Accueil | D'un Pape à l'autre | Retour au Vatican | Collages de Gloria | The hidden agenda | Lumen Fidei | Lampedusa | Benoît et les jeunes

Jean XXIII (XXIV)

Un curieux roman prophétique, ou de religion-fiction, écrit en 1964 par un jésuite argentin, Leonardo Castellani. Le protagoniste est un Pape qui, par bien des aspects, et pas uniquement sa provenance géographique, évoque François. Traduction de Carlota (23/6/2013)

Carlota
22/6/2013
---
Parfois les écrivains, sans être des saints, ni des mystiques à proprement parler (je pense en particulier à Catherine Emmerick ) peuvent avoir des inspirations littéraires « prophétiques » ou tout au moins savoir mieux transmettre leurs intuitions raisonnées et étayés qu’un quelconque quidam.
En 1964, l'auteur et jésuite argentin Leonardo Castellani (absent du web français!) - que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer brièvement ici et - faisait paraître à Buenos Aires, sous le pseudonyme de Jerónimo del Rey, un roman dont le titre complet en espagnol se traduisait par « Jean XXIII (XXIV) ou la résurrection de Don Quichotte (Symphonie fantastique à la Berlioz en trois mouvement et un coda, à l’usage des nations sous-développées) ».
Or ce livre parlait d’un prêtre argentin plutôt original, un certain Pie Ducadelia, qui devient pape!

Carmelo López Arias, dans l’article en vo (www.religionenlibertad.com) , rappelle opportunément cet auteur et son œuvre qui, sauf erreur de ma part, n’a jamais été éditée en français.
Loin de moins l’idée d’imaginer que Leonardo Castillani, ce jésuite atypique qualifié de "Chesterton de la langue espagnole" par l’écrivain Juan Manuel de Prada, ait prédit l’avenir ni même qu’il ait eu une influence sur notre nouveau et toujours déroutant et énigmatique Pape François. Mais la coïncidence est amusante, et, la découverte de cet auteur et religieux argentin, au-delà de la planète hispanophone et voire même parfois de son pays natal, mérite assurément de se faire.

     

JEAN XXIII (XXIV)

Carmelo López Arias
(traduction de Carlota)
-------
L’écrivain jésuite Leonardo Castellani (1899-1981) est-il en train d’inspirer quelques-unes des lignes directrices du pontificat de François?
L’hypothèse est forte et risquée, mais nullement insensée. Et celui qui abordera son roman «Jean XXIII (XIV), une " fantaisie" » (comme il s’auto-définit), se posera tout naturellement la question, au moins comme exercice intellectuel.
Dans quelques-unes des pages de cette œuvre, les ressemblances entre le protagoniste, Ducadelia, et le Pape Jorge Mario Bergoglio en sont mêmes troublantes.

Nous avons demandé à Juan Manuel de Prada de nous faire le portrait de cette œuvre.
C'est lui qui, en 2007-2008, grâce à ses articles, a fait connaître aux Espagnols la figure de ce génial auteur argentin.

(...)

Les traits de Ducadelia, le protagoniste du roman « Jean XXIII (XXIV) » reproduisent ceux de Castellani lui-même.
Ducadelia est emmené comme expert au Concile Vatican II - qui est encore en cours quand est écrit le roman - par l’archevêque de Buenos Ayres.
Les interventions de Ducadelia dans la salle du Concile, en lien avec la trame de la convulsion mondiale qui se met en marche après le triomphe du communisme dans les diverses aires de la planète, et avec le décès de Jean XXIII, le transforment d’une façon inespérée en Pape grâce à un rocambolesque système de désignation.

« Jean XXIII (XXIV) est un roman qui, comme toute l’œuvre de Castellani, doit être interprété avec une clef eschatologique», nous explique Prada : « L’Église qui ici comparaît est une Église qui se rapproche des temps ultimes : les guerres et les rumeurs de guerre sont la toile de fond constante. Le Pape a été délogé du Vatican et s’est réfugié à Saint Jean de Latran; l'assaut de la maçonnerie (qui a même infiltré l’Église) est constant. Cette vision qui avait poussé Léon XIII à écrire la prière à Saint Michel Archange qui se récitait autrefois à la fin de la messe paraît être une référence évidente dans la trame du roman ».

Ducadelia devient un Pape réformiste audacieux. Il se débrouille (nous ne révèlerons pas comment pour ne pas gâcher le plaisir des lecteurs) pour voyager en métro (comme le faisait Bergoglio) et ainsi ne pas perdre le contact avec les gens (raison pour laquelle François vit à la Maison Sainte Marthe). Il veut dé-bureaucratiser l’Église (comme l’a suggéré le cardinal Bergoglio lors des congrégations de pré-conclave, selon une révélation du cardinal de la Havane) et pour réduire la Curie il s’appuie exclusivement sur douze cardinaux (François en a nommé huit pour diriger cette réforme de la Curie).

