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Le card. Bergoglio et le mariage gay

Extrait du livre d'entretiens (2010) avec le rabbin Skorka, "Sur la terre comme au ciel". Des propos mesurés... (22/5/2013)

Pour répondre enfin, et directement, à la question: que pense le Pape François du mariage entre personnes du même sexe?

Passant hier dans une librairie, j'ai feuilleté le livre, et je l'ai acheté: par rapport aux biographies de circonstance, en général hagiographiques (dans le cas de François, certes pas de Benoît XVI il y a 8 ans!!) qui fleurissent au lendemain de l'élection et sont destinées à un oubli rapide, celui-ci a la saveur d'un véritable témoignage "brut de coffre", où le protaganiste n'occupe pas encore son haut Ministère, et donc parle sans arrière-pensée et sans langue de bois.
Je ne me permets pas de commenter... laissant chacun se faire son opinion.

Il convient de le rappeler: le cardinal n'est pas le Pape. Sa position, telle qu'elle apparaît ici, est clairement plus pragmatique et plus prudente que celle de Benoît XVI.
Un exemple parmi mille, au-delà du fameux discours de 2012 à la Curie romaine (benoit-et-moi.fr/2012(III)/la-voix-du-pape/voeux-a-la-curie-pour-la-famille), recevant le 8 septembre 2006 les évêques de l'Ontario en visite ad limina, et alors que le Canada venait de légaliser le mariage gay, celui-ci leur disait:

«Au nom de la "tolérance", votre pays a dû endurer la folie (le terme utilisé dans le texte original en anglais sur le site du Vatican est 'folly', et traduit ainsi dans les différentes langues, sauf en français où il est édulcoré... significativement, en 'absurdité') de la redéfinition du terme de "conjoint" et au nom de la "liberté de choix", il doit faire face à l'élimination quotidienne d'enfants à naître. Lorsque le projet divin du Créateur est ignoré, la vérité de la nature humaine se perd».

>>> Image ci-dessous, illustration d'un article intéressant: La Croix, 15 mai 2013.

     

Présentation de l'éditeur

Le premier livre pour comprendre les grands axes de la pensée du nouveau chef de l'Église catholique.
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Sur la terre comme au ciel, conversation entre le pape François, alors qu'il était encore le cardinal Jorge Mario Bergoglio, et le rabbin Abraham Skorka, est certainement la meilleure façon de connaître le nouveau pontife.
Dans ce passionnant dialogue placé sous le signe de l'humilité, de la simplicité et de l'ouverture, le pape et son interlocuteur abordent tous les grands thèmes spirituels, sociétaux, philosophiques et moraux. Ces deux importantes figures religieuses débattent ici de sujets tels que Dieu, le Diable, le fondamentalisme, l'athéisme, la mort, la Shoah, mais aussi de sujets profondément d'actualité comme l'homosexualité, l'avortement, l'euthanasie, le capitalisme, l'argent, la mondialisation...


Abraham Skorka (*) est né le 5 juillet 1950 à Buenos Aires. Docteur en chimie, il enseigne la littérature biblique et rabbinique au Séminaire latino-américain de Buenos Aires, dont il occupe également le rectorat. Il est le rabbin de la communauté juive Benei Tikva.

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(*) Dans un article publié le 7 avril dernier sur La Bussola, Massimo Introvigne écrivait:
Le rabbin appartient au judaïsme «conservateur», un groupe qui - nonobstant son nom - est beaucoup plus libéral que le judaïsme orthodoxe, au point qu'en Israël - où il constitue une minorité infime, à la différence de ce qui se passe aux Etats-Unis et en Argentine - on discute depuis des années pour savoir s'il faut le reconnaître comme «vraiment» juif.

