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Instrumentalisation, expectatives.

Les deux risques du nouveau Pontificat: Impeccable analyse du site italien "Il Vaticanista". (11/7/2013)

Sans complaisance, mais sans parti pris hostile, elle confirme et complète celle de Sandro Magister, parue le même jour sous le titre «Un pape comme on n'en avait jamais vu. Va-t-il réussir?» (*)

Les instrumentalisations continuelles et les attentes construites à dessein peuvent ruiner ce pontificat.

http://www.ilvaticanista.it
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Les réactions (parfois dépitées) à la visite du pape François à Lampedusa ne sont que le dernier exemple de la façon dont l'opinion publique (et les leaders d'opinion) interprètent les premiers mois du pontificat du pape Bergoglio.
Je n'ai pas rejoint la longue cohorte des commentateurs qui ont fait le bilan des 100 premiers jours parce que je partage entièrement le jugement de Sandro Magister dans un article récent: indéchiffrable.
N'étant pas en mesure de tracer un bilan de ces 4 premiers mois, je veux me concentrer sur la façon dont ce pontificat est perçu par l'opinion publique, par les commentateurs et par la plupart des membres du clergé et des évêques.

Les mots-clés sont deux: instrumentalisation,expectatives.

Pour éviter tout malentendu, je tiens à dire tout de suite que dans ce court article, je n'ai en aucune façon l'intention de redimensionner l'impact et la portée des choix et des gestes que nous avons vus dans ces premiers mois: sans aucun doute, le pape François apporte une nouvelle perspective dans les gestes, dans la forme, et aussi dans la substance de son magistère. Comme il est trop tôt (à mon avis) pour tirer un bilan de ce pontificat (et même pour seulement tenter de le déchiffrer), je préfère me concentrer sur ce qui tourne autour du Pape François, sur la façon dont il est perçu, et sur les risques qui se font évidents.

Instrumentalisation

L'exemple de Lampedusa est clair, la présidente de la Chambre, l'honorable Laura Boldrini (cf. Interprétations, malentendus récupération ), gazouille sur Twitter comme une alouette, «Le Pape François reconnaît la dignité des migrants qui sont morts et de ceux vivants. Il invite le nord du monde à ne pas devenir Caïn, oubliant la solidarité» et encore: «En temps de crise, il est important de réaffirmer les droits universels, comme le pape François l'a fait aujourd'hui à Lampedusa» et enfin: «Le Pape François, fils d'italiens en Argentine, connaît les raisons de l'immigration et de l'asile».

Connaissant les positions de la Boldrini en faveur de politiques d'immigration plus ouverte et moins restrictives, il viendrait presque à penser (comme d'ailleurs l'ont fait plusieurs commentateurs) que François avait excommunié l'actuelle loi Bossi-Fini sur l'immigration, alors que (lisant l'homélie du pape) le caractère strictement pastoral et spirituel de sa visite est évident de même qu'il est évident que la seule allusion de nature politique que l'on peut lire dans les paroles du Pape est un appel à chacun à faire tout son possible pour que les conditions de vie des migrants et des demandeurs d'asile sont honnêtes et respectueuses de la dignité de la personne humaine, et pour que ne cesse pas le recherche de solutions appropriées à la question de l'immigration (???).

La tentative d'instrumentalisation de la Boldrini avait en réalité commencé avant même la visite (cf. Lampedusa: récupération?), lorsque la Présidente avait dicté l'ordre du jour au pape: «Le pape qui va à Lampedusa est un signal fort. L'Italie doit changer les règles de la citoyenneté. Et le voyage du pape va dans ce sens».

L'ingérence du Vatican dans les affaires de l'Etat semble être recherchée de manière insistante également par le ministre Kyenge, qui, se référant à la Loi sur l'immigration et à son propre programme pour le jus soli a déclaré: «Son geste aura un impact fort sur la citoyenneté, il aidera à réfléchir avec quelles lois aller de l'avant. Pour la loi sur l'immigration, là, le geste du pape François peut avoir un effet immédiat car il modifie l'approche: aujourd'hui, la loi est basée uniquement sur la sécurité, au contraire, elle peut se transformer en accueil, à condition que ce soit dans tous les secteurs, économique, social et culturel».

Mais bien que le cas de Lampedusa soit le plus évident, il n'est pas à mon avis le cas d'instrumentalisation du Pape François le plus remarquable (ni, par conséquent, le plus inquiétant).

