Vu de France (III)

Les articles de Présent sont à mettre à part dans un panorama morose (20/2/2013)


Cf.
http://www.present.fr/

Voir aussi:
¤ Vu de France (I)
¤ Vu de France (II)

Tout ici est beau et émouvant parce qu'écrit avec le coeur, et pas seulement pour faire du remplissage...
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Relisons le très bel article écrit sur le même journal par Olivier Figueras, le 19 avril 2005:

Une joie immense a déferlé sur la Place Saint-Pierre

Annuntio vobis gaudium magnum : habemus Papam.
La formule - solennelle, claque dans le ciel de Rome. Et c'est d'une voix forte que le protodiacre, le cardinal Medina, apprend, à la Ville et au monde, le nom de l'élu : le cardinal Joseph Ratzinger, « qui s'est lui-même donné le nom de Benoît XVI».
Une joie immense, indescriptible submerge la foule des fidèles sur la place Saint-Pierre, dans la via della Conciliazione, et loin, très loin, dans tout Rome, et, grâce aux prouesses techniques, jusqu'aux extrémités de la terre.
...

La suite ici: http://beatriceweb.eu/archives2005/19avril/...

     

JEANNE SMITS (13 janvier)

Benoît XVI : la gratitude et l’abandon
après la renonciation à sa charge
(13/2/2013)
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Benoît XVI s’en va. Il ne « démissionne » pas, il renonce à une charge qu’il ne se sent plus capable d’assumer pour le bien de cette Eglise dont il aura été le fidèle intendant pendant près de huit ans. Devenir pape, il ne l’avait pas désiré : ce fut, nous l’avions bien compris en ce beau jour du 19 avril 2005 où il nous fut donné comme pasteur, une crucifixion. Pour autant, on ne peut pas dire qu’il dépose sa croix. Ses brèves paroles, dites en latin – tout un symbole – évoquent discrètement les souffrances qui l’attendent. Benoît XVI regarde cette nouvelle croix qui se dessine déjà depuis quelques mois sur son visage plus fatigué, plus marqué que naguère, et y voit la manière d’accomplir sa nouvelle mission.

Dans l’humilité de la retraite. Dans la discrétion d’un couvent, à quelques pas seulement du palais où il aura régné.

Ne croyons pas qu’il s’agisse là d’une solution de facilité. La dimension humaine de l’œuvre de Benoît XVI est là, il la connaît, il verra ce qu’il en adviendra ; il aura, peut-être, le souci de la voir en partie détruite, ou au contraire, il verra le successeur vigoureux qu’il appelle de ses vœux achever mieux que lui ce qu’il laissera inachevé ; il sait qu’il assistera, apparemment impuissant, aux tribulations nées de ces « questions de grande importance pour la vie de la foi » qui agitent ce monde.

Impuissant ? Non. Il a pris sa décision en conscience. Sa décision était mûrement réfléchie : la possibilité s’en dessinait nettement depuis qu’il avait, le 28 avril 2009, déposé son pallium sur les restes d’un pape – le saint pape Célestin V lui aussi avait renoncé à sa charge. Benoît XVI qui redeviendra, simplement, cardinal, consacrera les années qui lui restent à la prière. L’intercession auprès de Celui qui est le véritable Chef de l’Eglise.

Il se trouve que Benoît XVI s’en était expliqué, samedi, en méditant quasiment sans notes la première lettre de saint Pierre avec les séminaristes de Rome. Le site benoit-et-moi propose la traduction intégrale de ses propos retranscrits, et qui sonnent comme un testament spirituel laissé à cette génération de jeunes prêtres si zélée, si soucieuse de suivre le Christ et de le communiquer aux hommes. Benoît XVI leur a montré comment Pierre s’efface devant le Christ tout en acceptant de mourir pour Lui ; comment il ne parle pas « comme un génie du XIXe siècle qui veut simplement exprimer des idées personnelles et originales que personne n’avaient dites avant, non (…), il parle dans la communion de l’Eglise ». Il inscrit tous ses actes dans la mission qui lui a été confiée. Tous.

