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L'Eglise nouvelle du Pape François

Un éditorial très significatif sur le National Catholic Reporter (10/8/2013)

Après cinq mois de Pontificat, François n’a encore pas abordé les réformes qui étaient pourtant (paraît-il) absolument urgentes jusqu’au 11 février dernier, jour où Benoît XVI a annoncé sa démission. On ne saurait certes lui reprocher de prendre son temps, puisque quelque chose d’aussi grave que l’avenir de l’Eglise - où, dit-on, le temps se mesure en siècles - est en jeu.
Ses premiers gestes, tout en surface, ont été accueillis avec l’enthousiasme suspect du « monde » dont il prétend pourtant prendre ses distances, et on pourrait croire qu’après des décennies d’obscurité, une aube radieuse s’est enfin levée sur l’Eglise.
Toutefois, un observateur aussi attentif que Sandro Magister n’hésite pas à admette que le Pape Bergoglio est une « énigme ». On ne sait pas grand-chose de lui, et encore moins ce qu’il veut faire.
A défaut de grain à moudre donc, tous les « experts » en choses vaticanes y vont de leurs commentaires sur la « rupture » annoncée - espérée, ou redoutée, selon la sensibilité de chacun - et font des plans sur l’avenir du Pontificat. Chez les nombreux inconditionnels, côté droite, on fait la course pour expliquer quotidiennement que la dernière trouvaille du pape est en continuité parfaite avec Benoît XVI. Et côté gauche, on se convainc que le pape va apporter de grands changements, mais qu'il faut être patient. Il se peut que chacun ait raison, à sa façon.

Quoi qu'il en soit, en traduisant comme je le fais ici plusieurs articles traitant de ce sujet, on pourrait avoir le sentiment de tourner en rond, et de répéter toujours la même chose. Mais ce n’est pas tout à fait le cas. Certes, ces analyses reflètent beaucoup plus la personnalité et les attentes de leurs auteurs que les faits – ou leur absence, en l’occurrence. Surtout, en lisant entre les lignes, elles peuvent aider à comprendre comment le pape entend se servir des médias.

Voici un commentaire d’un chroniqueur de National Catholic Reporter, le site américain catholique progressiste dans lequel écrit aussi John Allen. Il illustre à la perfection ce que je viens de dire. Bien entendu, certains des arguments sont d'une parfaite mauvaise foi, comme par exemple l'affirmation que jusqu'à François, l'Eglise n'était qu'interdits (1), mais ce n'est pas pour les réfuter que j'ai traduit l'article....

     

François va-t-il faire naître une nouvelle église?

Pat Perriello
ncronline.org
5 août 2013
(ma traduction)
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Le Pape François est rentré au Vatican après d'extraordinaires JMJ au Brésil. Durant cet évènement, rien de la doctrine catholique n'a subi de changements. Franchement, il me paraît très improbable qu'il y ait des changements dans la doctrine dans un avenir proche. Le Pape Français a même clarifié qu'il n'y aurait pas de femmes prêtres durant son Pontificat.
Alors, pourquoi une telle agitation? Les paroles de l'hymne familier «Sing a New Church » seraient-elles prophétiques?
On nous dit que le Pape a changé les discours. C'est vrai. Mais dans quelle mesure ce changement est-il significatif?
Observons avant tout que François a vraiment changé de ton. Nous savons que beaucoup de signaux reflètent des changements dûs à la personnalité plutôt que des changements de substance. Parmi ces signaux, il y a le fait qu'il porte lui-même ses valises (ou, dans le cas du voyage au Brésil, son sac) qu'il embrasse les enfants, qu'il a choisi de ne pas vivre dans les appartements vaticans. Cette façon d'agir a effectivement son poids: il est clair que le Pape s'attend à ce que les autres aussi, dans la hiérarchie, adoptent sa façon de se comporter. Et effectivement, nous voyons des signes de plus grande simplicité dans la façon de s'habiller et de communiquer, dans la hiérarchie.
Nous connaissons aussi son insistance sur les pauvres, et sur un retour à la simplicité de l'Evangile. Selon certains, il répond à l'invitation du Conclave de faire des modifications spécifiques, mais en tout cas, il semble disposer d'assez de soutien, et d'un élan suffisant pour réaliser ce type de changement, et pour obliger, ou persuader les autres de s'unir à lui dans la nouvelle approche.
Toutefois, le changement de ton a été plus clairement exprimé dans la conférence de presse improvisée que François a concédé dans l'avion durant son voyage de retour au Vatican. La conférence de presse elle-même représente un changement spectaculaire par rapport au passé. Même si les Papes récents parlaient avec la presse, on leur posait toujours des questions écrites et quelques-unes étaient sélectionnées, auxquelles le Pape répondait. Cette fois-ci, il s'est agi d'une Conférence de presse "en roue libre", du type de celles de Barack Obama, où il n'y avait pas de règles préétablies, et François est apparu disponible à répondre à toutes les questions (ndt: en réalité, en lisant la présentation du Père Lombardi, mles questions avaient été posées par écrit à l'avance, mais le Pape a répondu à toutes, et même à davantage).

