Liturgie et crise de l'Eglise

Les deux sont étroitement liées, disait le cardinal Ratzinger. Et le Pape Benoît a tenté de corriger les erreurs tout au long de son pontificat. (18/3/2013)

Dans son éditorial d'aujourd'hui, sur Présent, Jeanne Smits (qui a accueilli le nouveau Pape avec beaucoup de chaleur) titre sur "Les paradoxes de François"
Et de poursuivre:

Le monde entier a les yeux rivés sur Rome, ces jours-ci, et encore davantage le monde des catholiques attachés, par « sensibilité » certes mais surtout par souci de vérité et d’honneur rendu à Dieu, à la forme traditionnelle du rite romain. Le pape François ne leur – ne nous ! – a pas apporté beaucoup de consolation sur ce plan. Et c’est plutôt l’inquiétude qui domine, voire un abattement profond, à voir ses célébrations d’apparence désinvolte, sa mitre piteuse, ses chasubles en polyester que ne renierait pas un curé de paroisse « pro-pro », ses allures de « simple prêtre » alliées à un ars celebrandi qui, visuellement, réduit le sacré à la portion congrue.
Il veut une « Eglise pauvre pour les pauvres » ! Mais cette pauvreté qu’il invoquait devant plusieurs milliers de journalistes n’est que misérabilisme et pire, spoliation des pauvres lorsqu’elle les prive de la nécessaire beauté. Notre correspondant à Rome, présent à la rencontre du pape François avec la presse samedi, nous raconte qu’entendant cette phrase, la salle Paul VI a pris des allures de meeting de Front de Gauche. Un engouement médiatique qui « frise l’hystérie », nous dit-il.

C’est donc le « pape des pauvres » que les médias mettent en avant, oubliant de souligner l’appel du Saint-Père aux journalistes à prêter une « attention particulière au Vrai, au Bon, au Beau ».
...
C’est tout le paradoxe de ce pape qui rejette les marques humaines de la grandeur de sa fonction – importantes, pourtant, et pleines de sens profondément symbolique – mais qui exhorte les chrétiens à n’oublier ni de louer Dieu, ni surtout de l’adorer. ... (1)

Les inquiètudes sont-elles justifiées??
Certains, pratiquant la méthode Coué, nous disent: pas de panique! Et d'ailleurs, qu'importe si le nouveau pape célèbre la messe en chasuble de polyester, plutôt que de soie, en brodequins noirs plutôt qu'en mocassins rouges. Ce sont vraiment des broutilles ridicules! Le Père Scalese nous explique d'ailleurs que «les jésuites ne sont pas de grands liturgistes, non par parti-pris, mais par formation, je dirais par constitution.... Les jésuites sont beaucoup plus attentifs à la spiritualité qu'à la liturgie». (cf. "Viva il Papa")

Certes!
Sauf qu'aujourd'hui, Papa Francesco reste sans doute toujours jésuite... mais il est aussi devenu le Pape de l'Eglise Universelle, ce qui est une toute autre dimension.

Voici un article trouvé aujourd'hui sur le site de Raffaella, qui nous rappelle que, pour Benoît XVI, la crise de l'Eglise et la liturgie sont étroitement liées. Espérons que lors de la rencontre entre les "deux papes" prévue le 23 mars prochain, celui en exercice saura profiter sur ce plan des conseils éclairés de son grand prédécesseur.

     

Liturgie et crise de l'Eglise
Lorenzo Bertocchi

En ces jours de grande importance pour la vie de l'Église, au moment où est élu un nouveau pape, il peut être utile de rappeler quelque chose de ces huit dernières années vécues avec Benoît XVI. Ceci parce que - c'est Benoît XVI lui-même qui nous l'a enseigné - le renouveau, la réforme doit se faire dans la continuité, et donc, pour éviter que le grand tapage médiatique nous le fasse oublier - il convient de réfléchir sur certains passages du magistère abondant du prédécesseur du pape François.
Certainement, l'un des enseignements les plus importants de Benoît XVI porte sur la nécessité d'un plus grand sens du sacré, développé à travers une forte conscience liturgique. Cet enseignement remonte à l'époque où le Cardinal Ratzinger, dans son livre «Ma vie», a écrit ces mots très graves et très importants: «Pour la vie de l'Eglise, un renouvellement de la conscience liturgique est d'une urgence dramatique. Je suis convaincu que la crise ecclésiale dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui dépend en grande partie de l'effondrement de la liturgie».