Et d’expliquer que nous sommes héritiers non pour posséder la terre, mais pour « hériter du futur », ce futur qui est « vraiment à Dieu, c’est la grande certitude de notre vie, le grand et véritable optimisme que nous connaissons. L’Eglise est l’arbre de Dieu qui vit éternellement et porte en elle l’éternité et le véritable héritage de la vie éternelle ».

La renonciation de Benoît XVI peut apparaître comme un abandon. Et tous ceux qui ont expérimenté à travers lui la réalité de la paternité, la paternité spirituelle – et combien de convertis n’aura-t-il pas faits par son enseignement doux et ferme, sa sagesse des choses de Dieu et l’appel à la fécondité mutuelle de la raison et de la foi ? – vivent son annonce comme une perte. C’est un père qui s’en va. Mais l’abandon est ici d’une autre nature. C’est le Nunc dimittis de celui qui est arrivé en bout de course, qui veut arriver devant Dieu les mains vides ; le saint abandon de celui qui ne peut plus gouverner ce qui est devenu sous certains rapports ingouvernable, et qui remet humblement le bâton du commandement entre les mains de son maître. In manus tuas, Domine.

Parce que l’avenir est à Dieu.

En attendant, on peut se poser beaucoup de questions. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Et maintenant, quoi ?

Nul mieux que Benoît XVI ne sait, après tout, qu’un pontificat diminué, souffrant, presque silencieux, peut être grand et porteur de grâces : ce fut lui, le quasi-régent de Jean-Paul II. Il ne renie rien de tout cela, sans doute : pense-t-il ou sait-il qu’en l’état actuel, il n’y a personne qui puisse évidemment et sans être contesté assumer la tâche qu’il avait assumée auprès de son prédécesseur ?

On parle beaucoup des tâches que Benoît XVI laisse inachevées : mais dans l’état de l’Eglise, était-il possible qu’il en fût autrement ? Nous avons vu la fureur des loups qui l’assaillaient dans ses œuvres de restauration ; nous voyons les loups médiatiques ouvrir leurs journaux en rappelant le « scandale des prêtres pédophiles », nous les voyons annoncer un pape plus moderne, une Eglise plus en phase avec son temps, une tendance plus jeune à la fois du point de vue des exigences morales et de la (contre-)culture contemporaine.

Benoît XVI, devant les séminaristes de Rome, samedi, rappelait que, chrétiens, nous sommes « dispersés et étrangers », nous ne sommes pas de ce monde même si « nous sommes aussi des nations chrétiennes ».

Bien sûr, la brûlante question de la Fraternité Saint-Pie X n’a pas trouvé son règlement, et l’on sait que Benoît XVI y attache une attention particulière. Qu’en sera-t-il de son successeur ? Quel sera le devenir de ce motu proprio Summorum pontificum qui a redonné droit de cité à la liturgie traditionnelle dans l’Eglise, et qui la fait progresser lentement mais sûrement ?

Pourquoi le Saint-Père a-t-il choisi le consistoire pour la canonisation des martyrs d’Otrante, tués par les Turcs du sultan turc Mehmet II pour n’avoir pas renoncé à leur foi ? Ou bien Benoît XVI pensait-il à la Journée mondiale des malades que l’on fêtait sous le patronage de Notre-Dame de Lourdes ? Ou encore : espère-t-il, ne serait-ce qu’un peu, jouer un rôle discret pour promouvoir celui qu’il aimerait avoir pour successeur ?

Les vaticanistes cogitent mais la réponse n’est pas entre leurs mains.

Ce qu’il nous appartient aujourd’hui, c’est de dire notre gratitude. Notre immense merci à ce père, ce Saint-Père qui nous a beaucoup donné à l’heure où le « faux optimisme comme après le Concile », comme il l’a dit samedi, est clairement dénoncé. Nous le remercions de pouvoir dire, avec lui, « Non, tout ne va pas bien ». Nous le remercions pour ce qu’il a fait pour que les choses aillent mieux. Il a inlassablement voulu tout recentrer sur le Christ. Même par son renoncement.

