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La lettre de Jeannine du 16 août

Comme d'habitude, un regard sans concession sur les derniers évènements liés au Pape (17/8/2013)

>>> Ilustration: L'homéliste

Je terminais d'écrire ce texte (Quo vadis? ) quand j'ai reçu la lettre de mon amie.
Je constate que nous sommes sur la même longueur d'onde.

     

Chère Béatrice,

(...)
Parler de Benoît XVI, le regretter est une faute, le dire est une aggravation.
Qui a décrété cela: les médias, qui sont tous devenus des serpillières devant le pape, les vaticanistes, visages tout sourire, à l'image de celui de François.
Je suis contre le dénigrement systématique mais je sais garder ma liberté de penser et me juge suffisamment lucide pour me faire une opinion sur les faits qui sont présentés par les différents organismes qui s'intéressent aux moindres actes et gestes du pape François. J'ai toujours beaucoup de mémoire et point ne m'est besoin de relire trente-six fois les mêmes articles pour noter les redites fort nombreuses: en période creuse il faut bien enrober les faits divers du Vatican en les faisant mousser car il n'est pas question que François, le pape aux vacances studieuses, risque de perdre une miette de sa miraculeuse popularité. Il me semble que les mêmes mots sont employés pour qualifier les vacances studieuses de notre gouvernement.

Les vaticanistes sont une caste à part. Ils sondent, scrutent chaque sourire du pape (il y a fort à faire), boivent avec délice ses paroles - à tel point que l'on se demande comment le Saint-Esprit a pu si mal éclairer les cardinaux pour l'élection des prédécesseurs - applaudissent à tout rompre des discours qui n'apportent pas beaucoup de nouveautés mis à part les redites et les conseils catégoriques et répétitifs.
Ils interprètent sa pensée profonde (cela aussi suscite en moi beaucoup de circonspection).
L'argent est le maître du monde et lorsque l'on fait partie de cette catégorie professionnelle qui se croit investie d'un réel pouvoir, on devrait avoir la décence et la probité intellectuelle de traiter de ce pour quoi on est payé sans renier ce que l'on est et se déconsidérer ainsi en se comportant comme un pantin.
Je ne supporte pas les «béni-oui-oui», les admirateurs béats, les dévots trop affichés.
Mais tous ces contemplateurs savent-ils ce que le pape pense vraiment d'eux? Cet homme à l'intelligence aiguisée voit beaucoup de monde, entend beaucoup de propos, écoute tout, gouverne seul, un bourreau de travail qui ne s'arrête jamais; si tout cela est vrai, je pense qu'il doit se poser beaucoup de questions au sujet de ce consensus à 99% autour de sa personne. A sa place mon opinion serait faite depuis longtemps et je me méfierais. Sont-ils sensibles à ce point aux sourires de François tous ces cardinaux qui, pour certains arrivaient en luxueuses limousines pour le conclave, sont-ils prêts à réduire toutes ces possibilités offertes mais qui ont un coût? Leur pape, pour un déplacement de 20 minutes qu'il a fait dernièrement, s'est installé dans la voiture toute simple de son majordome. D'ailleurs pourquoi continuer à utiliser ce terme qui fait furieusement ancien régime depuis le 13 mars; par quoi le remplacer? chauffeur serait dévalorisant, homme de confiance (à proscrire depuis Vatileaks), pourquoi pas collaborateur à la disposition de l'Evêque de Rome qui paraît ne plus beaucoup utiliser ce titre?

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La messe du 15 août à Castel Gandolfo : j'ai jeté un coup d'oeil au début et au moment de la consécration, espérant noter des changements. Même cérémoniaire, bâton pastoral de Benoît XVI, les cardinaux Scola et Bertone comme concélébrants, pas un iota de différence dans le choix des personnalités !!! Les prières en latin, autel très dépouillé, chants classiques, connus. Il faisait une chaleur intense et j'étais heureuse que notre Benoît ne soit pas dans cette fournaise. Pendant le temps de la consécration le pape m'a paru manquer de souffle , sous l'auvent qui avait été installé la chaleur devait être étouffante. François papillonne, aucun sujet ne lui échappe, important ou banal (qui relèverait plutôt du curé de campagne que du pape), il est sur tous les fronts mais en surfant sur la popularité immense acquise grâce au ton très populaire de ses rencontres avec les fidèles. Pour le moment rien n'est approfondi. Il fait durer le suspense pour les changements si urgents, tant attendus, mais sont-ils toujours aussi espérés après cinq mois de pontificat de charme?. Il me fait penser au chat qui joue avec la souris qu'il a attrapée et qu'il achèvera au moment opportun. Je n'aimerais pas être sur un siège éjectable en ignorant quand la manette d'éjection sera actionnée; lorsque le moment du réveil arrivera il n'en sera que plus pénible.
A une trentaine de kilomètres de chez moi il y a une banlieue dite «sensible», je dirais explosive où la police et les pompiers, les service de secours sont confrontés à une zone de non-droit, des ilôts avec dealers, voitures brûlées pour le moindre prétexte car les habitants sont susceptibles!! La jeunesse est à motiver avec modération car elle a une nette propension à s'enflammer facilement. Alors quand j'entends le pape dire aux jeunes «mettez la pagaille, sortez» (25/7) cela me déplait fortement . Vous me direz que ces paroles étaient prononcées au Brésil et s'adressaient à l'Eglise latino-américaine mais avec internet elles auront parcouru la terre entière. On me rétorquera qu'il ne prêche pas la «révolution», que je n'ai rien compris mais je suis celle qui se méfie viscéralement de tout mot d'ordre car il y a toujours la possibilité que se glissent des éléments perturbateurs et que des dérapages se produisent.