Beaucoup plus troublants sont les cas (nombreux) où des évêques, des prélats et plus généralement des catholiques instrumentalisent les gestes du Pape pour donner de la crédibilité à des opinions personnelles qui ne sont pas toujours prudentes, ni orthodoxes.
Je pense en particulier aux grands thèmes qui stimulent le débat ecclésial au cours des dernières années: la position à adopter sur la défense de la vie, les lois sur le mariage, et le débat liturgique et ecclésiologique.
En particulier, de nombreux commentateurs ont souligné la différence d'intensité entre les paroles du Pape à l'occasion de la journée Evangelium Vitae (un appel générique pour la défense de la vie, guère plus), et la grande force de ses discours sur les questions qui lui tiennent vraiment à coeur (la pauvreté, l'accueil, l'ouverture, les périphéries, etc.)
La conséquence de cette observation est la diffusion d'une attitude de plus en plus souple sur les principes non négociables, allant jusqu'à théoriser que le Pape ne les considére absolument pas comme non négociables.
A quel point cette position est infondée, l'histoire même de Bergoglio, ses écrits et ses sermons quand il était archevêque de Buenos Aires en témoignent; il devient néanmoins de plus en plus compliqué (pour ceux qui sont engagés dans la défense de ces principes) de maintenir leur position, car de plus en plus souvent, on leur oppose la fameuse phrase «mais ce pape est aussi ouvert sur ces questions».
Essayez alors d'expliquer que ce n'est pas vrai, que comme archevêque, il s'est sévèrement opposé à l'approbation d'un projet de loi sur le mariage homosexuel: c'est une bataille perdue d'avance.

Il ne faut en effet pas oublier qu'aujourd'hui plus que jamais, malheureusement, le Magistère de l'Église arrive aux fidèles (et au public) presque uniquement par l'intermédiaire des moyens de communication de masse; éviter d'être manipulé est donc essentiel pour l'évangélisation. Bien sûr, avec le Pape François, grâce à sa personnalité et grâce à la faveur (dans certains cas instrumentale et intéressée) médiatique, beaucoup se sont rapprochés de l'Eglise; le contexte n'est-il pas sans risques?
Ne met-on pas en péril le dépôt de la foi en permettant à de nombreux (trop nombreux) commentateurs, fidèles (mais aussi religieux, évêques et cardinaux) d'accepter (et de diffuser) un magistère parallèle qui, par ailleurs frôle souvent l'hérerodoxie?
Est-ce un véritable retour, celui des gens qui reviennent vers l'Eglise parce que le pape parle des pauvres plutôt que de théologie ou parce qu'il a des chaussures noires et pas rouges? Nous ne savons pas, nous ne pas pouvons juger la conscience de chacun, mais ce sont des questions à se poser lorsque l'on vous agite l'augmentation des confessions ou la fréquentation accrue de la messe due à l'effet Bergoglio.
Est-il possible de laisser les médias nous rapporter des débats pseudo-théologiques entre des cardinaux et archevêques résidentiels ou de curie sur la moralité, ou non, des relations (et par conséquent des mariages) homosexuelless, sans que le Pasteur suprême ne prononce un mot? Que pourra-t-on opposer à ceux qui disent que le Pape ne parle pas parce qu'il considère toutes les options comme moralement admissibles?
Comment je l'avais écrit ici 6 jours après l'élection de Bergoglio, l'instrumentalisation constitue l'un des plus grands obstacles que le pape François devra surmonter pour exercer efficacement le ministère pétrinien et éviter de recréer (même si, nous l'espérons, dans une moindre ampleur ) au cours de son pontificat les problèmes rencontrés après le concile, et que se créent donc un vrai pape François et un pape François des médias.

Expectatives

Jusqu'à présent, nous avons parlé des instrumentalisations destinées à tirer le pape par son habit à la suite de ses actes ou déclarations.
Les interventions sur les expectatives, en revanche, se rapportent à l'exploitation et à la perversion du Magistère de l'Eglise face à des gestes que le Pape n'a pas (encore) effectués ou des questions sur lesquelles il ne s'est pas (encore) prononcé.

De cela aussi, nous avons parlé quelques jours après l'élection, citant l'étrange enthousiasme d'Ezio Mauro (directeur de la Repubblica), car selon lui «Bergoglio n'a jamais approuvé la rigidité excessive de l'Église en particulier en matière de sexualité», et citant le bon vieux Leonardo Boff ( ancien prêtre, et point de référence du mouvement appelé Théologie de la libération), qui, ignorant la condamnation explicite de la Théologie de la Libération par Bergolgio quand il était archevêque de Buenos Aires se disait certain que le pape allait le réhabilitr.

