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Martyrs argentins du terrorisme

Des catholiques martyrs du terrorisme en Argentine avant la prise de pouvoir par les militaires en 1976. Un article publié sur REL, et traduit par Carlota (29/4/2013)

Il peut être intéressant de le lire, alors que la béatification annoncée de Mgr Romero, assassiné au Salvador en 1980, commence déjà à faire couler beaucoup d'encre....

Pour mieux comprendre, peut-être, l’histoire assez récente, trop peu connue voire sciemment déformée, de l’Argentine (mais c’est déjà une arme utilisée contre le Pape François, en fait contre l’Église catholique romaine qui reste l’Ennemi à abattre coûte que coûte), j’ai traduit un article de Carmelo López Arias (original www.religionenlibertad.com/) sur des catholiques martyrs du terrorisme en Argentine avant la prise de pouvoir par les militaires en 1976. Ce genre d’événement n’était d’ailleurs pas inédit pour de nombreux pays d’Amérique latine. De ces martyrs de la foi, il n’en a pas été question en France ou si peu et pour cause, et notamment et encore aujourd’hui.

(Carlota)

     

Trois martyrs argentins du terrorisme [marxiste] : Sacheri, Genta, Amelong

L’élection de Jorge Mario Bergoglio comme Souverain Pontife a mis sous les feux de l’actualité les dramatiques années que l’Argentine a vécues durant les années 70, avec le retour de Juan Domingo Perón (1), la brutale escalade terroriste, la mort du général et la présidence de son épouse, le coup d’État et les Juntes Militaires.

Un épisode peu connu à l’extérieur du pays et même passé sous silence à l’intérieur, c’est l’assassinat systématique de la part de groupes terroristes de personnalités catholiques de référence qui se détachaient précisément en tant que catholiques, par leur anticommunisme (communisme « intrinsèquement pervers », selon la définition de Pie XI dans l’encyclique Divini Redemptoris de 1937).

Parmi ces personnes qui sont mortes pour leur foi se détachent trois noms qui ont été rappelés ces jours-ci dans le pays frère (ndr comprendre l’Argentine pour l’Espagne), en les sauvant de l’oubli dans lequel ils étaient tombés par convenance politique.

1.- Carlos Alberto Sacheri: Un des grands thomistes argentins

Carlos Alberto Sacheri (1933-1974), licencié en droit de l’Université de Buenos Ayres et docteur en philosophie de l’Université Laval de Québec (Canada) où il fut professeur de 1967 jusqu’à son retour en Argentine pour prendre la charge des chaires de Philosophie et de l’Histoire des Idées Philosophies à l’Université de Buenos Ayres et de Méthodologie Scientifique et Philosophie Sociale dans l’Université Catholique Argentine. Dans la continuité de l’importante et influente école thomiste de ce pays, il écrivit peu avant sa mort une célèbre oeuvre sur « L’ordre naturel », considérée comme l’une des synthèses modernes de philosophie morale et politique de Saint Thomas d’Aquin.

« L’analyse de la personne humaine et ses qualités ou propriétés essentielles nous porte spontanément à la reconnaissance d’un ordonnancement naturel, expression d’une sagesse divine, qui doit servir de base à l’ordre social, en déterminant les normes éthiques de base qui l’expriment sur le plan de la conduite humaine…De là surgit le concept classique du droit naturel comme ce qui est du à l’homme en vertu de son essence, avec ses trois notes d’universalité, car il est de rigueur pour tous les hommes et tous les temps ; de l’immutabilité, car il échappe dans ses normes premières aux contingences géographiques, historiques et culturelles ; et de cognoscibilité, car il est capté spontanément par la conscience morale des individus », expliquait Sacheri (2)

Sacheri se positionna fermement contre la Théologie de la Libération et contre le courant qui, en ces années-là, a transformé beaucoup de prêtres et de religieux en apôtres, de fait, du marxisme, ce qu’il a dénoncé dans son livre en 1971, « L’Église clandestine ». Lui, au contraire, comme l’a affirmé Ricardo von Büren lors du Congrès Thomiste International (ndr voirici) qui a eu lieu à Rome en 2003, a assimilé le magistère pontifical « jusqu’à révéler un domaine abouti de la Doctrine Sociale de l’Église dont il est un fin connaisseur et interprète, pouvant être considéré comme l’un de ses plus importants diffuseurs en Argentine.