Il nous faut maintenant prier pour son successeur.

     

La belle leçon d’humilité de Benoît XVI
Yves Brunaud, 13 janvier
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Au lendemain de la démission annoncée du Saint-Père, une nouvelle inédite depuis le XIIIe siècle et qui nous laissera bientôt orphelins d’un pape que nous aimions, il me semble bien inutile – ou pour le moins prématuré – de gloser sur les « papabile » possibles ou sur l’accomplissement des prophéties de saint Malachie évoquant le dernier pape de l’Histoire.

Tournons nous plutôt vers Notre Dame et saint Joseph, patron de l’Eglise universelle et patron de baptême de celui qui redeviendra bientôt Joseph Ratzinger. Et – comme nous sommes tous persuadés de l’efficacité de la prière – pourquoi ne pas inviter vos proches et votre entourage à commencer sans attendre une neuvaine à saint Joseph aux intentions du souverain pontife auquel nous devons tant.

Il nous faut tout d’abord remercier le Ciel et rendre grâce en cette année de la Foi pour tout ce que Benoît XVI aura fait « à temps et à contretemps » pour l’Eglise en près de huit ans de pontificat.

Il convient également d’interpréter ou plus exactement de remettre en perspective le sens de sa démission visiblement dictée par la sagesse de Dieu mais qui peut être incompréhensible ou déroutante pour certains. Avec la ferme intention de prier aussi pour notre mère la sainte Eglise catholique romaine et, bien entendu, le prochain successeur de Pierre qui sortira du conclave prévu à la mi-mars.

Si Jean-Paul II nous avait en effet donné un extraordinaire exemple d’humilité – source de tant de grâces et de conversions à travers le monde – en acceptant de souffrir et de décliner physiquement aux yeux de tous, Benoît XVI nous donne à sa manière un autre exemple de la même vertu d’humilité en renonçant à sa charge d’évêque de Rome.

Un geste inspiré peut-être par sainte Jeanne Jugan, qu’il canonisa en 2009 et fut en quelque sorte toute sa vie un « modèle d’humilité » puisqu’elle abandonna – par humilité – toutes ses charges et responsabilités au sein de la Congrégation des Petites Sœurs des Pauvres qu’elle avait fondée !

Par ce geste d’humilité qui se révèlera peut-être un jour prophétique, Benoît XVI pourrait bien provoquer sans le savoir l’extraordinaire choc salutaire de prières dont notre pauvre monde a certainement bien besoin à l’aube du XXIe siècle. Pour avoir vécu en Pologne même la longue agonie de Jean-Paul II en avril 2005, je peux témoigner aujourd’hui de l’extraordinaire élan de foi et de prières que suscita dans son pays natal – et certainement bien au-delà – son véritable chemin de croix terrestre. Pour celui que tous les Polonais avaient surnommé « Papa Wojtyla », des messes se succédaient en pleine nuit et parfois en plein air, les églises étant trop petites, à Varsovie comme à Cracovie.

C’est à un sursaut de foi, d’espérance et de charité comparable que nous appelle – avant que ses dernières forces ne l’abandonnent – Benoît XVI, qui aura choisi la fête de Notre-Dame de Lourdes pour faire cette annonce solennelle et nous léguer ainsi son testament spirituel que pourrait parfaitement résumer la petite phrase si forte du mercredi des Cendres : « Souviens toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. » Quelle belle leçon d’humilité !