     
À propos du mariage entre personnes de même sexe

pages 121-128.
J'ai dû reproduire aussi les répliques du rabbin, car elles mettent en perspective la pensée du nouveau Pape
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ABRAHAM SKORKA : Le traitement de la question du mariage homosexuel a été, à mon sens, défaillant au regard de l'analyse approfondie que le sujet réclame.
De fait, beaucoup de couples de même sexe vivent déjà ensemble et méritent une solution légale sur des questions telles que la retraite, l'héritage etc. - qui pourrait prendre corps dans une nouvelle figure juridique -, mais considérer que le couple homosexuel est identique au couple hétérosexuel, c'est autre chose. Ce n'est pas seulement une question de croyance, il faut comprendre que l'on touche à l'un des éléments les plus importants de notre culture. Il aurait fallu bien plus d'analyses et d'études anthropologiques sur la question. Et il aurait aussi fallu laisser beaucoup plus de place aux confessions, en tant que porteuses et formatrices de culture, pour qu'elles puissent faire valoir leur point de vue. Il aurait fallu organiser des débats en leur sein même, entre leurs multiples tendances, pour aboutir à un spectre complet d'opinions.

JORGE BERGOGLIO : La religion a le droit de donner son avis dans la mesure où elle est au service des gens. Si quelqu'un me demande conseil, je suis en droit de lui en donner. Le ministre religieux attire parfois l'attention sur certains points de la vie privée ou publique parce qu'il est le guide de la paroisse. Ce qu'il n'a pas le droit de faire, c'est exercer une contrainte sur la vie privée de qui que ce soit. Si Dieu, dans sa création, a pris le risque de nous rendre libres, de quel droit pourrais-je intervenir? Nous condamnons le harcèlement spirituel, qui survient quand un ministre impose des directives, des comportements, des exigences qui privent autrui de sa liberté. Dieu a été jusqu'à laisser entre nos mains la liberté de pécher. Il faut parler très clairement des valeurs, des limites, des commandements, mais le harcèlement spirituel, par les prêtres, doit être banni.

AS : Le judaïsme comporte divers courants. Les plus pratiquants ont tendance à tout réglementer. Ils imposent un mode de vie à leurs fidèles. Le chef de la communauté dit «C'est comme ça», et il n'y a pas de discussion possible, et ce faisant il s'immisce dans la vie privée des gens. Dans les autres courants, en revanche, le rabbin doit s'en tenir strictement à un rôle non intrusif, d'enseignement. Pour ma part, j'explique : « La loi dit ceci, tâche de suivre la voie conforme à la tradition», mais c'est tout. Le Talmud s'interroge sur le fait de savoir s'il convient d'imposer les bonnes règles ou seulement de les induire.
Selon moi, il faut suggérer, pas envahir, en donnant à voir une certaine attitude : le père qui agit avec correction est un modèle pour le fils, c'est paradoxalement une forme d'obligation aussi, mais à travers l'enseignement, pas la coercition ni l'intrusion. Pour revenir au sujet, la loi juive proscrit les relations entre hommes. Ce que dit strictement la Bible, c'est que les hommes ne doivent pas entretenir entre eux des relations du type de celles qu'ils entretiennent avec les femmes. À partir de là, on déduit une position. L'idéal de l'être humain, depuis la Genèse, consiste à unir un homme et une femme. La loi juive est claire : il ne peut y avoir d'homosexualité. D'un autre côté, je respecte tout individu dès lors qu'il fait preuve de pudeur et du respect de l'intimité. Pour ce qui est de la nouvelle loi (1), elle ne me convainc pas totalement d'un point de vue anthropologique. En relisant ce qu'ont écrit Freud et Lévi-Strauss au sujet des éléments constitutifs de la culture, surtout l'importance de l'interdit de l'inceste et l'éthique sexuelle, en tant que noumène (ndt: Chez Kant, désigne la chose en soi, par opposition à phénomène, qui désigne l’objet tel qu’il nous apparaît en passant par notre esprit) du processus de la civilisation, je m'inquiète des fruits que risquent de produire ces changements au sein de notre société.

