Vu de France (VII): Merci Benoît

C'est une lettre datée du 26 février, signée d'un journaliste que je ne connaissais pas, Bernard Rackam. Elle m'a été transmise par une lectrice. Et elle est magnifique!(8/3/2013)

Quelle différence avec la grossièreté des plumitifs de la presse "mainstream"!

Texte ici: http://www.tak.fr/merci-benoit/

     

Benoît XVI
Benoît, si je venais chez toi… mais je ne viendrai pas…
Benoît si je pouvais te dire… mais je ne dirai rien…
Benoît, je ne pourrais pas interrompre le cœur à cœur que tu auras avec Celui que tu as tant aimé.

A supposer que je vienne, qu’on me laisse entrer et qu’au dernier instant je ne renonce pas… à supposer que je ne trouve pas mes mots tant préparés soudain trop courts, trop inappropriés, trop gourds… à supposer que tu réussisses à me les faire écrire si ma gorge et ma langue bloquent, sèchent… voilà ce que j’essayerais de te dire, que tu auras deviné. Car, dans l’intimité où tu vivras alors avec l’Infini, il te sera facile de percevoir le minuscule.
Il est bien trop tôt pour savoir tout ce que tu auras apporté à ce monde : de la douceur à lui qui est dur comme une porte de prison, de l’amitié à lui qui est si seul, de l’espérance à lui qui se saoûle de mots, de vins et de came, de biens et de virtuel, de violence et de peur.
De ton doigt maigre et si blanc, tu n’as cessé de nous montrer le Ciel. Et nous sommes tant d’idiots à avoir regardé le doigt, commenté le doigt, son tremblé, sa courbure…
Tu as choisi de déposer ton fardeau, non qu’il ait été trop lourd, mais qui t’empêchait d’avancer au pas de l’Église et du monde. Toutes tes forces auraient été consumées à le porter, quand il en faut tellement pour précéder le troupeau !
Les sots et les fans, les adversaires et les indifférents n’y auront vu qu’audace et nouveauté. Tu te fiches de la nouveauté qui vieillit plus vite qu’une bulle. Et l’audace est ta compagne depuis que tu as choisi d’être prêtre. D’autres évêques, avant toi avaient renoncé, non pour vivre entre leurs livres le reste de leur âge, mais pour la passer, enfin ! au contact permanent avec Celui qui vous a appelés.
Heureux es-tu, Benoît, qui vas pouvoir vivre l’échange constant et bienheureux avec Celui qui propose les Béatitudes comme but, comme chemin, comme carte.

La charge que tu avais reçue, tu ne l’as pas cherchée, demandée, la fatigue qui est la tienne, non plus. Dès l’origine on t’a prêté des intentions, des collusions, des réticences, des goûts et des dégoûts. Et tu as laissé dire. Car le seul goût qui vaille est celui de l’intimité du Créateur.
Peut-être vas-tu enfin pouvoir prier sans cesse, comme un jeune époux voudrait être sans cesse aux côtés de sa bien-aimée, un mélomane sans cesse devant l’orchestre…

Avant que se ferment sur toi les portes de la thébaïde où tu as choisi de vivre ce temps merveilleux d’amour comblé, laisse-moi te dire merci.

Pour ce regard humble et aimant que tu as posé sur nous, moches et renégats, pleutres et bravaches, magnifiques et ridicules.

Pour l’opiniâtreté avec laquelle tu nous as montré le Christ, comme un père de famille montre à sa marmaille le but du voyage. Alors que tous te parlaient du véhicule, de ses points de rouille, de la vétusté de certaines pièces : l’Église.

Pour avoir tenté de recoudre la tunique du Christ, si déchirée en tant de pièces dont plusieurs ne veulent surtout pas pardonner, écouter, fonder leur vie sur ce qui rassemble au lieu de la claquemurer à cause de ce qui divise.

Ne lis pas ce qui s’écrit en ce moment, c’est du remplissage, des rodomontades de nécrologues pris de court, du rapetissage de ce qu’est l’Église. Les media n’ont jamais voulu comprendre qu’on ne juge pas des affaires de l’Église comme d’une multinationale, d’un club sportif, d’une association de collectionneurs d’images. Toi seul, ou presque, sais qu’elle est bien autre chose : un être aimé, jamais assez aimant.

Merci, Benoît, de nous avoir rappelé que tout pouvoir est de service et non de domination. Que toute charge ne se mérite que tant que l’on peut la tenir et avancer au rythme nécessaire. Tant de personnages se cramponnent à leurs colifichets et titres quand ils ne peuvent même plus les nommer, les compter.

Merci enfin, Benoît, usé mais radieux, délesté mais entièrement donné, âgé mais courant, amoureux, vers la constante compagnie de l’Être aimé, merci de ce que tu as écrit, que nous n’aurons jamais fini de ruminer, de relire et de mettre en pratique si nous en avons l’audace, la force.

Benoît, je ne viendrai pas, je ne t’enverrai pas cette lettre. Tu as fait tant de bien, qu’aucun gribouillis n’est digne d’en rendre compte. Seules les larmes seraient à la hauteur, de joie ou d’autre cause.

Je les retiens à peine, jusqu’à jeudi vingt heures, ensuite je ne réponds de rien.