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Lumen Fidei: le testament de Benoît XVI

La recension - très négative, mais très emblématique - d'une théologienne anglaise tendance catholique progressiste. (18/7/2013)

Voici la plus féroce recension de l'Encyclique que j'ai pu lire. Elle a été publiée sur le quotidien catholique progressiste britannique "The Tablet".
Naturellement elle vaut moins par ses critiques (qui se cachent, au moins au début derrière les louanges sur la forme du texte, dont elle reconnaît la beauté) que par ce qu'elle révèle de son auteur, et surtout de tous ceux qu'elle représente ici.
Pour elle, il est clair que la démission de Benoît est la fin d'un monde, et l'avènement d'une nouvelle ère, avec une Eglise globalisée qui accepte de jouer le rôle que le nouvel ordre mondial veut bien lui laisser: en fait, celui d'une "ONG pietosà", selon l'expression même de François.
L'auteur attendait peut-être un manifeste politique, mais elle n’a trouvé qu’un texte religieux – pas un moment la foi n'est évoquée par elle en tant que telle, probablement y voit-elle un résidu du passé à évacuer d’urgence. Quant au souci pour les pauvres, qu'elle prétend avoir cherché en vain tout au long des 80 pages, Benoît l’a suffisamment témoigné dans la grande encyclique sociale Deus Caritas est.
Ses allusions à l’exercice de la papauté par Benoît sont particulièrement insidieuses. Tout y passe, mine de rien: eurocentrique, coupé du monde, la main couverte de bagues, et la foi apprise dans les livres!! Et sous sa conduite, l'Eglise est devenue une citadelle assiégée, oublieuse de ceux qui sont à l'extérieur de son univers, et en particulier des pauvres. Difficile d'accumuler autant de clichés en une page.
On retrouve aussi l'idée de l'encyclique écrite avec les actes, déjà rencontrée sous la plume d'une éditorialiste de la Repubblica.

Certes, François n'est pas responsable de ce qu'écrivent les gens à son sujet; mais il devient de plus en plus évident que ceux qui ont placé leurs espoirs dans "le Pape venu du bout du monde" voient en lui l'antithèse absolue de Benoît XVI. Et pas que dans la forme.
Alors, continuité, ou rupture, voire révolution? Plus le temps passe, et plus la première option paraît une pieuse fiction répandue dans le but de rassurer les gens simples qui pourraient avoir des doutes.
Ceux qui ne voulaient plus de Benoît, en particulier dans l'Eglise, triomphent - pour le moment. Il est presque certain que François ne pourra pas les satisfaire sur certains sujets, notamment de société: leur attitude maximaliste apparaît alors comme une manoeuvre tactique.
Les prochaines JMJ vont être un test décisif.

     

La première encyclique de François? En réalité, c'est le testament de Benoît.
Tina Beattie,
The tablet,
6 juillet 2013
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Lumen Fidei est la première encyclique promulguée sous le nom du Pape François, mais c'est un acte de ventriloquisme papal. Comme style et comme contenu, c'est indubitablement la dernière, et si possible la plus grande encyclique du Pape Benoît - bien que profondément problématique sur certains points.

Elle doit être lue non comme la première encyclique d'un pape "pastoral" qui représente l'avènement d'un catholicisme global, mais comme le dernier grand geste d'une papauté européenne isolée, avec ses institutions baroques, des réalités complexes de la modernité.
Merveilleusement composée et érudite, c'est une élégie éloquente et appropriée de cette grande tradition. Elle est aussi hautement idéaliste envers l'Eglise et profondément pessimiste sur la société occidentale post-Lumières (post-illuministe) qui est au centre de ses préoccupations - de façon évidente, son auteur est ignorant ou indifférent au monde au-delà de ce contexte, qui a déjà pris d'assaut le Vatican.
Elle se préoccupe non pas des défis de l'injustice, de la violence, de la pauvreté, mais du nihilisme existentiel d'une culture qui a tourné le dos à Dieu. Outre de grands théologiens comme Augustin, Saint Thomas d'Aquin, Grégoire le Grand et le cardinal Newman, elle cite Nietzsche, Wittgenstein, Jean-Jacques Rousseau, Martin Buber, Dante, Dostoïevski e T.S. Eliot; elle célèbre les réalisations de l'architecture gothique et des grandes cathédrales, et montre un intérêt rare ou nul pour ceux qui sont hors de la culture européenne, pour ceux qui mendient sur les routes ou languissent dans les prisons (ndt: à l'évidence, l'auteur confond encyclique sur la foi et encyclique sociale) et dans les centres de réfugiés des sociétés européennes de plus en plus divisées. Le lecteur cherche en vain la main du pasteur argentin dont l'encyclique porte la signature.
Beaucoup accueilleront avec plaisir cette encyclique, avec son élégant entrelacement de thèmes bibliques, théologiques et philosophiques, mais j'imagine que d'autres ne seront pas en syntonie avec sa sombre vision de la société moderne et sa vision idéalisée de l'Eglise. Seule une brève section, vers le milieu des 80 pages, admet la possibilité que la foi puisse être trouvée en dehors de la doctrine, de l'autorité magistérielle et de l'unité sacramentelle de l'Eglise catholique. Cette section intitulée "Foi et recherche de Dieu" est si différente dans le ton qu'elle me porte à penser pouvoir découvrir ici l'influence d'une voix autorisée, plus modeste, avec une plus grande sensibilité pastorale, et une vision un peu différente qui émerge.
Exceptée cette section, il n'y a rien qui indique que la société laïque ou d'autres religions peuvent avoir quelque chose de positif pour contribuer à l'autocompréhension de la foi catholique, ni que des personnes de foi peuvent s'exprimer sous des modes et des formes divers.
L'impression générale - à l'exception de cette section - est que la culture européenne est déchirée en deux: d'un côté les fidèles catholiques, de l'autre les relativistes sans Dieu, qui ont perdu toute idée de sens et de vérité. Pour une encyclique aussi intéressée à la vérité, ce n'est pas un cadre réel des réalités complexes du monde moderne.

Nous restons en attente de la première encyclique qui représente le dynamisme et la pluralité d'une Eglise globale, qui écrit non avec les doigts bagués, mais avec les ongles sales, et dont la théologie n'émerge pas des livres qu'ils a lus, mais des gens qu'il a rencontrés dans les rues et les ruelles où les pauvres peuvent être trouvés.

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(*) Tina Beattie (née en 1955) est Directrice du Digby Stuart Research Centre for Religion, Society and Human Flourishing à l'Université de Roehampton (dans la banlieue de Londre)
Sa notice wikipedia nous dit que son travail de théologienne tourne autour du féminisme, de la théorie du genre, de la virginité de Marie, etc…, et que ses prises de position (elle est pour le mariage homo, l’ordination des femmes, et réclame une plus grande ouverture de l’Eglise sur l’avortement et la contraception) lui ont attiré les critiques des catholiques conservateurs.