux vaut prévenir que guérir, dit-on. Et ainsi, nous sommes emmenés vers une guillotine que nous ne voyons pas, empilés sur les charrettes modernes des médias, de la politique, du renouveau, de l'élan, de l'avenir. Aggiornamento, comme nous disons nous autres catholiques. Progrès, comme le nomment d'autres. Droits civils, crient-ils d'un côté. Futur, lui fait écho l'autre.
Et personne ne réalise être l'invité à un enterrement. Ou, pour être plus gai, à un mariage où le marié ne viendra jamais.
Cependant, ils ont oublié une chose. Que nous pouvons être libres à l'intérieur, même quand l'on est enfermé dans la prison du conformisme.
Notre liberté s'appelle espérance. C'est elle qui rendra belle notre foi, qui l'illuminera de la présence de l'époux. Parce que l'époux viendra, et il viendra quand on l'attendra le moins.

Ce n'est pas un hasard si un penseur aussi subtil que Charles Péguy (ici) a pu faire dire à Dieu que l'espérance est la foi qu'il aime le plus (1):

Quelle ne faut-il pas que soit ma grâce et la force de ma grâce pour que cette petite espérance, vacillante au souffle du péché, tremblante à tous les vents, anxieuse au moindre souffle,
soit aussi invariable, se tienne aussi fidèle, aussi droite, aussi pure ; et invincible, et immortelle, et impossible à éteindre ; que cette petite flamme du sanctuaire.
Qui brûle éternellement dans la lampe fidèle.
Une flamme tremblotante a traversé l’épaisseur des mondes.
Une flamme vacillante a traversé l’épaisseur des temps.
Une flamme anxieuse a traversé l’épaisseur des nuits.
Depuis cette première fois que ma grâce a coulé pour la création du monde.
Depuis toujours que ma grâce coule pour la conservation du monde.
Depuis cette fois que le sang de mon fils a coulé pour le salut du monde.

Ils ont expulsé la liberté. Il n'ont pas étouffé, toutefois, l'espoir d'être libre, parce qu'ils ne peuvent étouffer la grâce. Et par la grâce, encore une fois, l'avenir jaillira, plus fécond. Il sera peut-être moins civil, mais il sera sans aucun doute chargé d'éternité.

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(1) Source.

L’espérance
La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance.
La foi, ça ne m’étonne pas, ça n’est pas étonnant.
J’éclate tellement dans ma création.
Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne.
Ça c’est étonnant, que ces pauvres enfants voient comment tout ça se passe
et qu’ils croient que demain ça ira mieux, qu’ils voient comment ça se passe
aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin.
Ça c’est étonnant et c’est bien la plus grande merveille de notre grâce.
Et j’en suis étonné moi-même.
Il faut, en effet, que ma grâce soit d’une force incroyable, et qu’elle coule d’une source et comme un fleuve inépuisable.
La petite espérance s’avance entre ses deux grandes sœurs, et on ne prend seulement pas garde à elle. Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le chemin raboteux du salut, sur la route interminable, sur la route entre ses deux sœurs, la petite espérance s’avance.
C’est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car la foi ne voit que ce qui est,
Et elle, elle voit ce qui sera.

La charité n’aime que ce qui est,
Et elle, elle voit ce qui sera.
La foi voit ce qui est dans le temps et l’éternité.
L’espérance voit ce qui sera dans le temps et l’éternité.
Pour ainsi dire dans le futur de l’éternité même.