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L'héritage de Benoît et la mission de François

Dans son dernier billet, s'appuyant sur l'"encyclique à quatre mains" annoncée par le Pape lui-même, JL Restàn souligne la continuité entre les deux pontificats.Traduction de Carlota (18/6/2013)

>>> Voir aussi l'article de Messori: Quatre mains et un seul guide
Et aussi: L'encyclique à quatre mains

C'est un très beau texte, et je me réjouis que soit ainsi soulignée non pas tant la continuité (qui, sous certains aspects, ne me paraît pas aussi évidente qu'à l'ami José-Luis Restàn... mais qui existe certainement au plan de la doctrine - une doctrine que Joseph Ratzinger a passé sa vie à défendre, raffermir, consolider, et plus particulièrement en plus de 30 ans passés à Rome) que la dette de reconnaissance que va acquitter le Pape François envers son grand prédécesseur (1).

     

L’héritage de Benoît et la mission de François

(http://www.paginasdigital.es/)
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La nouvelle, communiquée de vive voix et sans notes, de la parution prochaine d'une nouvelle encyclique dédiée à la foi, fruit du travail commencé par Benoît XVI que François mènera à terme, est très significative. « C’est un document fort » a commenté François en faisant référence au texte que lui a remis personnellement Benoît XVI, pour ajouter quelque chose de plus qu’un clin d’œil : « on dit qu’elle sera écrite à quatre mains ».

Nous savons qu’il est normal qu’un Pape cherche des aides et des apports pour élaborer le texte d’une encyclique, qui ne peut porter qu’une seule signature, mais ici il s’agit de beaucoup plus. François assume explicitement le travail de son prédécesseur: là, la continuité n’a pas besoin d’être théorisée, elle résulte simplement d’un fait bien éloquent.

Et ce n’est pas un fait insignifiant, alors que nous assistons tous les jours aux reconstructions et aux jeux de miroir qui prétendent créer deux images opposées, avec la pernicieuse conclusion (fausse mais effective dans un certain imaginaire social) d’une espèce de rupture, d’une sorte de nouvelle étape qui laisserait en arrière le legs de plus de trente ans de conduite de l’Église. C’est intéressant de noter ici le commentaire réalisé par Joseph Ratzinger et dévoilé par son ami, le psychiatre et théologien Manfred Lütz qui lui a rendu visite dans sa retraite du couvent Mater Ecclesiæ: « Du point de vue théologique (François et moi) sommes parfaitement d’accord » (De bonnes nouvelles de Benoît XVI et De bonnes nouvelles de Benoît XVI (2) ). Mais que personne n’attribue le commentaire à une simple courtoisie. Précisément Lütz vient d’écrire avec le cardinal Josef Cordes (un autre vieil ami de confiance de Ratzinger) un livre intitulé « L’héritage de Benoît et la mission de François », dont l’axe est l’idée de « démondaniser » l’Église. Cette idée, si explicitement et d’une manière réitérée abordée par François dans la prédication de son premier trimestre de pontificat, était déjà très présente dans le magistère du Pape Benoît.

Cordes et Lütz mettent l’accent sur le discours que Benoît XVI a adressé à Fribourg aux catholiques engagés dans l’Église et la société, en septembre 2011 (cf. Lettre de Benoît XVI aux catholiques allemands à Fribourg). Avec des tonalités certainement sévères (qui cependant trouvèrent peu d’écho médiatique), le Pape Ratzinger a dénoncé la tendance « d’une Église satisfaite d’elle-même, qui s’accommode d’être revenue à l’autosuffisance et qui s’adapte aux critères du monde…en donnant ainsi une plus grande importance à l’organisation et à l’institutionnalisation qu’à l’appel à être ouverte à Dieu et à s’ouvrir le monde envers le prochain.

Et non seulement cela, Benoît XVI a ajouté un jugement historique qui s’il avait été écouté comme il se doit, en aurait laissé plus d’un bouche bée : « les sécularisations qui ont déjà consisté en une expropriations des bien de l’Église ou en une suppression des privilèges ou choses similaires, ont signifié toujours une profonde libération de l’Église des formes du monde (mondaines) : Elle se dépouille, pour le dire ainsi, de sa richesse terrestre et revient à embrasser pleinement sa pauvreté… Libérée des fards et des privilèges matériels et politiques, l’Église peut mieux se consacrer et de manière véritablement chrétienne au monde entier ; elle peut véritablement être ouverte au monde. Elle peut vivre véritablement avec plus d’aisance son appel au ministère de l’adoration de Dieu et au service du prochain ». Il sera difficile de trouver une plus grande syntonie [accord] que celle qui est signalée ici par rapport à ce que réclame François : une Église pauvre, libre des sécurités du monde et tournée vers les périphéries du monde (ndlr j'en parlais ici: dès le 2 mai Continuité: mondanité de l'Eglise ).

Mais la continuité de fond ne se concentre pas seulement sur ce point. Il y a très peu de temps François a fait noter de nouveau sa préoccupation pour une espèce de pélagianisme de nouveau vivant dans l’Église. Il s’agit de la doctrine de Pélage, durement critiquée par Saint Augustin et condamnée par le Concile d’Éphèse, qui dédaignait la nécessité de la grâce pour faire le bien et obtenir le salut. Dans le fond, l’homme se suffirait à lui-même, et n’aurait besoin que du bon exemple de Jésus: c’est le christianisme réduit à un discours, à de bons exemples. À gauche et à droite, la tentation pélagienne est de pleine actualité, ou pour réduire le christianisme à une programme de transformation politico-social ou à un effort de perfection morale individuelle.

La syntonie est en cela aussi complète entre les deux pontifes : Benoît XVI comme bon augustinien était hypersensible à cette tentation que François a signalée depuis le premier jour comme l’une de ses préoccupations les plus grandes.

Je me permets d’ajouter un autre point central de grande syntonie, celle de faire référence à la nécessité d’ouvrir de nouveaux chemins, de ne pas se conformer de ce que nous avons déjà, d’apprendre une nouvelle façon d’être présents pour communiquer la vie de Jésus Christ dans un monde qui change. Pauvreté et liberté évangélique, priorité de la grâce et la surprise de la nouvelle mission. Trois points forts pour tisser la continuité profonde que quelques uns tentent de dissoudre. Peut-être la prochaine et déjà proche, encyclique sur la foi, nous aidera-t-elle à établir cela d’une manière retentissante.

Note

(1) La publication prochaine de cette encyclique est également saluée par Sandro Magister, qui soulignait dans son dernier billet (chiesa.espresso.repubblica.it):

Ce qui est curieux, c’est que la première encyclique de Benoît XVI, "Deus caritas est", avait également utilisé un certain nombre de matériaux préparés au cours du pontificat précédent. Mais la construction générale de cette première encyclique et en particulier la première de ses deux grandes sections, la plus théologique, étaient typiquement ratzingeriennes.
Cette fois-ci, en revanche, l’encyclique est presque entièrement de la main de Ratzinger. C’est comme si le pape Bergoglio s’était limité à en écrire la préface et la conclusion. Sa signature devient le signe d’une vive reconnaissance envers le pape qui l’a précédé.