L'Eglise (du Pape) des pauvres

Réflexion du blogueur espagnol Juan Manuel de Prada. Traduction de Carlota (21/3/2013

Ci-contre: Couverture de La Vie du 21 mars.

Du même auteur :
¤ Le syndrome du Baron Corvo
¤ Recevons François

Et aussi, sur un thème voisin, une partie de l'interviewe de Messori: François est en ligne avec Benoît
Sans oublier, une fois de plus (!!): Les paupéristes et il poverello.

L’écrivain et journaliste Juan Manuel de Prada revient d’une manière très judicieuse sur l’église-pauvre-du-pape-des-pauvres, dans un article d’opinion paru dans le journal ABC – édition de Cordoue- Espagne
Original ici www.abc.es/cordoba/20130318/sevp-iglesia-pobres-20130318.html
(Carlota, 20/3/2013)

     

L’église des pauvres
---

«Comme j’aimerais une Église pauvre et pour les pauvres! » a avoué le Pape François.
Le desideratum papal nous invite à réfléchir sur l’utilisation de la doctrine sociale de l’Église, un corpus d’enseignements qui a l’habitude d’être considéré sous bénéfice d’inventaire, même pour les catholiques eux-mêmes.
Pour justifier cette omission, on a l’habitude d’alléguer que la doctrine sociale de l’Église ne propose pas de solutions « techniques » pour combattre l’injustice sociale, excuse par laquelle, en réalité, on prétend nier sa compétence à définir les principes sur lesquels asseoir un ordre politique, social et économique juste.
La mission de l’Église, bien entendu, est le salut des âmes, mais le salut des âmes exige que les hommes vivent chrétiennement, ce qui devient de plus en plus difficile quand les institutions politiques et les structures économiques ne sont pas dirigées dans le sens d’une finalité de justice sociale.
Si nous repassons sur les deux derniers siècles de l’histoire nous découvrirons que lorsque l’Église a été le plus proche des pauvres c’était sous le mandat des papes que notre époque juge « réactionnaires ». En effet c’était du temps de Saint Pie X, Léon XIII ou Pie XI, que, du sein de l’Église a été faite la promotion d’initiatives sociales les plus efficaces, que le service des pauvres a été le plus fécond et a rayonné : fondation de congrégations religieuses dédiées à l’aide, formation et attention spirituelle des classes populaires, création des associations ouvrières, monts de piété et un long chapelet d’institutions qui combattaient avec courage les fondements et la praxis d’un ordre social injuste. Et les Papes qui donnèrent l’impulsion à de telles initiatives ont été des champions de l’orthodoxie, attentifs toujours au salut des âmes.
C’est précisément quand cette mission primordiale s’estompe que l’Église court le risque de se dénaturaliser, en se transformant en une « ONG pietosa ».
Après la Seconde Guerre Mondiale, la doctrine sociale de l’Église n’a fait que se décomposer. L’expansion du communisme d’une part, et la consolidation, sous le déguisement démocratique, de « l’impérialisme international de l’argent », d’autre part, ont condamné la mission de l’Église à l’ostracisme : dans l’espace communiste, l’Église a survécu dans la clandestinité, au milieu même des persécutions des martyrs ; dans l’espace capitaliste, on lui a permis de vivre dans la légalité, convenablement castrée et progressivement insignifiante, à condition de ne pas dénoncer prophétiquement un ordre inique (ce qui est parfois pire que le martyre par le sang).
Ainsi, ont surgi, inévitablement, des initiatives comme ce que l’on appelle la « théologie de la libération », nées d’une impulsion noble de rébellion contre l’injustice sociale mais blessées dans leur nature, qui ont tenté de rapprocher l’Église des pauvres… tandis que les pauvres s’en allaient vers les sectes évangéliques, où on continuait à leur parlait du salut de leur âme.

Le desideratum papal sera inévitablement interprété d’une façon triviale.
On dira que si l’Église désire être « pauvre et pour les pauvres » elle devra commencer par se défaire de ses trésors artistiques pour les donner aux pauvres, ce qui est exactement la même chose que réclame Judas dans le passage de l’Évangile sur l’onction de Béthanie (ndt Jean 12 :1 et suivant. Une femme pieuse oint les pieds de Jésus d’un très cher parfum ; Judas reproche à la femme de ne pas l’avoir vendu le pot pour donner l’argent aux pauvres. Jésus dit à la femme qu’elle a bien fait de le garder pour sa sépulture - http://saintebible.com/john/12 ).
Au nom des pauvres, l’Église a été souvent dépouillée (l’histoire espagnole avec les mises en vente et les saisies de biens de l’Église, en est un exemple manifeste) par ceux mêmes qui, spéculant sur ces dépouilles, voulaient désactiver les initiatives sociales catholiques.
Une authentique « Église pauvre et pour les pauvres » c’est une autre chose bien différente, ces papes si « réactionnaires » qui inspirèrent la doctrine sociale de l’Église le savaient parfaitement.

Notes de traduction
------
a) L’attrait des sectes, beaucoup d’origine nord-américaine, était aussi liée d’une manière subliminal à l’idée d’une possibilité de réussite matérielle et terrestre. J’ai vu lié à leur activité des cours d’anglais gratuit (donc espoir d’une possibilité d’émigration…pour celui qui apprenait l’anglais, même si c’était aussi pour lire la « vraie » Bible, pas celle catholique, ni chéguévariste !).
b) les institutions catholiques « convenablement castrées… » - Le mot espagnol employé dans le texte correspond au diminutif de l’adjectif qui vient du verbe « castrer ». Même si le terme est fort, je pense aux écoles catholiques françaises sous contrat qui ont du accepter un pourcentage de professeurs de l’État et le programme de l’État, avec les conséquences que l’on sait. Qui paie, passe la commande ! Nonobstant, évidemment, les qualités personnelles de chacun. On vous permet d’exister mais à nos conditions…
c) Pour ce qui est de dépouiller l’Église, la France, a, là aussi, bien donné le [mauvais] exemple. Et l’on peut comparer la pauvreté (y compris au niveau soin, scolarité, etc.) dans laquelle s’est trouvé le petit peuple français dans les années dans la dernière décennie du XVIIIème siècle par rapport à la décennie précédente y compris dans les coins reculés où même le minimum d’alphabétisation ne pouvait plus être donné par les curés de campagne autour d’une table à la cure. Et ne parlons pas des hôpitaux, des hospices, des abbayes et des biens divers dont la prospérité avait d’énormes avantages pour les pauvres. Les acheteurs de biens nationaux et profiteurs de « guerre » civile, se sont révélés bien plus mauvais maîtres que les ecclésiastiques et moines….
Lorsque l’on visite, par exemple, le musée de la ville de Versailles, il est très intéressant de se pencher sur la situation de son hôpital dans les mois et les années suivant le 4 août et l’abolition des privilèges…
d) Dans les papes « réactionnaire » l’on peut ajouter aussi Benoît XVI et ses interventions !