     

REMI FONTAINE

Pasteur lumineux
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Quelle image gardera-t-on de Benoît XVI ? Comme pour les rois, on récapitule souvent un pontificat par un qualificatif. « Le pasteur angélique », pouvait ainsi titrer L’Aurore avec André Frossard à la mort de Pie XII, en écho à une vieille prophétie. « Le pape écartelé », résume Yves Chiron à propos de Paul VI. Pour Benoît XVI, en réponse à son geste de renonciation qu’évoque si bien Jacques Trémolet de Villers (en page 4), le cardinal Sodano (doyen) a trouvé sans doute le mot juste en parlant de « ces huit années d’un pontificat lumineux » : « Vos paroles étaient remplies de tout l’attachement que vous avez toujours porté à l’Eglise, à la sainte Eglise de Dieu que vous aimez tant. »

En dépit des « loups » ou de la « barque qui prend l’eau de toutes parts », le passage de Benoît XVI à la tête de l’Eglise aura été un chemin de lumière. Ses discours et ses homélies relevaient d’une pastorale de l’intelligence, faite avec douceur et humilité, au rythme certes des avis et coups de tempête de l’époque mais aussi des heures de la liturgie et des enseignements des Pères de l’Eglise. Cette pastorale venait admirablement compléter et éclairer celle de Jean-Paul II le grand qui touchait davantage le cœur. « On allait voir Jean-Paul II, on venait écouter Benoît XVI », a-t-on pu dire.

Profonde complémentarité et union en effet que ces deux pontificats, comme celles du cœur et de l’intelligence aiguisés par la foi chrétienne ! Car si le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, l’intelligence a aussi son cœur qu’une simple sensibilité comme une certaine raison positiviste, humaines trop humaines, ne connaissent plus : cela s’appelle la contemplation ! C’est le mot qu’on pourrait retenir après les synthèses d’une densité et d’une hauteur remarquables que le Pape a pu faire, du discours de Ratisbonne au collège des Bernardins et devant combien d’autres assemblées de religieux mais aussi d’intellectuels, d’artistes, comme de gens du peuple.

La propre devise épiscopale du Saint-Père, la formule johannique : « coopérateurs de la vérité », illustre « la totale consécration de cette intelligence, comme avait dit Mgr Rey, à Celui qui s’est présenté à nous comme la Vérité ». Cette « coopération », il l’offrait avec bienveillance à tous, fidèles et « infidèles », croyants et incroyants, à différents niveaux, afin d’ordonner et d’accorder le bien commun temporel au Bien commun surnaturel qui est le Dieu d’Amour. Fides et ratio : il proposait philosophiquement une certaine sainteté de la raison et théologiquement la raison d’une sainteté, les deux s’éclairant mutuellement.

Il appelait à fuir les idoles d’aujourd’hui : « L’argent, la soif de l’avoir, du pouvoir et même du savoir n’ont-ils pas détourné l’homme de sa fin véritable, de sa propre Vérité ? », demandait-il aux Invalides, lors de son passage en France. Or, insistait-il avec saint Paul : « Vous ne pouvez pas en même temps prendre part à la table du Seigneur et à celle des esprits mauvais. » Manière de rappeler qu’on ne peut faire entrer le christianisme authentique dans aucun Panthéon ancien ou moderne, y compris celui d’une laïcité dite positive qui serait idolâtrée de manière subliminale comme le spectre de la saine et légitime laïcité de l’Etat. « L’idole est un leurre, car elle détourne son serviteur de la réalité pour le cantonner dans le royaume des apparences », ajoutait-il incitant à rompre avec la dictature du relativisme, autre nom de la culture de mort produisant les mêmes structures de péché. La messe précisément nous invite à fuir les idoles en élevant la coupe du salut et en invoquant le nom du Seigneur : « Rien ne remplacera jamais une messe pour le Salut du monde. »