Malgré cela, pour moi, la question fondamentale a été celle sur l'avortement. Il convient de noter que depuis son élection, François n'a presque jamais utilisé le mot avortement (ndt: l'a-t-il utilisé en public?). Il a répondu franchement que la position de l'Eglise sur l'avortement était claire, et que ce que lui voulait présenter, c'était un massage positif. En d'autres termes, il voulait changer d’argument. Il a compris qu'il y a beaucoup de sujets dont l'Eglise doit parler, et que si elle se limite à parler constamment (???) d'avortement, d'homosexualité et d'autres "péchés de la chair", l'Eglise ne parvient pas à s'exprimer avec une voix forte sur d'autres problèmes très importants. Pour le pape François, la pauvreté est à la première place dans la liste. Ces problèmes comprennent aussi l'abus de pouvoir, les excès et les injustices du capitalisme, la répression envers les pauvres, et ceux qui sont marginalisés. En somme, le Pape désire mettre l'accent sur les valeurs de l'évangile de Jésus présentent dans le nouveau testament.
Comment est-il possible que "changer d'arguments" change l'Eglise? Il me semble qu'un changement sera celui qui mettra fin à ce qui, de fait, est devenu un réseau d'espions prêts à accuser les prêtres et les autres fonctionnaires de déviance, même de faible importance, dans le domaine de la liturgie, ou de quelque manquement dans l'adhésion aux enseignements officiels de l'Eglise. Sous François, des accusations de ce type seront sans doute renvoyées au responsable du diocèse. La peur d'être pris en flagrant délit d'avoir fait une faute sera considérablement réduite.

François a explicitement changé d'argument sur l'homosexualité. L'Eglise enseigne en substance deux choses sur ce sujet. Les actes homosexuels sont considérés comme des péchés, mais les personnes homosexuelles doivent être traitées avec respect et dignité, comme tous les êtres humains. Jusqu'à présent, l'Eglise se concentrait sur le péché. Mais c'est bien différent quand le centre de l'attention est placé sur l'humanité des individus impliqués! La clé, pour la nouvelle Eglise, est une attitude de compassion et de miséricorde. Elle représente un mode de pensée selon lequel il n'est pas nécessaire de prononcer de graves condamnations à chaque fois que quelqu'un fait quelque chose avec lequel on est en désaccord. C'est une attitude qui regarde ce qu'il y a de bon chez les gens et dans le monde. C'est une Eglise si occupée à faire le bien et à s'occuper des personnes qu'elle n'a pas le temps de rester assise pour condamner toutes les chose terribles qui se passent.

Le Pape François a parlé contre le matérialisme au Brésil. Il voulait que les jeunes évitent un attachement excessif aux choses matérielles. Et cependant, il n'a pas parlé de matérialisme athée et séculariste. Après tout, n'y a-t-il énormément de catholiques et de chrétiens qui ont besoin de réexaminer leur rapport aux choses matérielles, sans s'embarquer dans une diatribe contre tous les "ismes" du monde?