Le dimanche 22 décembre 1974, alors qu’il revenait de la messe, il a été assassiné par des terroristes de l’Armée Révolutionnaire du Peuple (ERP – en espagnol), devant sa femme et ses sept enfants, le plus grand âgé de 14 ans, la dernière de 2 ans. Ils lui ont tiré à la tête alors à la terre quand il conduisait la voiture familiale vers la maison au retour de la cathédrale Saint Isidore (province de Buenos Ayres). Il avait 41 ans et l’Église catholique a perdu l’un de ses penseurs laïcs les plus illustres.

2.- Jordán Bruno Genta, un grand intellectuel catholique, baptisé à 31 ans.

Les assassins (l’ERP) de Sacheri étaient les mêmes que ceux qui en avaient terminé quelques semaines auparavant, et dans des circonstances similaires, avec la vie d’un autre intellectuel catholique, Jordán Bruno Genta (1909-1974). Lui aussi en présence de sa famille. Dans son cas, non pas au retour de la messe, mais alors qu’il s’y dirigeait, un dimanche matin, le 27 octobre 1974. Il a reçu onze impacts de balles.

La trajectoire de vie de Genta était très différente de celle de Sacheri. Son père était athée et anticlérical et il ne baptisa aucun de ses trois enfants. Leur mère était morte d’une maladie cardiaque quand ils étaient tout petits. Ils furent ainsi élevés sans formation religieuse, et quand Jordán (3) entra à l’Université de Philosophie et de Lettres, tout de suite il s’est exalté pour l’idéologie marxiste. En 1934 il se maria civilement avec María Lilia Losada, de parents espagnols, et peu de temps après il fut diagnostiqué une tuberculose au jeune philosophe.
Pour la soigner, ils déménagèrent à la sierra de Córdoba (ndr dans la province argentine du même nom, qui doit son nom à la Cordoue espagnole) où Genta commença à méditer les classiques, en particulier Platon et Aristote, sans le prisme du matérialisme moderne. En 1935 ils allèrent vivre à Paraná où il remplit le rôle de professeur à l’Université Nationale du Littoral. Là il découvrit l’œuvre de Jacques Maritain et, par son intermédiaire, celle de Saint Thomas d’Aquin, qui avait été absent de sa formation académique.
Genta a également lié une amitié, qui sera décisive, avec Juan Ramón Álvarez Prado, professeur au séminaire diocésain, avec qui il commence à débattre sur le catholicisme et à le découvrir du point de vue intellectuelle. Après des années où il a intensifié ses contacts avec le clergé local, Genta reçut le baptême en 1940 et le même jour se maria religieusement avec son épouse. Ensuite il devint recteur de l’institution où il enseigna, se transformant en bête noire de la gauche radicale qui conçut une haine contre lui qui l’amènera à la mort quelques trente ans plus tard.
Politiquement nationaliste (4), il s’opposa au gouvernement de Juan Domingo Perón et subit l’épuration, montant chez lui une chaire libre d’enseignement, jusqu’à sa réintégration à la normalité académique après la révolution de 1955 (ndr départ en exil de Perón qui s’installera aux débuts des années 60 dans l’Espagne de Franco). Et il finit comme recteur de l’Institut National du Professorat (ndt École Normale Supérieure). Il avait alors terminé complètement sa conversion au catholicisme, mais ce ne fut qu’en 1952 qu’il fit sa Première Communion, il avait 43 ans.
Complètement tourné vers l’approfondissement de sa foi, en 1960, il écrivit une de ses œuvres les plus connues, « Libre examen et communisme » (5), où il approfondit jusque dans les ultimes racines du marxisme, dans le fond, disait-il « une question religieuse ». Les débats politiques étaient, dans sa perspective, toujours réductibles à un principe métaphysique : « Nous sommes catholiques et nous voulons l’être en tout, en pensée, en décision, dans les affections, dans les passions, dans les préférences, tout autant dans la conduite publique de privée » (ndr l’Evangile et l’enseignement de nos Papes !). Et en accord avec la tradition philosophique chrétienne il préconisait une hiérarchie des savoirs couronnée par la foi. « Ce dont a besoin un peuple, c’est de la Théologie et de la Métaphysique, surtout quand c’est un peuple qui procède de la Civilisation du Christ, des Grecs et des Romains. Rien de plus » : c’est ainsi qu’il conclut une conférence le 27 octobre 1974. Le lendemain il tombait criblé de balles. Les terroristes savaient qui ils tuaient.