JB : Je pense exactement comme vous. Je parlerais à ce sujet de « recul anthropologique », parce que l'on fragilise une institution millénaire qui s'est forgée en accord avec la nature et la culture. Il y a cinquante ans, le concubinage était moins courant qu'aujourd'hui. Le terme était même très nettement péjoratif. Puis cela a changé. Aujourd'hui, le fait de vivre ensemble avant de s'être marié, même si la religion le réprouve, ne comporte plus de connotation sociale péjorative, comme il y a cinquante ans. C'est un fait sociologique, incontestablement dépourvu de la grandeur du mariage, lequel est une valeur millénaire méritant d'être défendue. C'est ce qui nous incite à donner l'alerte sur la possibilité de sa dévalorisation, et sur le fait qu'avant de modifier une jurisprudence, il faut beaucoup réfléchir à ce qui est mis en jeu. Ce que vous venez de souligner compte aussi beaucoup à nos yeux, le fondement du droit naturel qui apparaît dans la Bible, laquelle parle de l'union de l'homme et de la femme. Les homosexuels ont toujours existé. On connaît l'île de Lesbos, où vivaient des femmes homosexuelles. Mais jamais dans l'histoire on n'a cherché à leur donner le même statut qu'au couple hétérosexuel. C'était toléré ou non, c'était un sujet d'admiration ou non, mais ce n'était jamais la même chose que le mariage. On sait que le phénomène de l'homosexualité s'intensifie lors des changements d'époque. Mais la nôtre est la première où l'on se pose la question de son assimilation juridique au mariage, et cela m'apparaît comme une inversion des valeurs, un recul anthropologique. Je le dis parce que cela dépasse la question religieuse, on est dans l'anthropologie. S'il y a union de type privé, aucun tiers n'est affecté, pas plus que la société. Mais si on accorde le statut matrimonial et le droit d'adoption, des enfants pourraient en être affectés. Tout individu a besoin d'un père masculin et d'une mère féminine qui l'aident à déterminer son identité.

AS : J'ai trouvé qu'on avait fait ce qu'il fallait sous la présidence d'Alfonsfin (2), quand on a modifié la loi pour séparer mariage civil et mariage religieux. Auparavant, pour prononcer le mariage d'un couple, nous devions avoir sous les yeux son livret de mariage civil. Cette union du civil et du religieux ne me paraissait pas souhaitable dans une société démocratique. Je préfère que ces deux mondes ne soient pas mélangés. Toutefois, pour les lois qui touchent à des questions humaines aussi sensibles, le dialogue avec les différentes confessions doit être plus intense, plus profond qu'il ne l'a été.

JB : J'insiste sur le fait que notre position sur le mariage entre personnes de même sexe n'est pas fondée sur la religion, mais l'anthropologie. Quand Mauricio Macri, le chef du gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires (3), a choisi de ne pas faire appel de la décision d'une juge de première instance autorisant le mariage, j'ai senti que je devais m'exprimer, pour donner une orientation, je me suis senti obligé de donner mon avis. C'était la première fois en dix-huit ans d'exercice de la fonction d'évêque que je montrais du doigt un fonctionnaire. Si vous analysez mes déclarations d'alors, je n'ai jamais parlé des homosexuels ni fait la moindre allusion péjorative à leur endroit. Ma première déclaration disait que la sentence de la juge était préoccupante parce qu'elle montrait un certain détachement à l'égard de la loi, étant donné qu'un magistrat de première instance ne peut toucher au Code civil. Ensuite, je m'étonnais qu'un chef de gouvernement, garant de la légalité, interdise de faire appel de cette décision. Macri m'a dit que cela correspondait à ses convictions ; moi, je les respecte, mais un chef de gouvernement ne doit pas laisser ses propres convictions interférer avec la loi. Je n'ai jamais parlé des homosexuels en termes péjoratifs, mon intervention ne concernait qu'une question légale.