Le train s'est mis en mouvement, et il est temps de monter à bord. De la part du Cardinal Timothy Dolan, de New York, je vois des signaux dans cette direction. Dans l'émission "Today" de Vendredi, il a dit que le Pape François l'oblige à réexaminer la façon dont il fait les choses, et que ce défi le passionne; je pense qu'une grande partie du clergé, ces prochains mois, va faire son examen de conscience.
Enfin, qu’on me laisse dire un mot à ceux qui veulent plus, de ce nouveau Pape. Moi-même, je me mettrais volontiers parmi eux, mais permettez-moi de faire remarquer que ceci serait vraiment une mauvaise manœuvre : la moindre rupture avec JP II et Benoît XVI créerait une réaction qui détruirait tout ce que François cherche à faire. Il serait vu comme illégitime, et nous pourrions finir avec le premier Pape dans l’histoire en état d’accusation. Des éléments conservateurs de l’Eglise usurperaient le pouvoir de François, et l’Eglise irait vers une fermeture qui durerait probablement des siècles.

Le génie de François : bien que certains, et même beaucoup, puissent être troublés par ses actes, ils ne peuvent pas protester concrètement. Comment peut-on désapprouver une personne qui parle en faveur des pauvres ? Qui peut désapprouver un message d’amour et de compassion ? Annoncer l’intention de vivre les valeurs de l’Evangile en toute simplicité, ce n’est pas une chose qui puisse être soumise à jugement de la part des traditionalistes. Qui peut mettre en discussion le désir de traiter chaque individu (ndt : il me semble lire entre les lignes : surtout les gays) avec dignité et respect ? Je crois que François sait exactement ce qu’il fait, et qu’il peut vraiment être celui qui fait naître une Eglise nouvelle.
En outre, François vient de commencer. Il n’a pas encore fini !

     

Note

(1) Voir cette partie de l'interviewe donnée par Benoît XVI à la télévision bavaroise en septembre 2006: beatriceweb.eu/Blog06/documents/interview7.html et beatriceweb.eu/Blog06/documents/interview8.html
C'est en contradiction absolue avec ce que prétend l'éditorialiste de ncr.

Question : Le thème de la famille. Il y a un mois environ vous étiez à Valence pour la rencontre mondiale des familles. Ceux qui vous ont écouté attentivement – comme nous avons essayé de le faire à Radio Vatican – ont noté que vous n’avez jamais prononcé les mots « mariages homosexuels », que vous n’avez jamais parlé d’avortement ni de contraception. Des observateurs attentifs ont trouvé que cela était intéressant!
A l’évidence votre intention est d’annoncer la foi et non pas de parcourir le monde comme un « apôtre de la morale ». Pouvez-vous commenter cela?


Benoît XVI : Oui, naturellement. Il faut avant tout dire que j’avais à ma disposition pour parler en tout deux fois 20 minutes. Et quand on a aussi peu de temps, on ne peut pas en venir à bout en disant simplement non. Il faut savoir avant tout ce que nous voulons réellement, n’est-ce pas? Et le christianisme, le catholicisme, n’est pas une somme d’interdits, mais une option positive. Et il est très important que cela soit à nouveau visible, car aujourd’hui cette conscience a presque totalement disparu. On a tellement entendu parler de ce qui n’était pas permis qu’il est nécessaire de proposer aujourd’hui nos idées positives: nous avons une idée positive à vous proposer à savoir que l’homme et la femme sont faits l’un pour l’autre, que la séquence - pour ainsi dire - sexualité, éros, agapè, indique les dimensions de l’amour et que c’est sur cette voie que se développe en premier lieu le mariage, qui est la rencontre débordante de bonheur et de bénédiction d’un homme et d’une femme, et puis la famille qui garantit la continuité entre les générations, et où les générations se réconcilient entre elles et où même les cultures peuvent se rencontrer. Il est donc important, avant tout de mettre en évidence ce que nous voulons. En second lieu, on peut aussi voir ce que nous ne voulons pas et pourquoi. Et je crois qu’il faut voir et réfléchir, car, et ce n’est pas une invention catholique, l’homme et la femme sont faits l’un pour l’autre afin que l’humanité continue à vivre: toutes les cultures le savent.
En ce qui concerne l’avortement, il n’entre pas dans le sixième mais dans le cinquième commandement: « tu ne tueras point!». Et cela nous devons le considérer comme une évidence et nous devons toujours réaffirmer que la personne humaine commence dans le sein de sa mère et reste une personne humaine jusqu’à son dernier souffle. L’homme doit toujours être respecté en tant qu’homme. Mais cela devient plus clair si on a commencé par dire ce qu’il y a de positif.