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«Lourdes» , cette création a été parrainée par le diocèse de Milan qui a décidé de la diffusion dans les paroisses, c'est effarant!! Mon petit esprit ne m'a pas permis de repérer les nuances permettant de voir dans cette œuvre une ode à l'Eglise, mais au fait quel était le but recherché?
Sylvie Testud joue dans le minimalisme, les pèlerins montrent des coins de caractère qui sont à mon avis fort proches de la réalité. Quand ont été photographiées les scènes prises dans les piscines? rassurez-moi en me disant que les conditions d'accueil, de soins, d'intimité, se sont améliorées (le film date de 2009) Quelle froideur! L'infirmière qui tend la Vierge à embrasser à la jeune malade le fait avec autant de détachement que si elle lui présentait un cachet à avaler. Les hospitalières, très accortes, trop pour certaines, me font penser à des nanys anglaises promenant des rejetons de haute lignée dans un parc anglais. De quoi faire douter du bien fondé du bénévolat: en faisant du bien aux autres on se fait du bien à soi en se sentant moins égoïste, une façon de passer le temps et de voir du monde. Les commères n'ont pas été oubliées par la production. Le prêtre répète un leçon bien apprise, ne pas faire de vagues, c'est réussi. Pour décrédibiliser l'Eglise et ses actions c'est parfait même pour le choix du jour de programmation. Arte est une chaîne coutumière du fait. Je me fais l'avocat du diable en écrivant ceci. Je connais des hospitalières, des bénévoles qui sont d'un dévouement admirable, d'une présence à l'autre remarquable mais il ne faut pas oublier que dans la masse de personnes aidantes il y a avant tout des hommes et des femmes qui gardent leurs personnalités.

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Visite de François aux ouvriers du Vatican : vingt minutes pour saluer de la main certains, parler aux autres, sortir d'un atelier pour rentrer dans un autre, une visite au pas de course mais unanimement saluée comme une preuve de l'implication du pape dans tous les domaines politico-sociaux; l'adoration perpétuelle continue.

L'audience aux joueurs de football : une «récré» pour le pape et ses joueurs; pendant la photo de groupe, où était François?
Très léger ce cliché-souvenir pris dans la salle Clémentine du Vatican. Pour une fois les ors et les hauts plafonds n'ont pas été dédaignés mais ne dit-on pas que les footballeurs sont les dieux du stade? Le fauteuil blanc ignoré pour le concert n'a toujours pas pris de valeur, le pape en dispose d'une façon surprenante, c'est le moins que l'on puisse dire.

J'ai horreur de recevoir des consignes. je suis libre d'aimer, d'apprécier qui je veux sans avoir à me justifier.
Je l'ai déjà dit, je le répète : Benoît XVI reste «mon Pape». Il me manque infiniment. Je lui dois tout ce que j'ai appris et dont je continue à m'imprégner.
Je regrette la discrétion de ce Saint-Père, sa douce et ferme insistance pour conduire les fidèles, les pèlerins, les curieux, dans les chemins tortueux qui conduisent à la foi ou à une meilleure compréhension de l'Eglise. Il n'imposait rien, il voulait convaincre et parlait aux cœurs de ceux qui savaient l'écouter, qui acceptaient de se laisser guider par cet immense théologien, ce grand professeur au regard d'enfant qui avait des amphithéâtres débordant d'élèves tant ses cours étaient recherchés. Proche de ses doctorants il n'était pourtant pas le «prof copain» que l'on appelle par son prénom et que l'on tutoie. C'est très à la mode de nos jours mais je préfère passer sous silence les résultats lamentables obtenus.