AS : Dans une démocratie, tout doit se résoudre par la voie légale, par l'intermédiaire d'un débat sincère, profond et respectueux. Dans ses arguments, chaque partie doit rechercher les éléments d'accord avec l'adversaire, pour atteindre une synthèse issue de concessions mutuelles. Certains, dans le débat qui a précédé l'approbation de la loi, ont invoqué la «loi naturelle » qui présuppose que la nature possède en elle-même une règle censée régir le comportement humain, l'argument suivant consistant à considérer que Dieu a lui-même implanté ce message dans Sa Création. Mais une personne homosexuelle pourrait légitimement dire que Dieu ou la nature l'ont fait tel qu'elle est. On a dit par ailleurs que l'amour des homosexuels est multiple, puisqu'ils connaissent l'amour du féminin et du masculin, même si cela ne signifie pas que ce soit l'état au sein duquel se développent les familles. Chacun connaît le rôle que jouent dans la croissance des enfants la figure masculine et la figure féminine, et les problèmes qui se présentent lorsque ces figures sont conflictuelles.

JB : On entend souvent dire qu'un enfant sera mieux élevé par un couple de personnes du même sexe que dans un hospice ou un orphelinat. Aucune de ces situations n'est idéale. Le problème, c'est que l'État ne fait pas ce qu'il devrait. Il faut voir la situation que connaissent les enfants dans certains orphelinats, où leur éducation est le dernier des soucis. Il faut que des ONG, des églises, d'autres types d'organisations les prennent en charge. Il faudrait aussi assouplir les démarches de l'adoption, qui sont interminables, pour que ces enfants trouvent un foyer. Mais ce manquement de l'État ne doit pas justifier un autre manquement. Il faut aborder la question de fond. Plus qu'une loi sur le mariage permettant l'adoption aux couples de personnes du même sexe, il faut améliorer les lois sur l'adoption, qui sont beaucoup trop bureaucratiques et qui, dans les dispositions actuelles, favorisent la corruption.

AS: En effet, il faut améliorer la loi sur l'adoption. L'adoption d'un enfant, selon les sages du Talmud, est un précepte de premier plan. Il faut que la législation aspire à davantage de rapidité et d'efficacité dans le processus. Pour revenir au mariage, il comporte une dimension que nous ne pouvons ignorer dans notre analyse, aussi évidente soit-elle, c'est celle de l'amour. Ce n'est pas un hasard si la Bible recourt à l'image des amoureux pour définir le dernier pas dans la quête de Dieu. Un rationaliste de la trempe de Maïmonide, un aristotélicien du Xle siècle, définissait l'amour entre Dieu et l'homme en des termes similaires à celui qui unit un homme et une femme. L'homosexuel aime une personne qu'il connaît, un semblable. Connaître un homme est facile quand on est soi-même homme. Connaître une femme constitue un tout autre défi pour l'homme, il faut la déchiffrer. Un homme peut parfaitement savoir ce qu'éprouve un autre homme, une femme sait ce qu'il se passe dans le corps et dans l'esprit d'une autre femme. Découvrir l'autre, en revanche, c'est tout un défi.

JB : Se déchiffrer mutuellement, comme vous le dites, fait partie de la grande aventure. J'ai connu un curé qui disait que Dieu nous a faits homme et femme pour que nous nous aimions et nous rapprochions. Lors du prêche du mariage, je dis généralement au fiancé qu'il doit rendre sa fiancée plus femme, et à cette dernière qu'elle doit rendre son fiancé plus homme.


Notes de traduction
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(1) Le 15 juillet 2010, l'Argentine est devenue le premier pays d'Amérique latine à autoriser le mariage entre personnes de même sexe, à travers la loi dite du « mariage égalitaire ».

(2) Raul Alfonsfin a été le premier président après la dictature, de 1983 à 1989.

(3) La ville de Buenos Aires possède le statut administratif de district fédéral, avec un parlement, un gouvernement et ses ministères. Le chef de ce gouvernement possède des pouvoirs plus étendus que ceux de nos maires.