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Chirurgie préventive

... et les graves questions de bioéthique qu'elle pose (17/5/2013)

     

L'information que l'actrice Angelina Jolie avait subi l'ablation des deux seins, par mesure préventive, a été largement médiatisée. Trop, pour que cela ne cache pas certaines intentions...
Il est dommage qu'en France le très grave problème soulevé ici ait été occulté par le "dérapage" de Christine Boutin (1) dénoncé par les sempiternelles élégances morales.
Car bien caché derrière le tintamarre médiatique, il y a une question grave qui touche à la bioéthique: c'est ce qu'explique cet article d'un scientifique, spécialiste en médecine interne, dans la Bussola.
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Il y aurait aussi beaucoup à dire sur l'exposition médiatique des stars, et le rôle de "moteurs" qu'elles assument, à leur insu ou non, dans la transformation de la société - voire de la civilisation. Nous en avions déjà parlé à propos des mères porteuses (cf. benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/le-terrible-business-des-meres-porteuses-2)

     

Affaire Jolie: nombreuses variables, peu de certitudes
Article ici: http://www.lanuovabq.it/it/articoli-caso-joliemolte-variabilipoche-certezze-6472.htm
Renzo Puccetti
16/05/2013
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La célèbre actrice Angelina Jolie, icône holliwodienne de beauté et de prestance physique, a informé les médias qu'elle avait subi une mastectomie bilatérale préventive pour réduire la probabilité de développer un cancer du sein. Cette femme est en fait porteuse d'une mutation du gène BRCA (fr.wikipedia.org/wiki/BRCA1 ) qui accroît les risques de cancer du sein, des ovaires et de manière plus limitée, d'autres organes.
Le BRCA appartient à une classe de gènes appelés suppresseurs de tumeurs. Il existe des centaines de mutations possibles de ces gènes, et seulement une partie d'entre elles est associée à un risque accru de cancer.

Cette nouvelle peut offrir une occasion de développer quelques réflexions d'intérêt spécifiquement bioéthique.
Une première question concerne l'aspect éthique d'une mutilation d'un organe sain, en l'occurrence le sein, en prévision d'une future éventuelle pathologie. Le 13 Septembre 1952, le Saint-Père Pie XII décrivit le principe qui devait inspirer ces cas, en disant: «La partie existe pour le tout et, par conséquent, le bien de la partie reste subordonné au bien du tout: le tout est déterminant pour la partie et peut en disposer dans son intérêt».
Ce principe est désigné, en bioéthique, comme principe de totalité. Pour qu'il puisse être invoqué, pour qu'il soit licite de sacrifier une partie de soi-même, le Pape spécifia que «seulement là où sera avérée la relation du tout à la partie et dans la mesure exacte où elle sera avérée, la partie est subordonné au tout, lequel dans son intérêt peut disposer da la partie». Si par exemple un rein atteint d'une tumeur est enlevé, on est en présence d'une application claire du principe de totalité, le sacrifice du rein malade offrira la possibilité de guérison ou au moins une plus longue durée de vie pour le patient.

Une plus grande perplexité peut dériver de l'ablation d'un organe sain susceptible de devenir malade dans le futur, même si dans ce cas précis, il faut considérer un certain nombre de facteurs qui font que le choix n'est pas facile. Dans le cas de Jolie, par exemple, étant donné le risque élevé de cancer, on ne peut pas exclure déjà la présence de foyers cachés de dégénérescence néoplasique en phase initiale. Parmi les facteurs à prendre en considération, il y a aussi la fonction galactogogue de la glande mammaire et le rôle de locus psychologique de l'identité féminine joué par les seins, compromis par la mastectomie. A cela il faut ajouter la charge de stress relié à une surveillance intensive de la santé des seins chez les femmes qui sont porteuses de cette mutation. La gravité du risque est mise en évidence par un article publié en 2010 dans le Journal of Clinical Oncology. Selon les auteurs de cette étude, une femme de 25 ans qui n'a pas la mutation du BRCA a 84% de chances d'atteindre l'âge de 70 ans, mais en présence de la mutation du BRCA la même femme voit réduite à 53% la probabilité de devenir septuagénaire, même en se soumettant à des examens périodiques de prévention.

Il y a aussi une autre interrogation: qui peut et doit avoir accès à ces informations, et qui au contraire devraient en être exclus? Selon la loi américaine, ces données constituent des informations sur la santé, et en tant que tels, ils ne peuvent par exemple pas être utilisés comme source pour la discrimination des personnes en milieu de travail, mais peuvent en revanche être acquis par les compagnies d'assurance pour l'évaluation des risques.

Enfin, il y a un autre élément à considérer, une implication liée à ces cas: l'utilisation des tests génétiques comme condamnation, plutôt que comme service. Ce n'est pas une hypothèse confinée dans l'avenir, c'est réalité déjà aujourd'hui routinère, qui se véréfie avec l'utilisation du diagnostic génétique pré-implantatoire effectué sur des embryons produits par fécondation artificielle. Grâce à la biopsie d'une ou deux cellules (blastomères) de l'embryon, on peut désormais effectuer des dizaines de tests génétiques, y compris la recherche de mutations du gène BRCA. Si le test génétique est positif, le couple peut décider de ne pas transférer l'embryon dans l'utérus et de le jeter. L'embryon est tué non pas parce qu'il est malade, mais parce qu'il apporte en lui un risque de maladie.

L'Angelina Jolie du vingt-et-unième siècle, qui aurait été conçue dans une éprouvette, pouurait ne pas avoir le privilège de vivre sa propre vie et de choisir la mastectomie préventive que la Jolie de notre temps a eue, tout simplement parce qu'elle aurait été jetée quand sa vie n'avait que quelques jours et son corps formé d'une poignée de cellules. Dans une étude de 2007 publiée dans la revue Human Reproduction, on a interrogé 102 femmes ayant une mutation du BRCA, suivies par les services de cancérologie. On leur a demandé leur opinion sur le possible diagnostic pré-implantatoire sur le BRCA, chez l'un de leurs éventuels enfants. Parmi les 52 femmes qui ont accepté de répondre, 39 ont considéré comme acceptable d'effectuer un diagnostic génétique pré-implantatoire pour la mutation du BRCA. La faveur pour le diagnostic pré-implantatoire chez les femmes qui n'avaient pas l'intention d'avoir d'autres enfants s'est avérée plus du double de celles qui voulaient avoir d'autres enfants: une donnée qui semble indiquer que l'ouverture à la vie coïncide avec une une plus grande ouverture aussi à l'accueil de vies dissonantes par rapport à l'archétype de la perfection et de la santé.

Si les mères perdent le regard contemplatif vers le fruit de leur sein, alors ce sont les jours où l'on dira: «Heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n'ont point engendré»

     

Note

La réaction de Christine Boutin n'était pas un modèle de tact, elle aurait pu dire les choses autrement.
Par exemple l'explication qu'elle a donnée après coup, devant le tollé suscité chez les bien-pensants à géométrie variable: elle voulait «attirer l’attention de tous sur la société qui fait croire que l’on pourra éradiquer toutes les maladies, sur une société qui crée du rêve en creusant l’écart entre riches et pauvres» (http://www.leparisien.fr/politique/boutin-s-explique-sur-son-derapage-sur-les-seins-d-angelina-jolie-16-05-2013-2809269.php).