3.- Raúl Alberto Amelong, un homme d’action, de l’Action Catholique

Raúl Alberto Amelong (1922-1975) subit même sort le mois de juin suivant. Avec une mise en scène ressemblante. Toujours pour une plus grande cruauté, en présence des siens. C’était un haut responsable d’Acindar, la puissante Industrie Argentine de l’Acier (6). Il transportait au lycée sa fille de 17 ans et l’une de ses amies, quand quatre jeunes descendirent d’un véhicule et déchargèrent leurs armes sur lui. Il reçut 10 balles et l’une d’elle blessa la jeune Inés à la jambe. Neuf autres enfants reçurent à la maison la nouvelle selon laquelle ils avaient perdu leur père. C’était le 4 juin 1975

De profonde religiosité, il confiait sa sécurité à la Divine Providence, bien que des risques d’attentats n’étaient pas écartés en ce que le concernait à une époque d’impunité du terrorisme. De fait son assassinat revendiqué par les « Montoneros » (7) n’arriva jamais jusqu’aux tribunaux. « Si un jour il m’arrive de mourir de mort violente, je prierai Dieu pour que je pardonne aux assassins », disait-il.

Amelong n’était pas un homme de pensée comme Sacheri ou Genta, mais un chef d’entreprise, mais néanmoins pas moins engagé dans le militantisme catholique. Comme eux il s’avouait thomiste : « Mais il me manque encore beaucoup à savoir», admettait-il avec humilité. Il fonda l’Action Catholique à Rosario (ndt 3ème ville d’Argentine) et fut l’un de ses dirigeants à Villa Constitución (ndt ville à l’embouchure du fleuve Paraná qui se jette dans le Río de la Plata, environ 50 000 hts), et finança la construction de plusieurs églises. Il s’engagea tellement pour l’Église que malgré sa position sociale élevée il vécut toujours modestement et seulement peu de jours avant sa mort, à 53 ans, il put proclamer victorieusement à sa femme : « Nous avons terminé de payer toutes nos dettes ».

Son épouse rappela sa religiosité après l’assassinat: « Raúl a commencé à l’époque de nos fiançailles à approfondir ma foi et à remplir les trous qu’il y avait dans ma pratique religieuse ». Un fruit de cette dévotion : trois vocations qui ont surgi entre ses enfants : un prêtre et deux religieuses.

L’Église argentine a eu d’autres martyrs du terrorisme marxiste en ces années-là, mais ces trois-ci valent comme exemple, sur tout parce que le magistère intellectuel des deux premiers est resté vivant (7).

     

Notes de traduction (Carlota)

1.- Juan Perón (1895-1974), officier de l’armée de terre, il fut président de la République d’Argentine de 1946 à 1955, puis de 1973 à 1974. Veuf d’Aurelia Tizón en 1398, puis d’Eva Duarte (Evita Perón la « madonne des sans-chemises ») en 1952, c’est sa troisième épouse Isabel Martínez (née en 1931) qui, après sa mort, lui succédera en 1974, devenant la première femme président de la République d’Argentine. La vie politique de Juan Perón résume la complexité de l’histoire de l’Argentine du XXème siècle, entre coups d’état militaire (dont celui de 1943 - déjà comme colonel à la fin des années 1930, Perón avait montré sa détermination à jouer un rôle politique), des préoccupations pour lutter contre la pauvreté sur fond de crises sociales et économiques à répétition. D’abord plutôt inspiré par la doctrine sociale de l’Église Juan Perón va évoluer vers un populisme emblématique. Il connaîtra en 1955 l’exil puis un retour triomphal (1973) mais sera dans l’incapacité de gérer une situation pré-insurrectionnelle (guérilla communiste et répression étatique) dont héritera sa troisième épouse Isabel Perón. Les juntes militaires s’y essaieront à leur tour à partir de 1976.

