Messori: pensées autour de la démission

Premier article d'une série de sept, écrits pour Il Corriere sella Sera (17/2/2013)

>>> Image ci-dessous: neige sur le Lac de Garde (ici)

Dans Il Corriere delle Sera, Vittorio Messori s'exprime longuement, sur sept pages, et nous fait partager les réflexions que lui inspire le départ de Benoît.
Voici la première page.
Il était "en retraite" sur les bords du Lac de Garde - sous la neige.
Il n'arrivait pas à y croire, il avait d'ailleurs écrit à ce sujet en mai dernier: Le Pape ne démissionnera pas (cf. benoit-et-moi.fr/2012(II))

Passé l'instant d'incrédulité, dans lequel beaucoup se reconnaîtront, il étudie la fascination que l'Eglise continue à exercer (qu'elle se traduise en amour ou en haine) sur le monde profane.
L'agacement que nous autres catholiques éprouvons à voir notre foi tournée en dérision dans les medias, est en fait une face d'une médaille...
Ma première réaction, à moi aussi, avait été la stupéfaction en constatant qu'une station de radio aussi "orientée" (c'est peu de dire) qu'Europe 1 avait transféré, mardi dernier, son entière rédacction à Rome pour commenter sur place le "renoncement" du Pape. Sans parler des titres des quotidiens, jusqu'à Libé, deux jours de suite en pleine page! Indépendamment des insanités qui ont été dites et écrites, quel meilleur témoignage d'une fascination, qui fait partie du Mystère de l'Eglise. S'attarderait-on autant sur un cadavre?

D'autres pages suivront (peut-être).
Texte original: http://www.corriere.it

     

Hypothèses sur le Pape (1). Et sur l'Église qui viendra
Vittorio Messori
------------------
On dit que ce n'est pas en Sicile, mais à Torbole sur le Lac de Garde, que jaillirent de l'âme de Goethe les lignes célèbres: «Connais-tu le pays où les citronniers fleurissent (...) où une douce brise souffle depuis le ciel lumineux ? ».
Dans la matinée du lundi 11 Février, je pensais, un peu ironique, à Goethe - et à quelques talibans du réchauffement climatique - regardant par la fenêtre de mon bureau, dans la millénaire abbaye bénédictine, la neige qui tombait sur les oliviers, les cyprès, les lauriers. Ce n'était pas - pour toute l'Eglise, et encore moins pour moi - un jour comme les autres: la liturgie célébrait la première apparition de la Vierge Immaculée à Lourdes, à une petite, misérable analphabètes, fille d'un meunier ruiné qui avait même connu la prison. Le Dieu de l'Evangile fréquente volontiers les pauvres, les ignorants, les méprisés. Je me réjouissais par avance d'une journée libre de tout engagement extérieur, je goûtais l'idée de la solitude, enveloppée par surcroît du silence du manteau neigeux déjà épais. Je comptais en effet continuer - comme par hasard - la rédaction d'un second livre sur Lourdes, après celui sur Bernadette publié il y a quelques mois. Quel jour plus propice que le 11 Février?

Tout à coup, voici le téléphone mobile, le seul lien avec le monde que j'avais admis dans l'abbaye. C'était ma femme, stupéfaite: «Sur l'écran du téléviseur, il y a une inscription, le Pape a annoncé sa démission».
Je l'avoue: au début, j'ai pensé à la blague de hackers ayant piraté les ondes. Je n'étais pas le seul à douter: à cet instant, sur les cinq continents, 117 cardinaux, y compris les plus proches de Benoît XVI, étaient incrédules à l'idée de devoir bientôt participer à un conclave. Je raccrochai, cherchant à m'informer d'une éventuelle et peu probable confirmation. Mais je n'en eus pas besoin: le portable a commencé à sonner et ne s'est pas arrêté durant une paire de jours et de nuits, et quand (avec difficulté, la neige continuait de tomber) je suis arrivé à la maison, à la sonnerie du portable s'est ajoutée la sonnerie incessante de la ligne fixe et l'ordinateur a commencé à télécharger sans relâche des messages du monde entier, demandant des interviews, des discours, des articles du journaliste dont on connaissait depuis longtemps la proximité avec Joseph Ratzinger et la connaissances, solidaire, de sa pensée.

Pourquoi raconter cela? Pourquoi cette concession au témoignage personnel? Mais parce que je fus moi-même frappé par l'immédiat, bouleversant tsunami médiatique planétaire provoqué par quelques mots en latins lus par surprise, à voix basse, comme s'il s'agissait de routine, d'un vieillard, entouré par d'autres vieillards, dans une encore plus vieille et inaccessibles salle du Vatican. Un cyclone qui a atteint instantanément le monde entier, et moi aussi, isolé dans la neige, dans un coin perdu de province, bouleversant tout mon programme.
Cliquant dans la liste des «favoris» sur les site des plus grands journaux du monde, je constatai l'importance extraordinaire accordée au Pape démissionnant de sa charge, modulée dans chaque langue.

Et c'est dans ces cas comme cela que se manifeste un paradoxe singulier: à la diminution progressive, en cours depuis des décennies, du nombre de catholiques pratiquants (du moins en Occident) et de l'influence sociale, morale et politique de l'Église romaine, semble correspondre un intérêt accru pour elle, pour ses événements, pour son Pape. À égalité avec les médias internationaux, les nouveeaux "titres" nés sur le web ne renoncent pas à un «Vaticaniste» ou, du moins à quelque expert non pas tant dans le domaine religieux, que dans celui, plus précisément, catholique.
Auraient-ils eu le succès que l'on connaît, les petits romans de Dan Brown et de ses désormais innombrables imitateurs, s'ils n'avaient pour toile de fond l'Eglise, justement celle qui a son centre au Vatican? Une Église, en plus, non pas comme vestige archéologique, comme décor pittoresque, comme l'abbaye de Umberto Eco (ndt: le nom de la rose), mais bien vivante, présente, intrigante. Peut-être tricheuse, voire meurtrière, mais aussi pour cela dangereuse, car encore puissante. L'image, même souvent déformée, de la Catholica et Apostolica, fascine et inquiète l'imaginaire de l'humanité. Et son Chef vêtu de blanc est la seule autorité morale écouté partout et toujours: pour accepter ou refuser, pour aimer ou haïr.

* * *

(1) Allusion au titre du premier livre de Vittorio Messori: Ipotesi su Gesù
Traduit en français sous le titre "Hypothèses sur Jésus".