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La lettre de Jeannine du 5 août

L'après-Benoît XVI, les JMJ, etc.... (6/8/2013)

JMJ: un autre style

Chère Béatrice,

En lisant vos articles j'ai cru noter de votre part un certain découragement.
Je suis très pragmatique et je ne vois pas très bien comment, même les plus ratzingériens, pourraient continuer à en parler sans cesse. Un nouvel évêque de Rome a été élu il y a presque 5 mois et il ne pouvait en être autrement. Benoît XVI avait bien mesuré tout cela.
Le Pape émérite vit dans un monde qui m'échappe totalement. Aux pires moments des crises successives, la prière était son refuge et j'admirais le visage soucieux parfois mais empreint de sérénité, de douceur. Les dernières paroles publiques adressées aux cardinaux et autres rassemblés autour de lui ne masquaient pas la réalité : « Ces huit années nous avons vécu des moments radieux pour l'Eglise en marche, mais aussi des moments sombres et menaçants ...Sachez que je continuerai de vous être proche dans la prière..... », mais elles montraient bien que cet homme courbé par la fatigue et l'émotion n'entendait pas s'immiscer dans le nouveau pontificat. Plus le temps passera et plus ne restera du pape émérite que son œuvre immense qui sera entretenue, peut-être, par ceux qui ayant vécu de ses enseignements ne voudront pas qu'une telle richesse se perde.

Son œuvre est immense et qui sait si, dans l'effacement, certains ne travaillent pas déjà à sa reconnaissance mais Benoît XVI est bien vivant et la marge de manœuvre en est d'autant plus réduite. Les anti-François ne peuvent pas entrer en lutte ouverte contre lui; s'ils le faisaient ce serait aller contre la véritable pensée du Pape émérite. Benoît XVI l'a dit et répété : « La barque de Pierre n'est pas la mienne, pas la nôtre, mais celle de Dieu ». Il a fait son travail, a achevé son service, a retrouvé la vie qu'il voulait mener suivant l'aspiration de son cœur. Lorsque la fenêtre du balcon s'est refermée le 28 février sur la foule de Castel Gandolfo je crois vraiment qu'il a recommencé à vivre. Sans les applaudissements, les « viva il Papa », les textes à préparer, les rencontres plus ou moins appréciées à assumer, je pense que Benoît XVI est redevenu Joseph Ratzinger et que son cœur a été plus léger.

* * *

Les JMJ ont fait couler beaucoup d'encre mais le résultat était prévisible. François retrouvait un pays d'Amérique latine, à forte population, proche du sien par la situation géographique.
J'ignorais le mauvais état de l'Eglise catholique de ce grand pays et qu’une réelle rivalité l'opposait à l'Argentine. Il est parti évêque de Rome mais le succès rencontré, son sens de la communication, sa liberté de ton, de langage, son attaque frontale mais non approfondie de tous les sujets dans l'avion du retour, lui ont conféré ce statut de pape qu'il rejette: c'est la rançon de la gloire!
Est-ce à dire que tous lui sont acquis durablement? Je ne le crois pas. Il n'a pas de véritable plan d'action.
Les changements sont surtout visibles dans le cadre extérieur mais cela a commencé le 13 mars. Il y a quelques nominations qui laissent augurer de remaniements plus profonds mais sans pouvoir les rattacher à une idée centrale directrice. Les sujets abordés dans l'avion lors du retour vers Rome sont la preuve que le personnage mène le jeu (Dans l'avion du Pape). S'il ne veut pas répondre la formule est lapidaire. Subjugués, les médias ont bu ses paroles comme paroles d'Evangile sans se rendre peut-être compte que ce pape sensationnel leur coupait l'herbe sous le pied. François est jésuite jusqu'au fond de l’âme. Il sait où il va et veut se donner tous les moyens pour y arriver.