2.- Je ne trouve rien en français sur Internet concernant ce penseur catholique. Quelques info ici en espagnol .

3.- Jordán Bruno Genta était le fils de Carlos Luis Genta (anarchiste, athée et anticlérical) et de Carolina Coli. Il aurait reçu les prenoms de Jordán Bruno en hommage à Giordano Bruno, un moine italien accusé d’hérésie qui aurait été condamné à mort par l’Inquisition en 1600. Je n’ai pas le dossier du procès sous les yeux et les causes et conséquences exactes de cette affaire.

4.- Parti nationaliste [catholique] en « opposition » à celui de Juan Péron dit « justicialiste ». Il ne faut pas, bien évidemment trouver dans le terme « nationaliste » argentin des connotations ou faire des amalgames avec ce que ce mot peut véhiculer en Europe et en France en particulier. C’est plutôt le parti justicialiste de Perón que l’on pourrait dire populiste et nationaliste… Pensons, sans que cela tout à fait transposable, aux Républicains et aux Démocrates nord-américains : ce sont les Démocrates qui sont les plus « populistes » et utilisent des mesures coercitives à des fins présentés comme sociales, tandis que les Républicains prônent au contraire une plus grande liberté individuelle d’entreprise pour un meilleur enrichissement global de tous (grandes idées, les faits n’étant pas forcément à la hauteur des orientations initiales).
Le parti nationaliste [catholique] argentin pourrait se rapprocher de la démocratie chrétienne dans un contexte de recherche d’une indépendance plus marqué du pays. Il faut se rappeler que l’Amérique latine n’est pas l’ « Europe » rêvée par certains politiciens après l’épreuve des deux Guerres Mondiales (sorte de guerre civile entre Européens). L’indépendance c’est aussi par rapport à tout ce qui n’est pas argentin et le refus de toute vassalité à l’étranger notamment de la part du « grand frère » protestant et marchand du Nord.

5. – Quelques autres œuvres politiques de Jordán Bruno Genta (non traduites en français)
Guerre contre-révolutionnaire (1964)
Edition critique du «Manifeste communiste» (1969)
Testament politique (édité en 1984)

6.- Sans faire de complotisme et même si l’instabilité politique était considérée comme presque naturelle en Amérique latine, tant qu’elle était assez loin de l’Amérique du Nord et qu’elle avait pour conséquence, d’affaiblir certains concurrents (Penser au niveau de l’Argentine ou même son voisin de la rive gauche du Río de la Plata, l’Uruguay, surnommé la Suisse de l’Amérique du Sud vers 1950 ; penser aux réserves pétrolières mexicaines puis vénézuéliennes exploités à bon compte par les EU et leurs nationalisations et dénationalisations, etc.) elle n’était peut-être pas si combattue que cela. Se rappeler que les EU n’ont pas cessé de faire et défaire les gouvernements de l’Amérique latine depuis les différentes « indépendances » survenues tout au cours du XIXème. Par ailleurs quand on voit le cynisme (marchand) de la politique nord-américaine actuelle (et de ses bras « armées » y compris onusiens) dans certaines zones du monde, il convient de nuancer parfois certains jugements.

7.- « Montoneros », ce terme qui renvoie à l’idée de « tas », de « regroupement », correspondait, au XIXème siècle, à des groupes d’hommes armés sécessionnistes qui parcourraient à cheval le pays pour combattre les Espagnols loyalistes et les armées royales espagnoles. Les « montoneros » au XXème siècle ont désigné des mouvements radicaux qui vont progressivement évoluer vers la gauche puis la gauche armée révolutionnaire chéguévariste matinée de théologie de la libération. Les « montoneros » furent partisans de Juan Perón à l’époque de sa première accession au pouvoir. Il les fera interdire lors de son retour en 1973. Un exemple de la complexité de l’histoire argentine qui rend d’autant plus facile à la médiacratie actuelle l’utilisation de mêmes faits à charge ou à décharge.

8.- Ici le très utile site (argentin) du CELTYV (centre des études légales sur le terrorisme et ses victimes) sur les victimes du terrorisme (en espagnol avec parfois une version anglaise) : www.victimasdeargentina.com