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Le pape des pauvres

Massimo Introvigne commente le premier discours du Pape François à des ambassadeurs (19/5/2013, mise à jour)

Soit les medias ne le lisent pas, soit ils ont décidé de ne pas parler de ce qui pourrait rompre la "lune de miel", soit l'avis du Pape sur les problèmes économiques n'a pas d'importance, soit...?
Il y a de quoi perdre son latin, en lisant les propos radicaux qu'a tenus François dans son premier discours (très fort, et même tonitruant) aux ambassadeurs de quatre pays - Kirghizistan, Antigua-et-Barbuda, Luxembourg et Botswana - le 16 mai, et l'inertie, sinon l'approbation, des médias.

Massimo Introvigne commente ici le discours.
On y trouve certes des échos de Caritas in Veritate, mais en des termes plus tranchants.
Décidément, le seul domaine où le Pape dérange, c'est celui qui n'a pas encore été abordé de front - alors même que la maison brûle.
Il est difficile de ne pas être d'accord avec François ici! Mais dans une opposition au système - curieusement - permise, ou au moins tolérée.
Une indulgence qui réduit à néant certaines interprétations sur l'impopularité de Benoît XVI.

     

Le rejet de Dieu et de l'homme à la base de la technocratie
Massimo Introvigne
17.05.2013
http://www.lanuovabq.it

Saisissant l'occasion de la présentation des lettres de créance des ambassadeurs de quatre pays - Kirghizistan, Antigua-et-Barbuda, Luxembourg et Botswana - le 16 mai, le Pape François a reproposé un enseignement fondamental du vaste Magistère que Benoît XVI avait consacré à la crise économique internationale en cours depuis 2008.
Les racines de cette crise, a répété le Pontife, ne sont pas seulement économiques, mais anthropologiques et se trouvent dans le rejet de la notion de bien commun et, finalement, le rejet de Dieu qui a inspiré l'idéologie dominante des pouvoirs forts contemporains, que le pape Ratzinger appelait la technocratie.

«L'humanité - a dit le Pape François - est en train de vivre un tournant de son histoire». S'il y a sans aucun doute un progrès technologique, utile à l'homme dans de nombreux domaines, «il faut aussi reconnaître que la plupart des hommes et des femmes de notre temps continuent à vivre dans un quotidien précaire avec des conséquences désastreuses».
Le tableau peint par le Pape n'a rien de rassurant: «Certaines maladies augmentent, avec leurs conséquences psychologiques, la peur et le désespoir s'emparent du cœur de beaucoup de gens, même dans les pays dits riches, et la joie de vivre diminue; l'indécence et la violence sont en augmentation, la pauvreté devient plus apparente. On doit lutter pour vivre, et souvent pour vivre d'une façon qui n'est pas digne».

Quelles sont les causes de la crise? Tout d'abord, répond le Pape François, nous devons regarder avec un sérieux examen de conscience «la relation que nous entretenons avec l'argent, acceptant sa domination sur nous et notre société». Il semblerait donc que le problème soit avant tout de nature économique. Mais, tout comme il a déjà enseigné Benoît XVI, ce n'est pas le cas. Aujourd'hui, «la crise financière que nous traversons nous fait oublier son origine première, située dans une crise anthropologique profonde. Dans la négation de la primauté de l'homme! Nous avons créé de nouvelles idoles. Le culte du veau d'or antique (cf. Ex 32,15 à 34) a trouvé une nouvelle et impitoyable image dans le fétichisme de l'argent et dans la dictature de l'économie sans objet ni visage véritablement humain».
Nous sommes confrontés à la «difformité» de la finance et de l'économie, dont la racine est «surtout la grave carence de leur perspective anthropologique, réduisant l'homme à une seule de ses exigences: la consommation».
La consommation est une authentique dimension de l'économie, qui ne doit pas être diabolisés. La déformation naît lorsque «l'être humain est lui-même considéré comme un produit de consommation que l'on peut utiliser et ensuite jeter. Nous avons commencé cette culture du déchet», que dénonçait il y a des années le Cardinal Bergoglio à Buenos Aires citant l'exemple d'une «euthanasie silencieuse» pratiquée dans les hôpitaux, sans trop de dire, au détriment des patients sans famille - ou avec des parents complices - que l'on laissait mourir dans les couloirs.

