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Cinquante ans de surprises

A 50 ans exactement de la mort de Jean XXIII, JL Restàn revisite aussi - à sa façon - 50 ans de l'histoire de l'Eglise. Traduction de Carlota (8/6/2013)

     

Cinquante ans de surprises
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José Luis Restán
06-06-2013
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Le 3 juin, se sont écoulés cinquante ans depuis la mort du bienheureux Jean XXIII.
Le Pape François a fait mémoire de la figure d’Angelo Roncalli, soulignant la note de l’obéissance. Ce fut un homme de gouvernement, un chef, mais un chef qui s’est laissé conduire par l’Esprit. Ce fut l’obéissance évangélique, pas tant un programme génial conçu par lui-même, la source d’un pontificat qui a marqué la seconde moitié du XXème siècle. Selon François cette obéissance est le legs le plus efficace qu’a laissé le pape Jean, parce qu’il chante avec éloquence que c’est Dieu qui gouverne son Église.

Et c’est curieux comme le Seigneur prépare et forge la vie de ceux qu’il choisit pour guider sa barque. Durant des années la trajectoire de Roncalli paraissait s’éloigner de plus en plus du centre romain, en d’obscures missions diplomatiques qui avaient pu être satisfaites avec la simple astuce et le calcul, peut-être avec une pointe de ressentiment. Mais en Bulgarie, en Grèce et en Turquie, Angelo Roncalli a fait beaucoup plus que d’expédier des relations diplomatiques. Il a connu le peuple chrétien, souvent, sous la forme de minorités, il a compris les drames de gens simples à un moment de terrible convulsion, il a pressenti le fléau du totalitarisme, la blessure de la division entre les chrétiens et la tragédie du peuple hébreu. Et il est revenu changé. Qui pouvait penser que Quelqu’un le préparait pour quelque chose apparemment si différent.

C’est sûrement cette obéissance évangélique qui l’a disposé à entreprendre ce qui, pour beaucoup, n’était qu’une aventure incertaine. Jean XXIII connaissait bien les entrailles de l’Église de son temps, encore assez robuste dans sa présence et ses institutions : mais il avait l’intuition que l’Église n’avançait pas, qu’elle semblait plus une réalité du passé que celle qui portait le futur. Comme dirait cinquante ans après Benoît XVI, « pour beaucoup la foi ne s’alimentait plus dans la rencontre joyeuse avec le Christ mais s’était transformée en un simple question d’habit ». Et c’est ainsi que l’a précisé Jean XXII dans son homélie historique d’ouverture du Concile Vatican II : « L’intérêt suprême du Concile Œcuménique est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit gardé et enseigné selon une forme chaque fois plus efficace…Il faut que cette doctrine véritable et immuable, qui doit être fidèlement respectée, s’approfondisse et se présente selon les exigences de notre temps ». De nouveau Benoît XVI, témoin juvénile de cette conscience chargée d’émotion, nous communique « la tension de faire resplendir la vérité et la beauté de la foi dans notre temps, sans la sacrifier aux exigences du présent ni l’enchaîner au passé ».

Au bienheureux Jean XXIII fut demandé un dernier sacrifice, partir sans avoir terminé la traversée du Concile. Et alors apparut en scène le Pape Montini. Un homme d’une délicatesse extraordinaire, d’une grande finesse intellectuelle, connaisseur des mouvements profonds d’une culture qui rompait son lien avec la tradition chrétienne. Au milieu d’une terrible tempête postconciliaire nous pouvons l’imaginer comme ces capitaines qui demandent à être attachés à la barre de leur navire pour maintenir le cap face à la brutalité des vagues. Les larmes de Montini sont quelque chose de plus qu’une légende : à la différence de Pierre qui pleurait pour sa trahison, lui, il a pleuré pour la souffrance que comportait le fait de se maintenir fidèle. Et si Jean XXIII rempli de joie surprit le monde avec ses gestes et intuitions qui ont changé le monde, Paul VI a surpris les siens comme les étrangers avec une liberté et un courage qui paraissaient en contradiction avec sa fragilité physique et la délicatesse de son caractère. Et il a pu ainsi préparer l’Église pour qu’elle parle à l’homme contemporain, qui a un besoin absolu de Jésus.

