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Quatre mains et un seul guide

Vittorio Messori: que nous enseigne l'encyclique (16/6/2013)

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Quatre mains et un seul guide.
Ce que nous enseigne l'encyclique

Vittorio Messori
Il Corriere della sera
15 juin 2013
(Raffa)
Ma traduction
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Les porte-parole du Vatican avaient cherché à aplanir la réalité, ils avaient parlé d'un document dont Benoît XVI aurait esquissé certaines parties, et que François aurait repris et complété; ils parlaient d'une piste du Pape émérite, que le Pape régnant aurait développé en personne.
Au contraire, ce sera vraiment une encyclique «à quatre mains»: c’est textuellement, l'annonce franche de Bergoglio en une occasion officielle, le discours à la Secrétairerie générale du Synode des évêques. Donc, voilà une autre «première fois» du Pontife argentin: un document doctrinal de première importance, et même sur la foi - c'est-à-dire sur la base même de l'Eglise - voulu, pensé, et en grande partie écrit par un Pape, et signé par un autre. Un autre qui a annoncé par la même occasion qu'il ne manquera pas de dire aux destinataires de la lettre circulaire à la chrétienté (tel est le sens d'une encyclique) avoir «reçu de Benoît XVI un grand travail, et de l'avoir partagé, le trouvant un texte fort».
Certes, chaque pape, dans les documents de sa signature, a toujours cité ses prédécesseurs: mais en note, comme source, et certainement pas comme co-auteur. Et même, il vient tout de suite à l'esprit - avec un peu d'ironie amère - que dans le cas de la renonciation au pontificat de Célestin V, son successeur Boniface VIII le fit incarcérer dans un lieu caché par peur d'un schisme, puis traquer quand il fuit.
Mais cherchons à comprendre comment l'on est arrivé à cette situation inédite. La préoccupation primaire de Joseph Ratzinger - comme chercheur, puis comme cardinal, et enfin comme Pape - a toujours été de retourner aux fondements, de retrouver les bases du christianisme, de reproposer une apologétique adaptée à l'homme contemporain.

Pour cela, il avait projeté une trilogie sur les vertus majeures, celles dites «théologales»: ainsi, il y eut une encyclique sur la charité, et une sur l'espérance. Restait celle sur la foi, qu'il comptait publier avant l'automne 2013, c'est-à-dire au terme de l'année qu'il avait voulu dédier justement à la redécouverte des raisons pour croire en l'Evangile. Le travail était déjà avancé, quand il a dû constaté que l'avancement des années ne lui permettait plus de porter sur ses épaules le poids du Pontificat.

Peut-être - libéré des engagements d'évêque de Rome - ses forces auraient-elles suffi pour conclure le texte et le publier, le «déclassant» d'encyclique pontificale à oeuvre de simple spécialiste, comme il l'a déjà fait pour les trois volumes consacrés à l'historicité de Jésus. Volumes qui n'ont pas de valeur magistérielle, mais qui sont ouverts au débat des experts. Il est probable qu'il s'est consulté à ce sujet avec François, et il est tout aussi probable que ce soit ce dernier qui a assumé bien volontiers la tâche d'utiliser le travail déjà accompli, le portant à son terme, et le signant de son nom.

Dans certains milieux ecclésiaux, on est déconcerté: l'idée d'un document papal de cette importance et sur un thème si décisif, rédigé ensemble, laisse perplexe. A nous au contraire, pour ce que vaut notre avis, la chose plaît, la nouveauté nous semble précieuse parce qu'elle pourrait aider à retrouver une perspective que même certains croyants semblent avoir perdu. Cette perspective de foi selon laquelle ce qui importe n'est pas le Pape en tant que personne, donc avec un nom, une histoire, une culture, une nationalité, un caractère. Ce qui importe, c'est la papauté , l'institution voulue pr le Christ lui-même, avec une tâche: celle de conduire le troupeau, en bons pasteurs, dans les tempêtes de l'histoire, sans dévier du juste parcours.
Le Pape (évidemment toujours pour les yeux du croyant) existe pour qu'il soit maître de foi et de morale, mais en ne disant pas des choses venant de lui, mais plutôt en aidant à comprendre la volonté divine, en annonçant la vie éternelle qui attend chacun au terme du chemin terrestre, veillant à ce que l'on ne tombe pas dans le précipice de l'erreur.
Et pour cela lui est assurée l'assistance du Saint-Esprit, qui l'empêche de perdre lui-même la route. Dans son enseignement, le Pontife romain n'est pas un «auteur» dont on apprécie la qualité: et même, il trahirait son rôle s'il disait des choses fascinantes, mais hors de la ligne indiquée par l'Ecriture et la Tradition. A lui n'est pas concédé le «selon moi», qui est en revanche le propre de l'hérésie.
Simplifiant à l'extrême, on pourrait dire que «un Pape vaut l'autre», dans la mesure où en fin de compte, ce qui compte, ce n'est pas sa personnalité, mais sa docilité et sa fidélité comme instrument de l'annonce évangélique. L'anecdotique sur les Pontifes, sur leur vie quotidienne, peut être intéressant, mais il n'influe pas sur leur mission.
Ce qui importe vraiment, disions-nous, c'est la papauté comme institution pérenne jusqu'à la Parousie, jusqu'à la fin de l'histoire et au retour du Christ: institution qui pour le catholique n'est pas un poids à supporter, mais un don dont il faut être reconnaissant. Que le pontife du moment nous soit ou non «sympathique» à vue humaine, que nous aimions ou non son caractère et son style, Joseph Ratzinger et Jorge Bergoglio ont, comme chaque homme, de grandes diversités entre eux, mais ils ne peuvent diverger (et veille le Ciel à ce que cela n'arrive pas!) quand ils parlent du Christ et de son enseignement en maître de la foi et de la morale. En tant qu'instruments - «simple et obéissant travailleur dans la vigne du Seigneur» dit de lui-même Joseph Ratzinger dans son premier discours - ils sont en quelque sorte interchangeables.
Ils peuvent approfondir le sens de l'Evangile, aider à mieux le comprendre pour leur temps, mais toujours sous le signe de l'Ecriture et de la tradition: il ne leur est pas permis d'être «créatifs». Ils ne sont pas des «écrivains» mais des guides, guidés à leur tour par un Autre.
Justement pour cette raison, elle ne nous déplaît pas du tout, et même elle nous semble précieuse l'occasion offerte aujourd'hui par un de ceux que que Hegel appellerait «les bons tours de l'histoire»: avec un document qui réannonce la foi, c'est-à-dire la base de tout, un Pontife émérite et un régnant montrent que les hommes sont différents, mais que la perspective de celui qui est appelé à conduire la Catholique est égale, la direction est la même. Et égaux, au fond, sont aussi les mots pour reproposer le pari sur la vérité du christianisme.
Donc, aucun scandale pour les «quatre mains».