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Les disciples inconsidérés du Pape François

Piero Ostellino, journaliste italien, ex-directeur du Corriere, spécialisé dans les systèmes politiques des pays communistes - il fut correspondant à Moscou avant la chute du Mur - met en garde contre la tentation du paupérisme en politique. Une réflexion qui risque de prendre à rebrousse-poils les cathos bien-pensants, mais qui contient quelques sains éléments de vérité... (4/4/2013)

.... même si l'auteur règle manifestement des comptes avec l'Eglise, quand il évoque l'histoire des cathares.

     

Trop de rhétorique autour du pape François
Méfiez-vous de ses disciples inconsidérés
Piero Ostellino
http://www.corriere.it
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La mélasse douceâtre d'un progressisme mal digéré, "buoniste", rhétorique, plutôt clérical et même un peu bigot, a submergé le Pape François, inondant les médias. Qui traitent l'Italie, croyante ou non, comme une communauté dépourvue de toute autonomie de jugement et à qui l'on peut vendre un pape comme un détergent .
Il est mortifiant qu'une partie significative du pays manifeste une telle incapacité à regarder - dans le respect de la religion , de l'Église et de la laïcité de l'État - un événement aussi important pour les croyants et les non-croyants que l'élection d'un nouveau pape. Le paupérisme ecclésiastique est une forme de marketing de l'Eglise, au-delà de sa mission de charité, l'essence politique de sa hiérarchie.
Il est donc faux d'interpréter le comportement du pape comme les symptômes d'une «doctrine de la pauvreté» qui affecte non seulement l'Eglise, mais aussi la politique et les modes de vie de la société civile.

En réalité, les attitudes du pape François ne sont plutôt que le reflet d'un agacement personnel devant l'extériorité grandiose de certains rituels historique de l'Eglise en tant qu'institution; agacement qu'il utilise comme une forme d'évangélisation ... La longue domination, y compris «politique», de l'Eglise sur les hommes de foi s'est souvent matérialisée par le caractère invasif à la fois de son autorité théologique et de sa capacité de contrôler le séculier. La cathédrale d'Albi - qui domine les maisons du petit village - en est, par ses dimensions débordantes, le symbole; la représentation plastique de la victoire du catholicisme sur une hérésie qui théorisait un Dieu bon, et un [Dieu] mauvais à la place du Dieu augustinien, le salut pour tous et une mutiple réincarnation salvifique. En somme, une Eglise «intérieure», loin de Rome, au centre de laquelle il n'y a pas la hiérarchie, mais la figure de Jésus-Christ; une Eglise contraire au baptême, à l'eucharistie et aux structures de culte. Qui s'opposait au monothéisme, à la doctrine du péché originel, expression du mal augustinien et de l'inévitable condamnation de l'homme. Qui devait son salut à la grâce de Dieu et à son proprelibre arbitre, plutôt qu'aux sacrements et à la construction d'églises et basiliques dans lesquelles se concrétisaient la grandeur de la foi et de la charité à travers la médiation de la hiérarchie. L'hérésie cathare, prise comme prétexte par le gouvernement central de France, avec la complicité intéressée des catholiques, contre l'autonomisme du duc de Toulouse, avait entraîné le massacre de milliers de croyants hétérodoxes. [ndt: manifestement, l'auteur a des comptes à régler avec l'Eglise... ]

Le militantisme personnel jésuite, et la sombre réputation de la Compagnie de Jésus de la Contre-Réforme, nous amèneraient à formuler des hypothèses inquiétantes sur le pontificat qui vient de s'ouvrir. Ce serait une erreur. Ce sera à son pontificat de dire de quelle pâte est fait ce pape jésuite dans les prémisses et franciscain dans les promesses.

Mais il reste toutefois que ses modalités pastorales menacent de devenir un modèle à imiter, autrement dit un risque pour la nécessaire «séparation» de la politique et de l'éthique, en dépit du fait que l'Eglise elle-même est immergée dans la contemporanéité; fille du réalisme de Machiavel, du scepticisme libéral, en fin de compte, de sa sécularisation.

En quoi consiste, alors, à son insu, le danger de cléricalisation de la politique de la part d'un Pape tiers-mondiste, est vite dit. Il réside dans la vocation «imitatrice» de cultures nationales faibles. Parce que nous sommes un pays-Zelig (ndt: référence au film de Woody Allen: Leonard Zelig est un homme-caméléon : en présence de gros, il devient gros ; à côté d'un noir, son teint se fonce ; parmi les médecins, il soutient avoir travaillé à Vienne avec Freud, etc.) - enclins à s'incarner dans leur prochain, n'ayant pas une identité qui leur est propre - il est réaliste de supposer que, tôt ou tard, émergera quelqu'un, dans la politique ou la société civile, qui se sente obligé d'imiter le pittoresque populisme paupériste du nouveau Pontife romain. Qui - à supposer, sans l'admettre, qu'il soit compatible avec l'Eglise du troisième millénaire, conditionnée non seulement par la facilité financière de l'Etat pontifical, mais aussi par l'esprit bourgeois, la révolution industrielle et économique, la démocratie libérale et la société des médias - ne serait absolument pas physiologique au mode de vie d'un pays qui est entré dans la modernité.
Déjà on voit les signes de la ré-émergence d'un certain «esprit contre-réformiste» qui prend la forme de tendances anti-bourgeoises et anti-capitalistes déjà injectées dans notre culture politique d'un marxiste qui scandaliserait même Karl Marx.

Nous devrions, au contraire, tous nous armer contre la criminalisation du marché et du profit - le fumier du diable de la richesse; une criminalisation qui est le symbole d'une idée erronée d'égalité et de justice sociale, qui, à «l'ère du pluralisme des valeurs», de la consommation et de la distribution du bien-être de masse est totalement anachronique.
L'imitation, en terme politique, de la mission salvifique de l '«Église des pauvres parmi les pauvres», dans la version de la théologie de la libération» latino-américaine, par ailleurs déjà répudiée par l'Eglise, serait humiliant pour l'Italie civile et pour la catholicité elle-même, qui - avec l'aspiration légitime à une révolution purificatrice en son sein - ne montre aucune envie d'aspirer à encourager et encore moins , à soutenir, une «contre-révolution», même profane.
Le paupérisme, élevé au niveau de culture politique, effacerait la séparation historique entre Eglise et l'Etat - voulue par Cavour dans l'acte même d'unification du pays et réitéré après la Seconde Guerre mondiale, par le grand catholique qu'était Alcide De Gasperi - et désavouerait la sage renonciation, par les mêmes autorités ecclésiastiques, à exercer sur l'Italie la prétention d'une hégémonie séculaire d'un passé lointain. Qu'un Pape fasse le Pape est dans l'ordre de l'histoire et de la doctrine de l'Eglise; mais ceux qui, sur le plan politique, auraient la tentation de lui donner un coup de main, feraient bien de réfléchir et, surtout, d'y renoncer.