Aux jeunes, à qui Benoît XVI demandait de se poser la question de la vocation, c’est en France aussi qu’il a confié à leur cœur les trésors de l’Esprit-Saint et de la Croix, bien qu’il sache que « vénérer la Croix attire aussi parfois la raillerie ou la persécution ». Mais : « L’Eglise vous fait confiance ! », comme il l’a manifesté aux derniers JMJ. Aux évêques de France, dont il voulait affermir la foi, il a rappelé l’importance fondamentale du catéchisme, « affaire d’abord de contenu et non de méthode », insistant sur ce problème crucial des vocations, prônant « l’indispensable pacification des esprits » voulue par le motu proprio du 07-07-07 : « Nul n’est de trop dans l’Eglise. » Benoît XVI aura défendu la foi sans faillir, rappelant l’Europe à ses racines chrétiennes, soucieux du sort des chrétiens d’Orient, œuvrant à l’unité des catholiques et des chrétiens. « Parler du Christ, annoncer le Christ et si possible le montrer », annonçait-il dès le début de son pontificat. C’est à une sorte de maïeutique spirituelle qu’il se livrait comme serviteur des serviteurs, « simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur ». Et, au cœur d’une crise majeure de l’Eglise, cette humble mais ferme pastorale de l’intelligence, comme coopérateur de vérité et collaborateur de notre joie (2 Co 1, 24), commence doucement mais sûrement à porter des fruits visibles. Oui, pasteur lumineux.

     

JACQUES TREMOLET DE VILLERS (19 février)

Nouvelles de la France qui vient
Un acte souverainement libre

« Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus » (Jn 16, 16).
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Il y a chez notre Pape qui s’en va ce que je ne peux nommer autrement qu’un « certain charme ». Dans le sourire, dans l’œil qui pétille et sourit aussi, avant la bouche, dans le sourcil et le doigt qui se lèvent ensemble pour signifier le double plaisir de comprendre et de faire comprendre, dans la démarche, ailée, avant qu’elle devienne hésitante… d’où vient ce charme ? De l’intelligence ? Sûrement. Mais l’intelligence brille, illumine, parfois scintille jusqu’à l’éblouissement… elle ne charme pas. La bonté ? Sûrement, encore, mais la bonté alliée à l’intelligence – caritas in veritate, veritas in caritate – c’est tout ou presque tout… ce n’est pas encore le charme. Platon nous dit que seule la Beauté a su allier à la splendeur de la Vérité le charme le plus aimable. Mais qu’est-ce que la Beauté ? Avec tout le respect que l’on doit au « divin Platon », pour la question que pose le charme de Benoît XVI, sa formule reste abstraite.

Alors ? Un mot est venu sur toutes les lèvres, ou presque toutes : l’humilité – « car je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29), donc, avec ce qui accompagne l’humilité, la douceur.

Benoît XVI est un doux. Donc il est fort. Il est humble. Donc il est joyeux. Son intelligence brille sans éblouir. Du coup, il est libre.

Il a posé, le jour de la Fête de Notre-Dame de Lourdes, un incroyable acte de liberté. Au-dessus du Pape, il n’y a rien ni personne sur cette terre. Ou il y a Dieu, ou c’est le néant absolu. « Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude… » Pas d’autre référent, pas d’autre directeur spirituel, pas d’autre confesseur, pas d’autre conseil que « Dieu et ma conscience », « examinée à diverses reprises… » (rien d’un coup de tête, de cœur, de déprime). Cette liberté, surprenante d’audace, de nouveauté, d’inédit, d’inouï, de jamais vu, jamais lu, est, en même temps, tranquille et douce, pacifique et pacifiante. Elle nous donne cet instant, lui aussi unique, que l’histoire de l’Eglise ne connaissait pas encore et ne connaîtra peut-être pas une seconde fois, d’un pape qui s’en va, doucement, de son vivant.

Quand j’écris ces lignes, au mercredi des Cendres, il reste quinze jours. Quand elles paraîtront, il en restera huit, au moment où vous les lisez. Un demi-mois, une semaine du plus petit mois de l’année, au début de Carême, où le Pape, vivant en pleine possession de son intelligence et de sa volonté, libre de toute contrainte mais conscient de l’amoindrissement de sa vigueur, s’en va.