A partir de cette forte considération, nous avons vu croître ces dernières années une certaine attention à la liturgie, qui, sans recourir à la «messe de saint Pie V», a sans aucun doute interessé de nombreux prêtres et fidèles dans leur pratique de la foi. Je pense pouvoir dire qu'un objectif a été atteint: les abus liturgiques sont intolérables, non pas tant, et seulement, pour des raisons esthétiques, ou de préférence d'initiés, mais plutôt parce que le culte public que nous devons à Dieu, et la forme correcte avec laquelle nous rendons ce culte, sont un fait important pour la vie de l'homme.

Dans son livre «L'Esprit de la liturgie» (http://www.librairiecatholique.com), le cardinal Ratizinger écrivait avec des mots sans ambiguïté, que «le droit et la morale ne vont pas ensemble s'ils ne sont pas ancrés dans le centre litugique et n'en tirent pas leur inspiration». Ce n'est que si la relation avec Dieu est juste tous les autres rapports de l'homme peuvent fonctionner »: la juste modalité du culte est constitutive de la juste existence humaine dans le monde». En d'autres termes, nous devons dire que la réforme morale de l'Église passe à travers les droits reconnus à Dieu, c'est-à-dire la forme correcte du culte qui lui est dû.

La liturgie - la façon juste d'adorer Dieu - ajoutait Ratzinger «implique une certaine forme d'institution», la liturgie «ne peut pas tirer ses origines dans notre imagination, notre créativité, sinon, elle resterait un cri dans le noir ou une simple auto-confirmation». Il a également rappelé le danger des liturgies où tout «est apparemment dans l'ordre et sans doute le rituel se déroule selon les prescriptions», mais où il ya eu un «abaissement de Dieu à nos dimensions», en venant à utiliser Dieu selon notre propre besoin et ainsi « nous placer au-dessus de lui».

D'où la dénonciation de cultes non inspirés, indigents, avec des danses et des chants hors de propos, carnaval de toutes sortes, sans ce sens du sacré qui est essentiel pour le juste culte rendu à Dieu

Pour cette raison, le Saint-Père Benoît XVI a introduit dans sa pratique liturgique quelques aménagements importants pour éduquer au sens réeldu sacré: le retour du crucifix et des sept bougies sur l'autel, l'orientation dans ses célébrations vers le Crucifix, la réutilisation d'antiques parements liturgiques romains, l'abandon presque total des danses et des activités non-liturgiques dans les célébrations, l'usage plus fréquent et plus intense du latin et du chant grégorien, et, quelque chose de très significatif, recevoir la Sainte Communion sur la langue et à genoux.

Si l'analyse faite par le Cardinal Ratzinger reste vraie - «Je suis convaincu que la crise ecclésiale dépend largement de la désintégration de la liturgie» - il est à espérer que Papa Francesco saura puiser à pleines mains dans l'enseignement de Benoît XVI, mettant ainsi en œuvre la réforme dans la continuité souvent souhaitée par son prédécesseur. Ceci, comme nous l'avons vu, vaut également pour la réforme morale de l'Église que tout le monde attend et qui autrement risque de rester un simple moralisme.

© Copyright La Voce di Romagna, 16 Mars 2013, pour la version en italien. ma traduction.

Note

(1) A l'Angelus d'hier, rappelle Jeanne Smits, François a cité le cardinal Kasper...

Une amie me fait observer:

... W. Kasper, un cardinal qui n'a cessé de dénigrer Benoît XVI et que ce dernier, dans sa grande bonté et son respect des opinions divergentes, a gardé jusqu'à ses 75 ans! Comme si on ne pouvait pas trouver dans les écrits et les déclarations de Jean-Paul II et de Benoît XVI des quantités de commentaires sur la miséricorde! Citer un des deux Papes aurait été une manière élégante de montrer la continuité entre les pontificats.

Dans une interviewe accordée à Paolo Rodari juste avant le conclave (Kasper versus Ratzinger (suite) ), Kasper se permettait de donner ses derniers conseils à Benoît. A la question "Que direz-vous à Benoît XVI quand vous le rencontrerez, il répondait

«Beaucoup de choses. La première est une recommandation. Je lui suggèrerai de ne se laisser utiliser par personne. C'est un trop gros risque que le gouvernement de l'Eglise subisse son influence. Cela ne doit pas être. Il a fait un choix clair, ce qui suppose de se mettre en retrait. Il devra, par conséquent, être discret. Éviter d'entrer dans les questions relatives à la gouvernance des politiques de l'Église, dans les politiques ecclésiales»