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Le Pape François, plus pasteur que liturgiste

Article sur le National Catholic Register. Un beau portrait du Pape, par le traducteur en anglais du livre d'entretien du cardinal Bergoglio avec le Rabbin Skorka... pour rassurer ceux qui craignent l'abandon de la réforme liturgique patiemment introduite par Benoit XVI (12/5/2013).

Article en anglais ici: www.ncregister.com (ma traduction)

IL nous aide à comprendre que le pape François vient vraiment "du bout du monde"... pour nous. En tout cas, un autre monde.

     

Le Pape François et la liturgie
Alejandro Bermudez (*)
11/05/2013
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Il n'est pas nécessaire d'avoir du génie pour comprendre que le pape François n'est pas un liturgiste comme le pape Benoît l'était.
Mais la crainte que la papauté de François puisse marquer la «fin de la réforme de la réforme» des changements liturgiques qui ont été introduits après le Concile Vatican II est, franchement, sans fondement.
Permettez-moi d'en apporter la preuve.

Bien que, comme Pape, il n'ait pas eu tellement de gestes liturgiques jusqu'à présent, son ministère dans l'archidiocèse de Buenos Aires montre de façon convaincante son état d'esprit sur la liturgie.
A Buenos Aires, le cardinal Bergoglio n'a pas exprimé d'intérêt significatif pour la forme extraordinaire du rite. Toutefois, il a n'a pas non plus opposé de résistance. Après Summorum Pontificum, il a rendu la messe traditionnelle facilement disponible. En fait, Buenos Aires est probablement la ville latino-américaine avec le plus grand nombre de messes célébrées dans la forme extraordinaire.
L'absence d'un intérêt plus grand de sa part n'était pas de l'hostilité ou de l'indifférence. A la place, il était concentré sur une tâche beaucoup plus ardue: faire en sorte que tous les fidèles de son archidiocèse aient accès à une messe décente.
Je m'explique.
En Amérique latine, à côté des messes magnifiquement et soigneusement célèbrées associées aux grandes dévotions populaires, les abus liturgiques sont encore vivaces et constituent un problème majeur dans la région.
Il ne s'agit pas d'omettre ou de changer les rubriques ici et là. Les problèmes liturgiques sont beaucoup plus graves. Ils se composent d'événements tels que des prêtres «concélébrant» la messe avec les jeunes au rythme des chansons tropicales en Colombie; «consacrant» des gâteaux avec de la marmelade au Venezuela; une messe «reggae» au Panama, ou un prêtre célébrant avec vêtements représentant Batman et Robin (des bois?) tandis que l'eau bénite gicle d'un pistolet à eau vert et rouge au Mexique.
Ce n'est pas une exagération. Ces abus se produisent actuellement.

Les efforts de réforme du cardinal Bergoglio à Buenos Aires ne visaient pas exclusivement la liturgie. Il cherchait à changer la vie sacerdotale et sacramentelle en général.
L'une des transformations les plus importantes et les plus couronnées de succès dans l'archidiocèse, avec un impact significatif sur la liturgie, a été l'approche du cardinal pour les prêtres «Villero».
Les «Villa miseria » (ville misérable) est le nom que les Argentins donnent aux bidonvilles des grandes villes. Les prêtres Villero étaient ceux qui consacraient leur ministère pastoral à travailler dans ces environnements urbains pauvres, souvent très violents.
Bien que pleins de zèle pastoral, la plupart d'entre eux s'identifiaient avec la théologie de la libération, qui incorporait les idées marxistes dans le christianisme comme un moyen indispensable de comprendre et de traiter l'injustice sociale. Et, en général, ils avaient une attitude rebelle envers l'autorité, rubrique liturgie incluse.
Dans une interview pour un livre que je viens de terminer sur le pape François, son confrère jésuite argentin, le père Ignacio Perez del Viso, qui fut professeur de Jorge Bergoglio quand ce dernier était séminariste, expliquait que, comme archevêque de Buenos Aires, il a complètement changé la dynamique des prêtres et des bidonvilles où ils servaient.
Le Père Ignacio explique: «Dans les années 70, la plupart des évêques étaient en tension constante avec les prêtres Villero, et, de temps en temps, l'un d'entre eux était soudainement transféré ou même complètement retiré».
«Dans les années 90, les évêques les toléreraient ... mais Bergoglio, du moment où il est devenu auxiliaire [évêque] à Buenos Aires, a changé tout cela» dit-il.
La différence était que le cardinal Bergoglio embrassait (étreignait) les prêtres et leur ministère. Il leur rendait visite dans les bidonvilles, les envoyait se reposer s'ils étaient fatigués et les remplaçait lui-même dans leur paroisse pendant quelques jours. Il prenait personnellement soin d'eux s'ils étaient au lit, malades - avant tout, il s'occupait de leurs besoins particuliers.
La seule fois où il a enlevé un prêtre villero d'un bidonville, c'était pour le protéger contre un baron local de la drogue qui lui avait envoyé des menaces de mort.
Et avec la même sollicitude paternelle dont il usait pour prendre soin de ses prêtres, l'archevêque leur demandait de s'habiller à nouveau en prêtre; s'abstenir d'utiliser des «batata» (une patate douce argentine) au lieu du pain sans levain pour célébrer la messe, et utiliser des livres de chants catholiques plutôt que des chansons politiques ou laïques.
Le plus souvent, il a utilisé la persuasion avec ses pasteurs, pour transformer les abus liturgiques à Buenos Aires, mais aussi, selon les mots d'un collègue jésuite, «il n'a jamais flanché lorsque des mesures sévères ont été nécessaires».

Avec le processus de sécularisation et les sévères critères de sélection appliqués pour les vocations sacerdotales, le nombre de séminaristes a chuté pendant les années du cardinal Bergoglio comme archevêque. Mais ses amis et ses ennemis s'accordent à dire que la qualité de la célébration et de la prédication a été considérablement améliorée dans l'archidiocèse.
Je peux personnellement attester que les chances pour un catholique d'assister à une messe Novus Ordo bien célébrée, avec une homélie édifiante, n'importe où dans la ville, un jour donné, sont très, très élevées. Voyageant beaucoup et régulièrement en Amérique latine et aux États-Unis, je peux attester que très peu d'autres zones urbaines importantes, peuvent, le cas échéant, assurer un taux similaire.

A la messe, les riches gestes liturgiques traditionnels sont très édifiants. J'ai la bénédiction de vivre dans un archidiocèse dirigé par un archevêque qui est un expert dans la théologie de la liturgie, et je pratique dans une paroisse qui offre de semblables trésors.
Mais le nombre de catholiques qui vivent sous la tyrannie liturgique de prêtres bien intentionnés qui pensent que la messe est à eux et non au Seigneur est bien trop élevé aux États-Unis, en Amérique latine et dans le monde.
Rendre aux fidèles le droit d'assister à une messe qui transmet plus pleinement l'expérience d'être réellement le sommet de la vie chrétienne est toujours une révolution en cours dans de nombreuses régions.
La vision de la liturgie qu'a le pape François, comme un élément crucial de la conversion personnelle, ainsi que son expérience pastorale à Buenos Aires, devrait être une source d'espoir plutôt que de suspicion.
Cette tâche est herculéenne, mais donnons lui juste un peu de temps.

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(*) Alejandro Bermudez a traduit en anglais le livre de dialogue entre le cardinal Jorge Bergoglio et le rabbin Abraham Skorka, paru en anglais sous le titre On Heaven and Earth, et en français sous le titre Sur la terre comme au ciel (cf. www.amazon.fr/Sur-terre-comme-au-ciel)