La «solidarité, qui est le trésor des pauvres , est souvent considérée comme contre-productive, contraire à la rationalité économique et financière».
Le résultat paradoxal de la crise, qui permet à seulement quelques ultra-riches de s'enrichir encore plus, tandis que les classes moyennes et celles plus défavorisés s'apauvrissent tous les jours, «dérive d''idéologies qui promeuvent l'autonomie absolue des marchés et la spéculation financière», «une nouvelle tyrannie invisible, parfois virtuelle, qui impose unilatéralement et seans recours possible ses lois et ses règles».

On reconnaît la critique de la technocratie de Benoît XVI : un système dominé par une économie virtuelle, fausse, où «l'endettement et le crédit éloignent les pays de leur économie réelle et les citoyens de leur pouvoir d'achat réel». Et même «une corruption tentaculaire et une évasion fiscale égoïste» et «un désir de pouvoir et de possession [qui] est devenu illimitée» apporte sa contribution.

Mais - attention - il ne s'agit pas seulement de manque de solidarité, de sens civisme , de respect des règle qui devraient maintenir la finances sous contrôle. Le problème, dit le Pape, est beaucoup plus radical et regarde «le refus de l'éthique» et «le refus de Dieu».

Tout d'abord, le refus de la loi naturelle: «tout comme la solidarité, l'éthique dérange! Elle est considérée comme contre-productive: comme trop humaine, car elle relativise l'argent et le pouvoir; comme une menace, car elle rejette la manipulation et la soumission de la personne». Mais ce n'est même pas le rejet de l'éthique naturelle - c'est-à-dire de «l'éthique non idéologiques - qui est la dimension ultime de la crise. En réalité, «l'éthique mène à Dieu», et c'est Dieu que les pouvoirs forts de la technocratie refusent.
«Dieu est considéré par ces financiers, économistes et politiciens, comme ingérable, Dieu n'est pas gérable, il est même dangereux car il appelle l'homme à sa pleine réalisation et à l'indépendance de toute forme d'esclavage».

Bien sûr, face à la très grave crise économique internationale, «il serait souhaitable de faire une réforme financière qui soit éthique et produise à son tour une réforme économique salutaire pour tous. Cela nécessiterait toutefois un corageux changement d'attitude des dirigeants politiques».
Mais pour qu'ait lieu ce «retour de l'éthique», la politique et l'économie devraient se convaincre que «le bien commun ne devrait pas être un simple ajout, un simple modèle conceptuel de qualité inférieure placé dans l'agenda politique», mais le but et la portée de l'action des institutions qui régissent l'économie, et des gouvernements. Et si ceux-ci maintiennent leur refus de «se tourner vers Dieu pour inspirer leurs desseins», alors «la dichotomie absolue entre la sphère économique et la sphère sociale» continuera à générer des crises de plus en plus graves.

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Discours de François: www.vatican.va...apa-francesco_20130516_nuovi-ambasciatori

Caritas in veritate: www.vatican.va...benedict_xvi/encyclicals..ben-xvi_enc_20090629_caritas-in-veritate

Mise à jour

Merci à Salvatore Izzo (via Raffa) de rappeler que le discours de François doit en fait beaucoup à celui de Benoît XVI à Westminter hall, le 17 septembre 2010:

L’inaptitude des solutions pragmatiques, à court-terme, devant les problèmes sociaux et éthiques complexes a été amplement démontrée par la récente crise financière mondiale. Il existe un large consensus pour reconnaître que le manque d’un solide fondement éthique de l’activité économique a contribué aux graves difficultés qui éprouvent des millions de personnes à travers le monde entier. De même que « toute décision économique a une conséquence de caractère moral » (Caritas in veritate, 37), ainsi, dans le domaine politique, la dimension éthique a des conséquences de longue portée qu’aucun gouvernement ne peut se permettre d’ignorer.
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Là où des vies humaines sont en jeu, le temps est toujours court : toutefois le monde a été témoin des immenses ressources que les gouvernements peuvent mettre à disposition lorsqu’il s’agit de venir au secours d’institutions financières retenues comme « trop importantes pour être vouées à l’échec ». Il ne peut être mis en doute que le développement humain intégral des peuples du monde n’est pas moins important : voilà bien une entreprise qui mérite l’attention du monde, et qui est véritablement « trop importante pour être vouée à l’échec ».


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