De même avait grandi (et s'était répandue, bien que subrepticement et jamais explicitement) l'expectative que le pape François allait démolir pièce par pièce le Magistère du Pape Benoît (que les médias et de nombreux commentateurs, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Église continuent subtilement à percevoir comme un Pape exécrable), de sorte que lorsque le pape François a publié avec sa signature l'encyclique Lumlen Fidei écrite (presque entièrement) par Benoît XVI, Eugenio Scalfari, Vito Mancuso et Barbara Spinelli (ndt: pour mémoire, "opinionistes" de référence de la Repubblica, donc sans aucun doute grands connaisseurs en théologie...) s'en sont sortis avec des réactions quelque peu désordonnées allant de l'hypothèse que «le pape François a accepté de signer une encyclique écrite presque entièrement par Joseph Ratzinger, parce que l'encyclique ne l'intéressait pas du tout» à la critique concernant la façon trop traditionnelle d'aborder le thème de la Foi , pour finalement relever «l'effet assez écoeurant de voir signée par pape François un texte écrit dans son intégralité par Ratzinger».

Passons rapidement sur les requêtes que le Pape dit avoir reçues concernant le licenciement de Mgr Marini, son maître de cérémonie, de formation trop traditionnelle, ou sur les demandes de révoquer le Motu Proprio libéralisant la messe pré-conciliaire: tout cela est aussi la preuve que beaucoup (y compris des évêques et des cardinaux) s'attende(ai)ent à ce que François détruise tout ce que Benoît XVI a dit et fait.

On voit également se développer des expectatives variées sur un bouleversement des approches pastorales envers les divorcés remariés, on aspire à une révision des enseignements de morale sexuelle et une sorte d'approbation du mariage homosexuel, en somme ... une tour de Babel d'opinions hétérodoxes qu'il est très difficile de contrer, parce que toutes seraient justifié d'une certaine façon (ou au moins rendues plausibles) par une phrase que le pape aurait dite ou pas dite, par un geste que le pape aurait fait ou pas fait ou par une décision que le pape aurait prise ou non.

Par ailleurs, pour comprendre à quel point les opinions qui sont en train de se former sur le début de son pontificat sont basées sur la déformation de la réalité ou sur des rumeurs et légendes urbaines qui sont entrées dans l'imaginaire populaire, il suffit de constater que beaucoup de gens croient encore que le Pape a parlé de la mozette portée par le Pape Benoît XVI comme d'un «habit de carnaval» et qu'il a exilé le cardinal Law (qui nous paraît au contraire avoir conservé sa résidence à la Basilique de Sainte Marie Majeure).
Un chapitre à part doit être réservé à l'attente anxieuse autour du thème de la collégialité: Tout le monde en parle, tout le monde la voit comme la promesse d'une démocratisation de l'Eglise, comme la véritable vague de modernité qui arrivera en Octobre.
Il est certainement possible (voire même souhaitable) que le pape François institue (à l'occasion de la réforme de la Curie qui pourrait voir le jour en automne / hiver) des éléments d'une plus grande collégialité, mais comme nous avons déjà eu l'occasion de l'expliquer (et comme l'ont relevé de nombreux commentateurs qui connaissent de près la Compagnie de Jésus) il est difficile d'attendre du pape la convocation d'une sorte de Concile permanent, dans lequel le collège des évêques, avec le pape (ou au moins avec son accord) peut exercer le Pouvoir Suprême sur l'Église universelle.
A en juger par les premiers actes du gouvernement du Pape, en outre, il est difficile de s'attendre à une réforme collégiale qui pourrait institutionnaliser l'existence d'une certaine forme de «contre-pouvoir» à l'égard du pape (oui, parce que c'est l'objectif de nombreux hérauts de la collégialité , de leur propre aveu - voir Kung, les interventions de «Nous sommes Eglise», Adista, etc.).
En effet, le pape François décide seul, toujours. Il écoute tout le monde, mais il décide seul. Comment peut-on attendre une réforme collégiale (au sens ci-dessus) par un pape qui nomme des évêques sans impliquer le préfet de la congrégation concernée, ou qui nomme Mgr Ricca prélat de l'IOR sans impliquer impliquer quiconque, au point de faire, selon Magister une très grave erreur (cf. Les loups sont encore là 4/7)?
Mais sur la question de la collégialité, on entrevoit une autre limite de la stratégie de création d'expectatives: ils nous décrivent le pape comme un père fouettard inexorable (la Révolution François, comme ils l'appellent), seul pieux dans un monde de serpents, d'homosexuels, de corrompus de toutes sortes ( la curie romaine), mais, en dépit de l'immoralité (présumée) qui sévit parmi les cardinaux, les évêques et les prélats, ils invoquent la collégialité.
Même ceux qui demandent que la collégialité soit exercée principalement avec la participation des évêques résidentiels (et pas seulement ceux de la curie, qui seraient les plus mauvais de tous), ne devraient pas oublier les cas de malversation et de pédophilie qui ont affligé des dizaines de diocèses dans le monde.