Dans ces années-là se solidifiait déjà l’expérience singulière d’un jeune évêque polonais, la plus inespérée des surprises, et en viennent déjà quelques unes. Après le resplendissement du sourire de Jean-Paul II, une sorte de brise d’espérance, succède le jamais vu. Karol Wotyla, un évêque de 58 ans, forgé dans la résistance face au nazisme et au communisme, un pasteur de l’autre côté du Rideau de Fer qui vit d’une manière naturelle l’harmonie entre Église et liberté, est appelé au Siège de Pierre. L’histoire nous la comprenons seulement à sa fin ; maintenant nous pouvons voir la fécondité de celle peut-être mal dénommée, « Église du silence », le fruit des martyrs. Parce que de cette liberté, de cette raison et de cette souffrance est né Jean-Paul II. Et quand les différents blocs historiques semblaient avoir abattu le corps de l’Église dans les marges de l’histoire, il l’a conduite de nouveau au centre des places, en lui restituant la fonction de communiquer l’espérance qui lui avait été expropriée par les idéologies.

Vingt-sept ans après, il semblait impossible que quelqu’un puisse reprendre le témoin de Wojtyla le grand, durant le pontificat duquel l’on a pu déjà calibrer les premiers fruits mûrs du Concile: le nouveau rôle des laïcs, l’actualisation de la Doctrine Sociale, les nouveaux charismes, le dialogue avec la culture, le dialogue avec les jeunes… Une Église qui s’était réconciliée avec le meilleur de la raison moderne et avec sa faim d’authentique liberté. Alors les cardinaux ont élu Joseph Ratzinger, l’humble travailleur sur les terrains les plus durs de la vigne. Et ils ne l’ont pas fait pour qu’il maintienne le dépôt sous sept clefs mais conscients qu’il était celui qui pouvait le mieux incarner le défi du dialogue avec le monde postmoderne. Malgré son âge avancé et les clichés dont on l’avait chargé. Benoît XVI a surpris tout le monde par son magistère et son style comparable à celui des plus grands Pères des premiers siècles, par sa volonté de purifier l’Église, par sa sympathie avec la recherche loyale de tous les hommes et femmes de son époque, et par sa pureté évangélique, exprimée d’une façon impressionnante dans les gestes et les paroles de ses dernières semaines, quand il nous rappelait que la barque de l’Église n’est celle d’aucun d’entre nous, elle est du Seigneur, et Lui ne permet pas qu’elle coule…bien que parfois il nous semble qu’il dort alors que la mer est agitée.

Cinquante ans ont passé depuis que cette histoire a commencé, et maintenant la surprise est arrivée du presque bout du monde. Il est aussi beau de scruter la façon dont le Seigneur a fait murir l’expérience de Jorge Bergoglio dans le creuset de la douleur et de l’amour, les mystérieux méandres (qui maintenant s’éclairent) de sa trajectoire religieuse et épiscopale, sa proximité, peau contre peau, aux pauvres, aux assoiffés de la vie et du bonheur. Le Pape Jean vivant l’obéissance à lancer l’Église dans une traversée passionnante mais remplie de dangers. François a déjà dit qu’il préfère une Église accidentée pour être sortie à la rencontre de l’homme, que bien polie et protégée mais malade d’un esprit mondain (*). Dans la vaste mer de l’histoire cette barque continue à aller de l’avant, guidée par des hommes qu’Il prépare, choisit et appelle. Et que Dieu nous garde du manque de mémoire et de l’ingratitude.

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(*) Ce terme « mondain », dont on sait que c'est un thème cher au Pape François (cf. Continuité: mondanité de l'Eglise ) est sans doute à comprendre dans un sens plus large mieux rendu en français par l’expression « du monde ».
« Les malades d’un esprit mondain » ne sont pas toujours là où les médias et les « bien pensants » voudraient les voir. Je reviens encore à l’esprit ce que disait Benoît XVI : « Des catholiques adultes…on l’entend souvent au sens de celui qui n’écoute plus l’Église et ses pasteurs mais qui choisit de manière autonome ce qu’il veut croire ou ne pas croire, donc, une foi bricolée. Et on la présente comme le courage de s’exprimer contre le magistère de l’Église. Mais en réalité il n’y a pas besoin de courage, car l’on peut toujours être sûr de l’ovation du public. Il faut plutôt du courage pour adhérer à la foi de l’Église, même si celle-ci contredit le schéma du monde contemporain ».
Et là, les membres de cette Église auront toutes les raisons d’être accidentés en ayant pris les coups du monde. Qu’en pensent, par exemple, les cardinaux Danneels et Bagnasco?