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Pape et journaliste

Le témoignage très intéressant du correspondant de l'AFP (9/8/2013)

Marie-Christine me transmet le lien vers cet article de Jean-Louis de La Vaissière, correspondant de l'AFP à Rome.
Un témoignage très intéressant, et plutôt équilibré dans son rappel de Benoît XVI, où le journaliste "décrypte" (un mot que je n'aime pas, mais qui convient bien ici) les gestes du Pape François de retour du Brésil, et l'ambiance dans les 'Palais Sacré' et dans la salle de presse depuis le 13 mars dernier.
Il parle de "décrispation", sous-entendant que sous Benoît XVI, il y avait "crispation" (mais on sait que c'étaient les affaires et les rumeurs qui en étaient à l'origine et qu'aucun de ces problèmes n'a disparu, ils ont seulement été mis en sourdine). Mais il ne cache pas les tensions (de plus en plus visibles, pour ceux qui par exemple lisent Sandro Magister et Andrea Tornielli) apparues à la salle de presse entre ses confrères italiens - des tensions que je n'avais pas perçues sous Benoît XVI - ni les doutes, chez certains prélats.
Il ne cède donc pas à la françoismania, sans pour autant être critique. Sa condition de français, donc d'"étranger" explique peut-être son regard distancié. C'est du moins ainsi que je perçois son article.
Texte complet et nombreuses photos ici: blogs.afp.com/makingof

     