Contre le pharisaïsme et l’hypocrisie
------
Mais une de choses les plus frappantes dans les ressemblances François-Castellani c’est la continuelle référence au pharisaïsme et à l’hypocrisie. Il s’agit d’un thème peu habituel dans le magistère des pontifes. François y a fait référence déjà en différentes occasion (la dernière dans l’homélie de Sainte Marthe du 4 juin, où il le définit comme « le langage de la corruption »), en suivant ce qui fut une constante de sa prédication comme évêque. « Derrière une pensée hypocrite il y a un cœur malade », a-t-il dit dans l’homélie de messe du 1er Congrès d’Évangélisation de la Culture à Buenos Ayres en 2006, où il a même montré l’hypocrisie et la suffisance comme les « deux règles du pharisaïsme ».
Tout lecteur de Castellani sait que c’est l’une des affaires centrales de son œuvre, entre autres raisons parce qu’il a cru être victime du pharisaïsme dans son long calvaire de sanction canonique (en 1949, il a été exclu de la Compagnie de Jésus, et ce n'est qu'en 1966 qu'il se voit restituer l'exercice du sacerdote). Ses meilleurs essais et lettres sur le thème ont été publiés sous le titre de « Le Christ et les pharisiens ».
Et dans « Jean XXIII (XXIV) » les allusions ne manquent pas : « je péris victime du pharisaïsme dans l’Église », proclame sur son lit de mort l’archevêque de Buenos Ayres. « Le pharisaïsme est la maladie spécifique de la vraie religion », proclame pour sa part un autre des personnages du roman.

Des airs de réforme
-----

Prada interprète ainsi les vents réformistes de François en relation avec les propositions de Ducadelia : «Comment pouvait-il en être d’une autre façon chez Castellani, à côté de la clef eschatologique, est présent son très personnel sens de l’humour, qui comme chez tout grand humoriste est un humour parfaitement sérieux. Dans cette clef nous devons lire toutes les réformes que le Pape argentin rêvé par Castellani introduit dans l’Église, des réformes dans lesquelles sa clairvoyance prophétique est de nouveau prouvée : réforme de la curie et allégement des structures bureaucratiques de l’Église, bataille du pharisaïsme, etc. ».

Nous avons aussi questionné Prada, en tant qu’expert, sur la possible influence de l’un sur l’autre : « Je ne sais pas si le nouveau Pape a lu l’œuvre de Castellani ; mais, bien sûr, le caractère du personnage protagoniste de l’œuvre de Castellani, et celui de François ont des traits communs très frappants (le personnage de Castellani étant évidemment plus rugueux et atrabilaire, mais tous deux sont peu amis des manières et peu respectueux des égards). Et Jean XXIII (XXIV) propose, à partir de l’orthodoxie la plus absolue, un plan de gouvernement de l’Église radicalement captivant avec quelques aspects, j’oserais affirmer, auxquels François pourrait souscrire».

Les surprises que renferme « Jean XXIII (XXIV)
------
Ces prémisses posées, certains des éléments du roman de « Jean XXIII (XXIV) » sont surprenants.
Il y a en des anecdotiques, mais curieux : le Pape protagoniste, Pie Ducadelia (figure de Castellani), avait été nommé cardinal-prêtre de Sainte Praxède, la même église de Rome dont fut cardinal-prêtre durant un jour Saint Robert Bellarmin, ... alors que Jorge Mario Bergoglio portait, avant son élection, le titre de cardnal-prêtre de Saint Robert Bellarmin.
Mais ensuite il y a des questions de contenu. Ducadelia veut aussi une « Église des pauvres ». Par exemple, il répartit 12 millions entre eux quand il est élu. « Le trésor de l’Église ce sont les pauvres », disait le Pape ; et ce n’était pas une phrase de lui », raconte le roman où il est dit que Jean XXIII (XXIV) est si frugal qu’ « il mange pour un dollar par jour ». Et il ne vit pas non plus dans les appartements du Vatican, quoique pour des raisons différentes de celles de François, - la guerre dans laquelle se trouve le monde et ses conséquences politiques. Le nouveau Pape ordonne la construction d’un édifice de bureaux au Latran et il y habite : c'est-à-dire un lieu collectif, comme Sainte Marthe.
En outre, l’un des principes de réforme ecclésiastique que pose Castellani est que « ni les évêques ni les curés ni les ordres religieux ne pourront avoir des papiers de crédit d'aucune sorte. Tous les biens ecclésiastiques seront investis dans des biens immobiliers ».
Plus curieux encore : bien que Castellani n'ait pas sympathisé avec le monde socio-culturel de la Communauté juive de Buenos Aires, le Pape du roman, si. Tout comme François (dont les relations excellentes avec la Communauté juive argentine sont connues), Ducadelia est un ami d'Israël. Il reçoit même des donations de rabbins qui l'admirent, et sa visite à Jérusalem est rappelée comme un « fait historique » par les centaines de milliers de juifs qui l'accueillent.