De deux choses l'une: soit il existe une opposition entre le Pape Réformateur et le Parti romain corrompu (et alors, il vaut mieux qu'il n'y ait pas de collégialité, qu'on enlève le pouvoir aux corrompus, plutôt que de le lui donner); soit la vraie raison pour laquelle on invoque la collégialité, c'est qu'en réalité, selon certaines conceptions quiont cours, collégialité signifie se rapprocher de la récompense ultime: redimensionner le Primat de Pierre (et avec lui, en fait, l'Église catholique).

En somme, dans cette orgie d'attentes et d'excitation des médias pour le «nouveau printemps», il y a quelque chose qui ne cadre pas: il y a certainement une tentative de dicter l'agenda au pape et de démolir Benoît XVI. Rappelons aussi que dans l'histoire récente, les papes qui avaient suscité des attentes excessives en ont à la fin payé le prix.
Je tiens à rappeler en particulier Pie IX, qui ne s'est pas laissé enfermer dans les expectatives crées à dessein par les Puissances et les mouvements libéraux, et a payé un prix très lourd (il est mentionné, lui, grand libéral, comme l'un des papes les plus réactionnaires qui ait jamais existé) et Paul VI , grand innovateur (mais avec modération) méprisé par les traditionalistes car il a innové (toujours dans le sillage de la Tradition et du Magistère précédent) et par les progressistes parce qu'il n'a pas eu le courage de libéraliser la contraception (et plus généralement de garantir une nouvelle approche sur la moralité sexuelle ), parce qu'il n'a pas renoncé à la primauté et parce que (disent-ils) il a mis en cage «l'esprit du Concile», se limitant à la «lettre».

Après quatre mois, il est difficile de dire comment sera le pontificat du pape François; il a à coup sûr la personnalité d'un grand meneur de foule et d'un pasteur extraordinaire, il a l'étoffe d'un Jean-Paul II, mais il peut finir comme Pie IX, ou Paul VI.
Et cela dépend aussi de lui.

Ce que dit Sandro Magister

(*) Un pape comme on n'en avait jamais vu. Va-t-il réussir?

http://chiesa.espresso.repubblica.it
(extrait)
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Il ne faut pas s’étonner si, après le voyage à Lampedusa la popularité universelle du pape François a atteint ses plus hauts sommets. ... Il y a une coïncidence évidente entre les mots et les gestes de ce pape et ceux que pourrait lui suggérer un expert chargé de planifier son succès. Presque tout ce qu’il fait et dit peut difficilement être contesté par l'opinion publique catholique et laïque, à commencer par le "comme je voudrais une Église pauvre et pour les pauvres" qui est devenu la carte d'identité de l'actuel pontificat.
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Dans la bouche du pape actuel, le thème de l’Église pauvre constitue un paradigme infaillible, qui fait l’objet d’un consensus presque universel, aussi bien auprès des amis de l’Église que de ses ennemis les plus acharnés, ceux qui voudraient qu’elle s’appauvrisse au point de disparaître complètement.
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Benoît XVI, en effet, était différent. En dépit de sa douceur, il était souvent très explicite et très direct quand il s’agissait d’exprimer des jugements et de mettre ses auditeurs dans les cordes. Le tremblement de terre provoqué par son discours de Ratisbonne en reste l'effet le plus spectaculaire. Mais un autre de ses discours majeurs explique encore mieux de quoi il s’agit.
Ce discours a été prononcé à l’occasion de son troisième et dernier voyage en Allemagne, au mois de septembre 2011. À Fribourg-en-Brisgau, le pape Joseph Ratzinger avait voulu rencontrer des représentants des catholiques allemands "engagés dans l’Église et dans la société". Et il leur a adressé sereinement, ainsi qu’aux évêques allemands qui étaient presque tous présents, des propos d’une sévérité terrible, très exigeants. Des propos qui étaient tous centrés sur la devoir qu’avait l’Église d’être pauvre, "dépourvue de richesses terrestres", "détachée du monde", "libérée des fardeaux et des privilèges matériels et politiques", afin de pouvoir ainsi "se consacrer mieux et de manière vraiment chrétienne au monde entier".
Eh bien, ce discours a été accueilli avec froideur et rapidement passé sous silence par ceux à qui le pape s’était adressé en priorité. Parce que c’est précisément eux qu’il avait visés avec précision, en leur demandant de changer, cette Église allemande qu’il connaissait si bien : riche, satisfaite, bureaucratique, politisée, mais pauvre en Évangile.
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Mais, à côté de ce que [François] dit, il y a ce qu’il ne dit pas, délibérément. Si, au bout de cent-vingt jours de pontificat, les mots avortement, euthanasie, mariage homosexuel, ne sont pas encore sortis une seule fois de la bouche du pape François, il n’est pas possible que ce soit un hasard.