Quand sa sœur dit qu'il est la révolution (Les chaussures rouges et la "révolution" Bergoglio), j'aimerais avoir quelques précisions tant ce terme a laissé de sinistres souvenirs en France.
Concernant l'affaire du commissaire nommé pour les Franciscains de l'Immaculée, pourquoi avoir enfourché un cheval de bataille et dit qu'il contredisait Benoît XVI alors que c'est ce dernier lui-même qui avait lancé la visite apostolique en 2012 [1]. Il ne l'avait sûrement pas fait pour faire plaisir à un quelconque collaborateur. C'était l'occasion rêvée de pouvoir opposer François et Benoît et ainsi de montrer que rien de ce que faisait le prédécesseur n'était valable.

Que l'on aime ou pas le pape il faut lui reconnaître le droit de mener son ministère comme il l'entend, autre homme avec d'autres aspirations une sensibilité différente, une conception nouvelle de l'Eglise de l'avenir qui a besoin de se refaire une santé.
Les chiffres sont trompeurs.
A Rio c'était la fête, la fête de la foi oui mais la fête quand même. Le clergé venu en nombre entourait tous ces jeunes et dans le feu de l'animation ils avaient l'impression de refaire l'Eglise, d'être munis d'un pouvoir immense car ils se soutenaient les uns les autres. Le pape était là, proche, avec des paroles simples, percutantes, alors le doute, les problèmes s'éloignaient par miracle mais tout a une fin. Ils sont revenus dans leurs pays respectifs, ont retrouvé le climat habituel, une certaine solitude liée à leur singularité car « être chrétien, être catholique, c'est quoi? ». Facile de s'entendre marteler pendant une semaine qu'il faut ouvrir l'Eglise à tous ceux que l'on rencontre, leur faire part de la bonne nouvelle que la religion catholique veut délivrer, faire partager , aller dans les périphéries pour lutter contre les influences véhiculées par d'autres tendances, contre l'ignorance, l'indifférence, l'hostilité; au milieu de 3 millions de personnes cela peut paraître facile mais au sein d'une aumônerie , d'un lieu de travail qui ne sait pratiquement rien de vous, c'est une autre histoire. Le goût du sacrifice n'est pas donné à tout le monde. La limite entre prosélytisme et simple exposé des croyances pour tenter de les faire connaître est fragile; le dérapage guette les moins expérimentés. Tous ces conseils, ces consignes données par le pape sont conformes à un vaste programme de reconquête de l'influence perdue. S'il réussit, apparaîtra une Eglise nouvelle, très moderne, qui en laissera plus d'un déboussolé. Il est impossible de réaliser le consensus parfait; dans les aspects les plus favorables, les plus plébiscités se trouve la petite part des déçus, des insatisfaits; le miracle n'est jamais total.