Est-ce que nous nous rappelons de la première homélie de François comme Pape, aux cardinaux, à la Messe d’Action de Grâce après son élection? « Quand nous cheminons sans la Croix, quand nous nous édifions sans la Croix et quand nous confessons un Christ sans croix, nous ne sommes pas des disciples du Seigneur, nous sommes des mondains », a-t-il.
Rapprochons la phrase de l’une de Ducadelia: « Aujourd’hui, il ne faut pas revenir à la religion facile, il ne faut pas mélanger le lait et le miel au vinaigre de la Passion, cela empeste ». Il est certain que la réflexion est habituelle dans le domaine de la spiritualité chrétienne, mais cela appelle vraiment l’attention que « deux » Papes (l’un authentique, et l’autre de fiction), la considèrent comme un principe fondamental de leur pontificat.

La réforme de la Curie
-----
Les critiques d’une Curie « bureaucratisée » ne sont pas plus originales aujourd’hui, qu'elles ne l’étaient en 1964.
Que François veuille la réformer, c’est un fait, car il a créé une commission pour étudier l’affaire. Et bien les principes de réformes posés dans « Jean XXIII (XXIV) partent de la « décentralisation du gouvernement ecclésiastique ». Comment ? « En déléguant une grande partie de sa puissance suprême » en 52 Patriarcats désignés par lui. Est-ce que cela à voir quelque chose avec l’insistance de François à s’auto-dénommer « évêque de Rome » ?
En outre, Ducadelia nomme douze cardinaux (François, huit) comme son Conseil personnel. Il est sûr que ceux de Ducadelia sont permanents et ceux de François sont, en principe, seulement pour la réforme de la Curie, mais… c’est une autre coïncidence.

Des résultats de ses réformes, l’Église du Pape Jean XXIII (XXIV) « avait réduit des deux tiers l’ancienne machinerie », avec l’idée, que le Pontife laisse par écrit, d’amoindrir « la bureaucratie impersonnelle dans le maniement des affaires ecclésiastiques ».

La façon de gouverner
------
Or, est-ce la même chose de réduire la bureaucratie ou de déléguer l’autorité, que de ne pas l’exercer?
Dans un récent article (http://chiesa.espresso.repubblica.it), Sandro Magistrer, observant l’«exultation» des partisans de la démocratisation de l’Église, laissait clairement entendre que non, parce que ce n’était pas cela l’intention de François. « Le Pape François a voulu que ce soit lui-même, et non les autres, qui choisisse ses huit conseillers, lesquels sont donc appelés à répondre seulement devant lui, et non devant une assemblée élective », signalait le vaticaniste.

Le même souligne la similitude entre la façon de gouverner du François, Pape, et celle du Bergoglio, supérieur jésuite : « Bergoglio a été supérieur provincial et a assimilé le style. Au sommet de la Compagnie, les assistants qui entourent le général, et qui sont nommés par lui, représentent respectivement les zones géographiques. Les décisions ne se prennent pas collégialement, seul le général décide, avec des pouvoirs directs et immédiats. Les assistants ne doivent pas se mettre d’accord entre eux et avec le général, mais le conseillent un par un, avec la plus grande liberté ».

Donc, voyons comme gouverne Ducadelia (Castellani a aussi été jésuite, bien que non supérieur, et il connaissait bien les méthodes) et le maintien de l’autorité malgré son apparent partage : « N’est pas mieux que de me mettre le moins possible dans la marche de l’Église ? ». En réalité il s’y mettait beaucoup plus effectivement que les Papes antérieurs ; les décisions prises en dernier étaient les siennes, et souvent elles venaient comme un éclair… Le Pape parcourait fréquemment les différents bureaux, sans s’immiscer beaucoup dans les décisions ; il aimait plus corriger et former ses collaborateurs, et ensuite leur donner des responsabilités. L’instance dernière en cas d’erreur manifestée lui était réservée, évidemment ».

* * *

En conclusion…
Il n’y a pas de raison suffisante, selon les différents experts consultés, pour considérer que François est un castellanien…
Cependant les points de la vie et de l’oeuvre de Castellani, et concrètement de son roman de 1964, qui paraissent évoquer la personnalité, les paroles et les décisions de l’actuel Pape semblent être plus qu’une curieuse coïncidence littéraire. Probablement s’expliquent-ils par leur appartenance à une même tradition socio-culturelle, avec des facteurs déterminants aussi forts que la patrie commune, la filiation commune ignacienne et la référence politico-ecclésiastique argentine du XXème siècle.

En tout cas, ils ont un bon prétexte pour lire Jean XXIII (XXIV) (ndt: ou attendre une édition en français... )