Pape et journalistes: l'abattement d'une frontière invisible
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8 août 2013 – Il n'a certes pas le charme médiatique de Karol Wojtyla, pas non plus la réserve douce et éthérée de Joseph Ratzinger. Il est davantage un homme modeste et simple, qui semble parfois négliger le fait qu'il est pape. Un homme qui parle naturellement, qui s'interroge devant ses interlocuteurs. Cette parole directe, les journalistes ont pu l'expérimenter fin juillet dans l'avion qui ramenait le pape François de Rio à Rome après une visite où il a su conquérir le cœur de millions de Brésiliens et de jeunes catholiques.
A leur grande surprise, à l'issue de ce voyage épuisant, François a consacré aux journalistes une heure et quart de son temps. Pas de questions envoyées à l'avance. Seul le père Federico Lombardi, son porte-parole, jésuite comme lui, était à ses côtés. Un dialogue sans filet. Et le pape ne s'est jamais pris dans ses mailles. Debout, les mains posées sur l'appui-tête de la première rangée, l'œil parfois pétillant, souvent grave, il a dialogué, regardant chaque interlocuteur dans les yeux. Il est resté droit comme un I au milieu des turbulences. A la fin de ce long exercice, après avoir parlé sereinement de tout, et notamment du thème particulièrement délicat des prêtres homosexuels dans l'Eglise, il a été applaudi par les journalistes, croyants et non croyants.
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C'était la première conférence de presse depuis que Jorge Mario Bergoglio a été élu pape le 13 mars dernier. Un mode de contact complètement nouveau. A l'aller vers Rio, chacun avait pu se présenter à lui, lui parler. «Priez pour moi», avait-il répondu à chaque journaliste. Il avait tutoyé plusieurs d'entre eux qu'il connaissait personnellement, à Buenos Aires. Au retour, il est même revenu à l'arrière de l'avion avant l'atterrissage sur l'aéroport italien de Ciampino. Il semblait avoir bien dormi. Il a salué une dernière fois les journalistes.
Tout cela, jamais Benoît XVI ne l'avait fait, même s'il n'était pas un homme froid mais réservé. Tout était programmé. Le pape allemand répondait à des questions dont il avait reçu les textes à l'avance. Il s'exprimait avec une grande classe mais ne se hasardait pas à engager un dialogue. Il était aussi entouré de son secrétaire d'Etat, de son substitut, de son secrétaire particulier. Autant de calottes rouges et violettes à ses côtés, qui semblaient veiller sur lui, l'encadrer. Avec François, seul un homme en blanc faisait face aux micros et aux caméras.
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Pourquoi s'est-il alors livré de si bonne grâce à soixante-dix journalistes? Je ne pense pas que le pape argentin se soit mis subitement à aimer les conférences de presse.
Sauf dans le contact avec la foule, il a un tempérament plutôt timide, il se méfie peut-être effectivement des médias, il n'aime pas entrer dans les polémiques. Son esprit jésuite lui a appris l'habilité dans le débat mais aussi une certaine réserve. Mais il a dû se dire que ces journalistes vaticanistes qui l'avaient suivi pendant une semaine méritaient un effort de sa part. Et que le prix exorbitant qu'ils avaient dû acquitter pour être dans l'avion valait bien ce sacrifice. Sans doute a-t-il été informé d'une certaine amertume des médias, et il a décidé au dernier moment de se présenter devant eux. Cela aussi, cette adaptabilité, est un facteur nouveau.
Il savait sans doute qu'il devait bien y passer un jour ou l'autre. Pour s'imposer auprès d'eux, se faire mieux connaître une fois pour toutes, dissiper des ambiguïtés, rappeler qu'il n'entend pas être une star mais un simple messager. Et faire passer ce message d'une Eglise miséricordieuse. Il y a plutôt bien réussi.
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Croire qu'il y aura régulièrement d'autres conférences de presse, aussi riches d'enseignements de toutes sortes, et qu'il sera possible de rencontrer le pape quand on veut au Vatican est une illusion.
Le plus petit Etat du monde n'est pas devenu plus transparent, ni les couloirs décorés de fresques plus courts pour arriver à la bibliothèque où le pape reçoit ses hôtes. A la résidence Sainte-Marthe où il réside, on ne peut non plus accéder librement. Des gendarmes et des gardes suisses sont de faction.
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Ce qui a changé au Vatican, c'est l'ambiance. Il y a comme une décrispation, c'est aussi un effet d'image générale : l'image étant meilleure, les choses sont vues autrement, de manière moins caricaturale qu'avant. Le porte-parole Lombardi s'est lui-même détendu. Il n'hésite pas à plaisanter dans les briefings sur les gestes imprévus du pape ou son caractère infatigable. Il a droit par moment à des applaudissements.
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Certains cardinaux qui sont proches de François, comme le Hondurien Oscar Andres Rodriguez Maradiaga, semblent visiblement heureux de ce nouveau chef. Mais d'autres semblent avoir plus de mal à se positionner.
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Certains au Vatican reprochent sotto voce au nouveau pape de ne pas maintenir assez de distance, de parler peut-être un peu trop, d'être trop miséricordieux, d'enfoncer des portes ouvertes; certains ajoutent que sa parole ne vaut pas théologiquement celle de son prédécesseur. Cela se lit entre les lignes, entre les lèvres, comme un petit regret, une petite nostalgie, l'expression d'un léger malaise. Même si François ne cesse de se référer à Benoît.

Le débat entre ses nombreux partisans et ceux qui ne sont pas enthousiastes se répercutent à la salle de presse, entre vaticanistes,
dans des débats animés et toniques. Il y a ceux qui sont inconditionnels du nouveau venu, qui voient une «révolution» en cours dans l'Eglise ou qui jugent simplement que ce pape, tout à fait dans la ligne de ses prédécesseurs pour la doctrine, sait rapprocher la papauté des fidèles. Et il y a ceux qui ne l'aiment pas, qui voient une entreprise de désacralisation, de «protestantisation» de l'Eglise en marche. Ces derniers lui reprochent d'être descendu de son piédestal, de parler de choses incongrues, voire de trahir l'Eglise. Ils se demandent –et on peut parfois se le demander avec eux de manière ironique et paradoxale– si cet homme qui professe son amour absolu pour l'Eglise ne serait pas en même temps un peu… anticlérical!