* * *

Question : Très Saint Père, ma question se rattache d’une certaine manière à celle du Père von Gemmingen. Dans le monde entier les croyants attendent de la part de l’Eglise catholique des réponses aux problèmes globaux les plus urgents, comme le SIDA et la surpopulation. Pourquoi l’Eglise catholique insiste-t-elle autant sur la morale plutôt que sur les efforts destinés à apporter une solution concrète à ces problèmes cruciaux pour l’humanité, par exemple sur le continent africain?

Benoît XVI : Justement, c’est le problème: est-ce que nous insistons vraiment tant que cela sur la morale? Moi je dirais – et j’en suis toujours plus convaincu après mes entretiens avec les évêques africains – que la question fondamentale, si nous voulons faire des pas en avant dans ce domaine, c’est l’éducation, la formation. Le progrès ne peut être authentique que s’il rend service à la personne humaine et si la personne humaine elle-même grandit, non seulement au niveau de son potentiel technique, mais aussi de ses capacités morales. Et je crois que le vrai problème dans la conjoncture historique actuelle c’est le déséquilibre entre la croissance incroyablement rapide de notre potentiel technique et celui de nos capacités morales, qui n’ont pas grandi de manière proportionnelle. C’est pourquoi la vraie recette c’est la formation de la personne humaine, c’est, selon moi, la clef de tout, et c’est aussi notre option. Et cette formation – pour être bref – a deux dimensions : tout d’abord naturellement nous devons apprendre, acquérir des connaissances, des compétences, know how comme ont dit. L’Europe, et au cours des dernières décennies l’Amérique, ont fait beaucoup dans cette direction, et c’est très important. Mais si on se limite à propager uniquement le know how, si on enseigne seulement la façon de construire et d’utiliser les machines, et le mode d’emploi des contraceptifs, alors il ne faut pas s’étonner si on finit par se retrouver avec des guerres et des épidémies de SIDA. Nous avons besoin de deux dimensions: il faut dans le même temps la formation des cœurs – si je peux m’exprimer ainsi – qui permet à la personne humaine d’acquérir des repères et d’apprendre aussi à employer correctement sa technique. Voilà ce que nous essayons de faire. Dans toute l’Afrique et aussi dans de nombreux pays d’Asie, nous avons un vaste réseau d’école à tous les degrés, où on peut avant tout apprendre, acquérir de vraies connaissances, des compétences professionnelles, et donc obtenir l’autonomie et la liberté. Mais dans ces écoles nous cherchons justement non seulement à communiquer du know-how, mais à former des personnes humaines, qui aient envie de se réconcilier, qui sachent qu’il faut construire et non détruire, et qui aient les repères nécessaires pour savoir vivre ensemble. Les évêques ont institué avec les musulmans des comités communs pour voir comment on peut créer la paix dans les situations de conflit. Et ce réseau d’écoles, d’étude et de formation humaine, qui est très important, est complété par un réseau d’hôpitaux et de centres d’assistance qui rejoint de façon capillaire les villages les plus reculés. Et en de nombreux endroits, malgré les destructions de la guerre, l’Eglise est la seule force qui soit restée intacte. Voilà la réalité! Et là où on soigne, où on soigne aussi le SIDA, on offre aussi une éducation, qui aide à nouer de justes rapports avec les autres.
C’est pourquoi je crois qu’il faudrait corriger l’image selon laquelle nous ne faisons que semer autour de nous des « non » catégoriques. En Afrique, justement, on travaille beaucoup, afin que les diverses dimensions de la formation puissent s’intégrer et afin qu’il soit possible de surmonter la violence et les épidémies aussi, parmi lesquelles il faut citer également le paludisme et la tuberculose.