Les nombreuses photos qui ont été publiées se ressemblent toutes : une marée humaine, passablement excitée, une agitation permanente, un brassage de populations venues d'horizons très divers. Sur l'une d'elles on voit sur la plage deux religieuses polonaises, pieds nus dans l'eau, au milieu des filles en string, juste avant la veillée finale du 27 juillet. Le pape François a apporté de l'air nouveau, décoiffant, qui a dû gagner la Pologne car j'ai le souvenir de religieuses polonaises qui n'avaient pas le sourire, portaient des tenues plus que strictes et paraissaient porter toute la misère du monde sur leurs épaules. François est égal à lui-même, grand sourire, toujours la même chaleur qui plaît tant aux fidèles qui en redemandent encore et encore, un vocabulaire simpliste, accessible à tous, les neurones ne seront pas fatigués, un langage direct, sans concession, coloré : « le chrétien doit avoir un visage joyeux, pas une tête de piment au vinaigre ». Il me rappelle un peu CP parlant des « pieux fétichistes catholiques qui voulaient autrefois attraper la main d'un successeur du prince des apôtres, blanc comme une hostie, quasi sorti de la naphtaline ».
Tout ce temps-là est révolu; « les fidèles, la nouvelle génération des bonnes sœurs du Troisième Monde, voile au vent, chapelet au poignet, iPad dans une main, image du pape et une fleur dans l'autre, jouent les équilibristes pour filmer le pape et twittent ensuite sur lui ». (Ce n'est pas de moi mais de Paris- Match). Je ne suis pas choquée. La foule s'est engouffrée dans la brèche ouverte par le pape. Il veut être accessible à tous, pouvoir embrasser, caresser, être au plus près de ceux qu'il vient rencontrer...
« Au Brésil les congrégations féminines sont si répandues que même l'Esprit Saint en ignore le nombre »: je me demande s'il n'y aurait pas lieu de faire du tri pour isoler ce qui est vraiment solide. Une personne que je connais bien m'a parlé, suite à un voyage au Mexique, des communautés religieuses féminines qui pratiquent la règle de l'obéissance d'une façon très large. On entre dans une communauté et on en ressort, un peu un service à la carte. Je n'ai pas abordé le respect des autres règles. Ces lieux sont très accueillants, très chaleureux mais très libres, alors!! J'ouvre une parenthèse : en 2008 je crois, le cardinal Bertone a représenté Benoît XVI dans des missions éloignées. Il avait apprécié et avait été touché d'entendre la foule crier « viva il Papa » alors que le Saint-Père était au Vatican. C'est malheureusement ce genre d'emballement populaire qui sert de base aux jugements portés par les medias sur un pontificat. Benoît XVI n'a pas renouvelé cette expérience qui, comme de bien entendu, a été fortement critiquée en accusant ledit cardinal de se prendre pour le pape et d'asseoir sa position.

Des JMJ je n'ai suivi à la télévision que les 45 dernières minutes de la messe conclusive car je voulais avoir la confirmation du pays des prochaines JMJ et vérifier ainsi que je ne m'étais pas trompée dans mon pronostic. Le décor et les habits des membres des chorales étaient, pour moi, à forte connotation évangéliste : tenues amples, longues, encolure ronde avec grande collerette blanche. La liturgie de cette fin de messe était bien loin de celle du Vatican, qu'en pensait Mgr Guido Marini ? Applaudissements en cours de célébration, chants omniprésents avec de belles voix certes mais une musique simple, je ne comprenais pas les paroles mais la ligne mélodique était agréable, pour une messe ? Mais je suis de la vieille école. J'ai remarqué le groupe folklorique qui dansait pendant que le pape récitait l'Angélus. Cela m'a paru un peu spécial mais si c'est ce qui plaît! J'ai le souvenir impérissable d'une messe du Renouveau Charismatique suivie en 1982 dans ma paroisse. Je me suis retrouvée dans une assemblée de dérangés gesticulant, applaudissant debout puis se prosternant avec autant de conviction, se confessant à haute et intelligible voix devant les personnes présentes, bref, pour moi, un moment hors du temps dans lequel je m'étais sentie perdue, étrangère. Le curé qui m'avait envoyée pour connaître mon avis n'avait pas été déçu car il avait prévu ma réaction négative de totale incompréhension. Mgr Piero Marini a dû jubiler mais on était bien en deçà des nouveautés introduites par lui au motif de l'inculturation sous le pontificat de Jean-Paul II. Il faut plaire à tout prix, donner aux gens ce qu'ils espèrent pour les attirer, c'est un vaste programme mais de concession en concession où s'arrêtera-t-on? J'ai relevé que dès l'annonce faite des JMJ en 2016 à Cracovie, la Pologne a commencé à rameuter les troupes pour que « Cracovie devienne de nouveau la ville et le pays de la jeunesse ». Le cardinal Dziwisz peut dormir tranquille, il a obtenu ce qu'il voulait.

Les idées de base du pontificat sont connues et François les reprend à l'envi au long de toutes ses prises de parole : pauvreté, foi, miséricorde. Le style est plat et les répétitions engendrent une certaine monotonie. Je crains que la miséricorde évangélique ne soit pas tout à fait celle envisagée par les fidèles, il y a beaucoup de travail à faire.

