Le syndrome du Baron Corvo

Le blogueur espagnol Juan Manuel de Prada a écrit un réjouissant et féroce billet sur les faiseurs d'opinion éloignés de l'Eglise qui s'acharnent à dresser le portrait du futur Pape (13/3/2013).

Image ci-contre: Frederick Rolfe, alias le baron Corvo (1860-1913)

     

L’écrivain et journaliste Juan Manuel de Prada (articles sur ce site: http://tinyurl.com/cdm9qqr ), nous parle de l' attente du nouveau Pape dans son pays mais le portrait qu’il dresse est sans aucun doute applicable ailleurs…
Article sur l’édition cordouane du journal ABC (plutôt conservateur si ce terme en matière journalistique a encore un sens): http://www.abc.es

(Carlota, 13 mars)

     

Le syndrome du Baron Corvo
Juan Manuel de Prada
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William Frederick Rolfe (1860-1913), plus connu par les amoureux de la littérature comme le Baron Corvo, fut un écrivain anglais princier et versatile, donquichottesque et truand, qui eut beaucoup de hauts et de bas dans sa vie. Bien qu’élevé dans une famille anglicane, le Baron Corvo se convertit alors qu’il était très jeune au catholicisme et il entra dans un séminaire. Son goût pour les éphèbes et son tempérament peu équilibré finiront, cependant, par empêcher qu’il soit ordonné prêtre, et toute sa vie, qui fut plutôt courte et irriguée de misères et scandales, il la passa à ruminer sa rancœur. Pour régler ses comptes avec les hiérarchies ecclésiastiques qui l’avaient condamné à l’ostracisme, et pour soulager sa bile, le Baron Corvo écrivit en 1904 un roman, authentique exercice de thérapie psychiatrique, concentré de superbe et de sarcasmes, intitulé «Hadrien VII » (1), dans lequel il s’imaginait intronisé comme Pape. Le roman, admirable du point de vue littéraire, est aussi une lecture très recommandable en ces jours, car il inclut quelques chapitres réjouissants sur le déroulement du conclave qui se terminait par l’élection du protagoniste, avant de se centrer sur la papauté de cet imaginaire Hadrien VII, dans lequel la prose du Baron Corvo, superbement doué pour l’invective, charge contre toute bestiole vivante. Est devenu anthologique, par exemple, son jugement du socialisme, qui « n’est pas le cri de la pauvreté opprimée mais une somme d’injures et de grognements de la médiocrité pleine d’envie et de mécontentement, soucieuses de feindre des apparences empruntées mais non propres, et de s’immerger dans un luxe que l’on n’a pas gagné avec son effort personnel ».

En ces jours de Sede Vacante, nombreux sont les exercices de théologie-fiction que nous lisons et écoutons ici et là. Dans presque tous, nous découvrons une disposition que nous pourrions dénommer « syndrome du Baron Corvo », un fond pathologique qui vient à confirmer cette réflexion ironique de Foxá (2) : « Les Espagnols sont condamnés à aller toujours derrière les curés, soit avec le cierge, soit avec le garrot ».

Bien que Foxá ait peut-être fait un peu court, ce qui arrive plutôt aux Espagnols, c’est que dans le fond de leurs entrailles, ils auraient désiré être curés, comme c’est arrivé au Baron Corvo, et, une fois déterminés à être curés (il ne faut pas se contenter de n’importe quoi !) ils fantasment sur la possibilité d’arriver jusqu’à la papauté. Il en résulte, en vérité, qu’il est attendrissant et digne d’une étude psychiatrique d’écouter et de lire des « faiseurs d’opinion », vivant éloignés de l’Église, imposer leur compétence es-qualités, en faisant la promotion de candidats à la papauté, en énumérant les qualités qui doivent accompagner le nouveau Souverain Pontife, en arbitrant des méthodes pour combattre les maux qui, selon leur délirant et bilieux jugement, affligent aujourd’hui l’Église. À première vue, une attitude aussi rocambolesque pourrait se confondre avec la présentation même des connaissances du faiseur d’opinion, mais je suis sûr qu'aucun de ces faiseurs d’opinion, qui pontifient si résolument sur le futur Pape, ne le ferait, si on le lui demandait, sur le futur Dalai Lama ou le futur Iman de la Mecque. Il y a chez eux, dans la passion discuteuse avec laquelle ils réclament des réformes ou exècrent de présumés vices de l’Église, une ferveur avec un fond de traumatisme que nous ne rencontrons même pas parmi les fans du Barcelone (ndt: le club de foot catalan), quand ils se mettent à spéculer sur le futur du Real Madrid.

Dans cette renversante exhibition du « syndrome du Baron Corvo », on découvre que l’Espagne est un pays inconsidérément et violemment clérical. D’un cléricalisme, certainement, un peu extravagant, dans lequel personne ne se contente d’être curé de campagne et tout quidam aspire à la tiare papale. Un cléricalisme ou chacun serait pape chez lui, rendant fou l’Esprit saint (3).

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Notes de traduction
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(1) Hadrian the seventh (1904) . A aussi été adapté en pièce de théâtre en France, dans les années 1970

(2) Agustín de Foxá Torroba (né en 1906), aristocrate et diplomate espagnol sous la Seconde République où il faillit être fusillé en 1936 du fait de sa particule (muté à Bucarest, il ralliera le parti national), puis sous le régime franquiste. Également poète, romancier et journaliste (il sera notamment avec Malaparte en 1942, sur le front de Stalingrad), il fut élu membre de l’Académie Royale Espagnole en 1959, l’année de sa mort. Sa fibre politique le portait vers l’idéal de José Antonio Primo de Rivera avec qui il avait une origine commune.
Le garrot, c'est-à-dire l’échafaud en référence au monde d’exécution en Espagne.

(3) L’homme qui fut « catholique » dans cette Europe, se retrouve à la dérive, se cherche un succédané de religion, en critiquant le Christ ? C’est Pape Freud qui disait que pour grandir il fallait tuer le père. Une fois de plus, il s’est trompé !