Accueil | D'un Pape à l'autre | Retour au Vatican | Collages de Gloria | The hidden agenda | Lumen Fidei | Lampedusa | Benoît et les jeunes

Le Pape à Lampedusa: un geste très politique

John Allen commente: deux jours après la sortie de sa première encyclique, la visite de François à Lampedusa "représente en réalité le plus fort moment d'enseignement de son jeune pontificat" (4/7/2013).

>>> Voir aussi:
¤
Le Pape à Lampedusa
¤
La barque de François

Bien entendu, ce qui est dit ici n'est que la perception des medias laïcs, dont John Allen est en quelque sorte le porte-parole. Cela ne présage en rien des propos que tiendra le Pape, qui vient avant tout apporter sa compassion à des malheureux. Mais sa tâche sera délicate, d'autant plus que la Présidente de la Chambre italienne, Laura Boldrini, (SEL: Gauche-Ecologie-Liberté) a déjà "récupéré" sa démarche, en disant que "la visite du Pape à Lampedusa est une claque à l'égoïsme" (lire son interviewe ici: vaticaninsider.lastampa.it) [1]

     

Au programme de François, une spectaculaire sortie pro-immigration
John L. Allen Jr.
2 juillet 2013
http://ncronline.org
----

Pour les Européens, surtout les Italiens, l'île de Lampedusa au sud de la Méditerranée est devenue ce que les déserts le long de la frontière mexicaine / États-Unis ont longtemps été pour les Américains - la scène de tragédies humanitaires épouvantables quand des immigrants désespérés tentent de parvenir à une meilleure vie, ainsi qu'une métaphore des tensions politiques et culturelles sur la politique d'immigration.
Le fait que le pape François ait choisi Lampedusa pour sa première visite en dehors de Rome, lundi, est donc tout sauf un hasard.
Pour avoir une idée de son impact, imaginez un président nouvellement élu des Etats-Unis annonçant que son premier voyage hors de Wahington DC serait à la frontière, pour voir par lui-même, où les gens sont morts et embrasser des détenus dans un centre de l'ICE (ndt: Immigration and Customs Enforcement, agence fédérale de police aux frontières des États-Unis). Ce serait considéré comme une manière audacieuse de proclamer que la compassion sera une caractéristique de la nouvelle administration. C'est exactement ainsi que les Italiens et les Européens en général, réagissent à sortie prévue de François (ndt: en réalité, je n'ai pas vu beaucoup de réactions pour le moment).

Voyageant sans la pompe habituelle, François doit arriver lundi matin pour embrasser les immigrants qui ont réussi à atteindre Lampedusa, principalement d'Afrique et du Moyen-Orient, et pour pleurer ceux qui sont morts en cours de route. Le Vatican a annoncé le voyage juste une semaine à l'avance, ce qui suggère que c'est une décision très personnelle.

La visite a une dimension interreligieuse, étant donné qu'une grande partie de ceux qui se retrouvent sur l'île sont musulmans. Elle a également une signification politique évidente, y compris pour les États-Unis où les évêques catholiques mènent la charge pour la réforme de l'immigration.

Faisant partie de la province italienne de Sicile, Lampedusa est traditionnellement connue pour ses bonnes pêches et ses magnifiques plages. Au cours de la dernière décennie, toutefois, elle est devenue un principal point d'arrivée des migrants qui tentent de traverser la Méditerranée vers l'Europe. Ils partent souvent dans des bateaux surpeuplés et dangereux, et il y a beaucoup de noyades durant la traversée.
La Communauté de Sant'Egidio, mouvement catholique qui défend les droits des immigrés, estime que 19.000 personnes sont mortes de cette façon entre 1998 et aujourd'hui.
Plus récemment, huit personnes se sont noyées à la mi-Juin, après qu'une petite embarcation conçue pour une douzaine de personnes, mais en réalité en transportant plus de cent, ait chaviré. Les survivants ont dit qu'ils s'étaient accrochés à un filet de thon géant traîné derrière un bateau de pêche tunisien à proximité, et l'équipage a coupé le filet lorsque certains des migrants ont tenté de monter à bord.
Finalement, la Garde côtière italienne est arrivée et a emmené les survivants à Lampedusa.
Un communiqué du Vatican a dit que François était «profondément touché» par le naufrage, parlant du «dernier d'une série de tragédies analogues». Il a dit que le pape entend «prier pour ceux qui ont perdu leur vie en mer, visiter les survivants et les réfugiés présents, afin d'encourager les résidents de l'île, et faire appel à la responsabilité de chacun pour prendre soin de ces frères et sœurs dans le besoin extrême ».

Quand François arrivera, il montera à bord d'un des navires de la Garde côtière utilisés pour secourir les migrants et ira en mer, jetant une couronne dans l'eau en mémoire de ceux qui sont morts. Il Il retournera ensuite au quai pour rencontrer des réfugiés avant de dire la messe dans un centre sportif et de visiter la paroisse locale.
Ostensiblement, François a demandé que les seules autorités présentes soient locales - pas de VIP de la scène politique italienne et aucun cortège de princes de l'Église.
Écrivant mardi dans La Repubblica, le vaticaniste Paolo Rodari a rapporté que le voyage n'a pas été discuté au préalable avec la Secrétairerie d'Etat, «gardien» normal du pape, dont les fonctionnaires auraient probablement voulu méditer sur les retombées politiques et diplomatiques d'une telle expédition avant de donner le feu vert.

Le Père Stefano Nastasi, curé de la paroisse locale, est celui qui a initialement invité François à venir peu après son élection, rappelant au nouveau pape que, lui aussi, est un «enfant de l'immigration».
«Les larmes qui marquent les visages des personnes secourues de la mer parlent de soleil et de sel, de frissons de froid et de faim» a écrit Nastasi au pape en Mars. «Je me plais à penser que les larmes de vos yeux, qui coulaient au moment de votre élection, pourraient rencontrer les larmes de chaque homme et chaque femme souffrant dans tous les coins du monde».

Bien que François rendra publique sa première encyclique vendredi, on pourrait dire que sa rapide visite, 48 heures plus tard, représente en réalité le plus fort moment d'enseignement de son jeune pontificat.

Espérons que l'encyclique ne sera pas totalement occultée.

* * *

Note
---
[1] J'en ai parlé hier, mais le moment est venu de rappeler clairement ce que répondait le cardinal Ratzinger le 28 mars 1997 à un journaliste du Corriere della sera, alors que le naufrage d'un navire de boat people albanais en collision avec une vedette militaire italienne faisait 87 morts.
Contrairement aux belles âmes des médias, et du monde politique, il ne lançait pas d'anathèmes.

- Pour en revenir à la résurgence de l'égoïsme ...

" Ce sont des phénomènes très humains. Je me souviens en Allemagne après la guerre, quand sont arrivés des millions d'Allemands expulsés de l'Est. Ils étaient Allemands comme nous, il était normal de les accepter. Cependant, l'hospitalité, dans les premiers jours, n'était pas si généreuse. Et ils ont souffert, en voyant ces cœurs endurcis. D'un autre côté, nos gens disaient, nous sommes déjà si pauvres ...".

- Mais alors, vous aviez faim, nous pas.

" C'est vrai. Mais la fièvre est la même. Comme je l'ai dit, il est très naturel d'avoir comme première réaction la défense de la normalité de sa propre vie. Il faut de la patience. C'est un défi important pour l'Église d'éduquer les gens à ouvrir leurs cœurs".

(http://benoit-et-moi.fr/2011-II/0455009ed20de650f/0455009ed40c87f01.html )