Je regrette la frêle silhouette blanche qui, avançant mains croisées au niveau de la poitrine, me faisait invariablement penser à un moine se rendant au réfectoire ou à un office.
J'ai visité beaucoup de monastères et on y retrouvait ce calme, ces hommes qui n'avaient pas d'identité pour nous mais qui se ressemblaient tous un peu par leur tenue humble, imperméables à ceux qui les entouraient. Je regrette ses connaissances encyclopédiques dans tant de domaines, ses catéchèses si riches mais d'un certain niveau, ses textes travaillés, ciselés avec bien souvent une touche de poésie, tous les grands noms et les personnages clés de l'Eglise qu'il m'a fait connaître avec toujours le rapport constant à la foi. Le silence qui l'entoure me fait mal et lorsque je parle de lui j'ai parfois l'impression infiniment désagréable de faire référence à un cher disparu et cela me fait froid dans le dos. Je regrette de ne pas avoir été une meilleure élève, de n'être pas devenue charitable, de ne pas avoir comme point de mire la pauvreté, la misère du monde, d'être restée bassement humaine sans grand souci d'élévation.

Benoît XVI m'a ouvert une fenêtre sur un monde que je connaissais pas mais ce n'est pas François qui l'éclairera car sa façon d'être pape ne trouve pas d'écho en moi.
Il avance dans son pontificat, il est le Saint-Père et en fonction de cela il a le droit de gérer le gouvernement de la barque de Pierre comme il l'entend. Mais que des minus édictent leurs propres lois pour établir la ligne de conduite à adopter afin d'être religieusement correct cela me met hors de moi.
Le pape n'échappera pas au dictat des médias. Avec eux c'est donnant-donnant, rien n'est gratuit, je le pense vraiment; il n'y a qu'à voir comment ils déchirent à belles dents ceux qu'ils ont encensés et qui ont cessé de leur plaire. Les théologiens progressistes voudraient réduire François à un statut de «président d'un conseil d'administration, à un rôle purement arbitraire avec, à ses côtés un synode permanent d'évêques ayant des pouvoirs de délibération», tout un programme. Cela n'est pas nouveau mais avec la synodalité qui paraît beaucoup séduire François je crois que nous irons vers des surprises nombreuses et pas toujours appréciables. Avec les évêques français le résultat risquera d'être original pour ne pas dire plus. Du temps de Benoît XVI il était de bon ton de brocarder le pape, de s'appesantir sur le moindre incident et d'en faire une polémique, de ne lui accorder aucun crédit; le vent a tourné, on porte le pape au pinacle, «ma pourvou qué çà dura» disait paraît-il Laetitia Bonaparte.

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La dernière semaine d'août approche et les anciens élèves du professeur Ratzinger vont encore une fois se réunir à Castel Gandolfo mais sans celui qui les convoque. Je souhaite que ce groupe vienne lui rendre visite au Monastère en espérant que cela nous permettra d'avoir des nouvelles fraîches à défaut de photos.
Benoît XVI reste ma grande préoccupation, je commets ainsi une faute très grave en écrivant noir sur blanc que mon affection lui reste indéfectiblement acquise mais c'est le dernier de mes soucis. Je lui reste fidèle, non par entêtement, par opposition idiote au pape, ce n'est pas mon genre, mais parce que chez lui je trouve une personne sobre, simple, pleine d'humilité, très humaine avec un visage serein, un sourire doux, ayant de la classe, réservée avec une certaine hauteur innée certes mais qui ne la rend pas inaccessibles, des qualités intellectuelles et spirituelles incontestables, une éducation riche qui lui évite de tomber dans la banalité, la popularité. Ceci ne m'empêche pas de comprendre les foules qui acclament le pape, elles doivent certainement trouver en lui ce quelque chose qui le rend attirant et que je ne perçois pas.

Merci pour tous les documents que vous trouvez au cours de vos recherches minutieuses. Les photos sont très belles, sur la numéro 7 les deux comparses sont très souriants : lunettes sur le nez, feuille en main, sourire naturel, spontané, Benoît XVI affiche une certaine décontraction qui reste de bon goût, un instant heureux loin de la lourdeur de la fonction. Mgr Gänswein apprécie également. J'ai le calendrier allemand de 2011 et les photos qui l'illustrent parlent d'un pape simple mais non dénué de grandeur, accueillant pour qui a la grâce de l'approcher, souriant largement sous le saturno par grand soleil, dissimulant derrière ses mains jointes le sourire ému lors d'un Angélus à Bressanone, silhouette hératique plongée dans la prière en août 2008 à Bressanone, lieu où toutes les photos de vacances ont été prises.
(...)

A bientôt,
Jeannine