Il faudrait être poète pour saluer ce temps hors du temps où « le doux Christ de la terre » qui a renoncé à sa charge prend encore le temps de rester avec nous un peu de temps, et détermine ainsi lui-même le jour et l’heure – « 28 février 2013 à vingt heures, où le siège de Pierre sera vacant ».

« Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges des cieux… » (Mt 24, 34). L’humble et doux Benoît n’a pas fixé la date et l’heure que le Père est seul à connaître du jugement du monde, mais celle de cette vacance du siège pontifical qui jusqu’à lui se confondait avec l’heure de sa mort.

On n’en finit pas d’admirer la force de cette humble et douce liberté.

Sommes-nous libres ? dit le philosophe inquiet. Ne sommes-nous pas déterminés invinciblement par nos gènes, nos humeurs, nos angoisses ou nos passions, notre éducation, la terre où nous sommes nés, celle sur laquelle nous vivons et les mœurs des hommes qui nous entourent ? Où est l’acte libre ? dit André Gide qui ne le voit que dans le meurtre gratuit du « passager de train innocent et inconnu qu’il tue pour la seule raison qu’il a aucune raison de le tuer ».

Pour André Breton, être libre, c’est « descendre dans la rue avec un revolver et tirer sur n’importe qui… ».

Pour Hollande et sa clique, c’est changer, par une loi, la nature de l’homme et de la femme.

Mais Gide est conditionné par la pire contrainte qui soit, celle de l’absurde. Breton, lui, est esclave de sa fureur et Hollande de ses promesses électorales.

Benoît XVI est libre et la preuve concrète du caractère souverain de sa liberté est dans cette extraordinaire maîtrise de l’avenir.

« L’avenir, l’avenir est à moi !

« Non ! Sire, l’avenir n’est à personne !

« L’avenir est à Dieu ! »

Bien sûr le Seigneur peut abréger cette semaine car Benoît XVI n’a disposé que de sa charge et non de sa vie. Il n’a pas empiété sur la liberté supérieure du Maître du temps et de l’histoire, mais, avec sa permission, il a quand même, en conscience et devant lui, posé cet acte souverain.

Il faut souhaiter que les générations qui viennent méditent cet acte, et nourrissent leur mémoire de la leçon de ce témoignage. Par le plus grand renoncement à la plus haute charge qui soit, un homme a gagné la plus grande liberté qui puisse être donnée à l’homme, celle de fixer lui-même dans l’avenir le jour et l’heure de sa succession.

Je reviens au charme et aux poètes. Benoît dont les doigts, chaque jour, caressent les touches d’un piano, va-t-il goûter cette « musique à votre cœur calme où vous reposer » quand « tout à ses pieds las redeviendra de mousse » ? Ou va-t-il consacrer le temps qui lui reste – et dont Dieu seul est maître – à prier « Jésus régnant qui n’a ni fin ni cesse » ? L’un n’exclut pas l’autre.

Quand l’empereur de Rome mourait, il devenait dieu. Le pape, qui lui succède et a donné à Rome une magistrature d’une ampleur telle qu’aucun César n’a pu l’imaginer, pour mieux s’approcher de Dieu, se dépouille de lui-même et se fait petit enfant.

Benoît s’est effacé. Revient Joseph.

Nous l’imaginons, aux premières frondaisons du printemps romain, blotti dans son couvent, entre musique et oraison, la plume à la main pour achever de transcrire en mots une méditation, nous enseignant encore et priant l’Esprit-Saint de donner intelligence et vigueur à son successeur.

Les religieuses veillent sur lui avec cette délicatesse dont seul un cœur féminin peut être la source. Celui qui fut notre « doux Christ de la terre » abandonne le soin de son corps aux mains des saintes femmes avant de remettre son esprit dans les mains de son Dieu. Notre « Très Saint-Père » s’est fait humble grand-père. La douce paix du soir s’étend sur le Vatican, sur l’Eglise et sur le monde, ultime don, dernier cadeau à ses petits-enfants.