Les nominations sont annoncées au fur et à mesure de leurs signatures, avec des précisions permettant de situer le personnage et de circonscrire d'éventuelles polémiques. Si Benoît XVI avait été traité avec autant de bienveillance, son pontificat aurait été bien moins perturbé. Le pape ne ménage personne, c'est dans son caractère mais avec des mains serrées chaleureusement, des sourires radieux, des accolades fréquentes et amples, tout passe. Il a une capacité de résistance à la fatigue remarquable. Il ne fait confiance à personne (il a raison) et veut que tout avance vite. A son âge le temps est son principal ennemi, celui contre lequel on ne peut rien. Le Vatican lui pèse, il n'est qu'au début de son ministère et les sujets qui fâchent ou sont sensibles n'ont été qu'effleurés ou écartés par une réponse sans réplique. Cet homme n'est pas humble, d'ailleurs il a demandé que l'on prie pour lui afin qu'il le devienne. Il est parfaitement conscient de son pouvoir sur les foules et il s'en sert. Je ne le verrais pas terminer son pontificat comme Jean-Paul II, confié à d'autres mains, à d'autres volontés que la sienne; je souhaite de tout cœur que cela ne lui arrive pas.

La véritable humilité c'est celle de Benoît XVI qui va jusqu'à l'effacement.
Benoît XVI reste fidèle à ce qu'il a promis d'être, son secrétaire a disparu aussi. Je regrette les Angélus à Castel Gandolfo même si souvent je trouvais que c'était la foire tant la cour était animée, bruyante, chaleureuse. Il y avait le sourire de Benoît, ses bras grands ouverts pour accueillir tous les présents, la silhouette blanche penchée au balcon pour regarder ceux qui étaient presque à portée de main, au rez-de-chaussée. Fin août les anciens du Professeur Ratzinger vont se retrouver à la villa pontificale mais le pape émérite a refusé de se joindre eux. J'espère que ce groupe ira le voir au monastère et pourra nous donner des nouvelles fraîches, ce serait magnifique. Dernière les murs restaurés je souhaite vivement que tout ait été prévu pour lui permettre de ne pas trop souffrir de la chaleur. Avec la fraîcheur relative du soir peut-être profite-t-il de son jardin?

Je vais arrêter cette lettre. Je raisonne le plus logiquement possible et voilà la grande différence avec notre Benoît. Avec lui tout était clair, je l'aurais aimé plus incisif mais je savais que c'était un vœu pieux. Je décortiquais son personnage pour le défendre, pour mieux le connaître et c'était mon immense affection qui transparaissait dans mes lignes.

Mon amie Sœur Vittoria est partie en vacances et elle a emporté comme livre de lecture « Mon frère le Pape » de Georg Ratzinger tant la façon dont je lui ai parlé de Benoît XVI lui a donné envie d'apprendre à le connaître. Elle m'a souvent dit que j'étais sa meilleure vaticaniste tant mes propos émaillés de références lorsqu'ils étaient empruntés à d'autres sources étaient pleins d’affection, dépourvus de parti pris, étayés par des lectures.

Jeannine

Note

(1) L’information est semble-t-il issue de Tornielli, qui tient beaucoup à la défense de François. Mais elle est fausse, et les franciscains concernés ont fait eux-mêmes une mise au point sur leur site, réfutant les affirmations du vaticaniste-vedette du site Vatican Insider. (www.immacolata.com/index.php/it/35-apostolato/fi-news/231-risposta-vatican-insider-2 ):

Le même article de Tornielli attribue la décision d’envoyer une visite apostolique à Benoît XVI. Ce n’est pas exact: ce fut en revanche une décision de la Congrégation pour les instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de vie Apostolique.
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On pourra certes dire que c’est pareil, vu que c'est une décision prise Benoît XVI régnant. Mais si la Curie avait soutenu Benoît XVI, et lui avait obéi durant son Pontificat, cela se saurait !!