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Un Pape à Sainte Marthe

José Luis Restan s'agace lui aussi des constructions médiatiques autour des débuts du Pontificat de François, mais il cherche à "positiver". Traduction de Carlota (5/4/2013)

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Image ci-contre: la maison Sainte-Marthe. Lire l'article de Tornielli (vaticaninsider.lastampa.it/).

     

Après la mise à niveau du message de l’Église catholique (qu’il ne soit surtout pas différent des autres) va-t-on maintenant passer à la « vente » d’un produit grand public ? Le Pape François et nous ! J’ai parfois l’impression en ce moment que le nouveau pape a été pris dans les rets d’une dérive de ce genre. On ne se contente plus de déformer son image, on en propose une fabriquée selon des critères bien définis. José Luis Restán revient encore sur le sujet, preuve que nous sommes nombreux à nous interroger, voire nous en irriter.
(Carlota)

     

Un Pape à Sainte Marthe
José Luis Restán
04/04/2013
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Dans "Les Souliers de Saint-Pierre" (ndt: il en est question ici http://benoit-et-moi.fr/ete2011), le roman de Morris West qui annonçait l’élection d’un pape venu du Goulag soviétique, il y a une scène qui m’est revenue en mémoire quand ces jours-ci j’ai observé, perplexe, les diatribes autour de quelques gestes du Pape François. Cyril Lakota (ndt: le héros du roman) déjà vêtu de blanc, parle aux cardinaux qui l’ont élu tout en se caressant la barbe, traditionnelle parmi les prêtres de rite oriental. Il sait que son aspect a réveillé des soupçons, bien que l’iconographie ait toujours montré les apôtres avec la barbe, et il dit alors à ses frères que cette réticence pourrait se résoudre avec un rasoir. West conclut la scène en disant qu’alors ils rirent tous et l’aimèrent.

La barbe de Lakota, on pourrait la remplacer par les souliers noirs, l’absence de mozette rouge, la croix d’argent ou la résidence à Sainte Marthe, des aspects qui correspondent tous à la biographie du pape Bergoglio, à son tempérament et à son éducation ascétique.
Et sûrement aussi (pourquoi pas ?) au désir d’envoyer le message que le pontificat se dépouille de superflus, se fait plus essentiel dans son expression. En fin de compte, les habits des papes ont subi des changements et des adaptations continues qui n’ont pas fait s’ébranler le siège romain. Si nous regardions les derniers cinquante ans nous voyons que ce « dépouillement » a été bien plus une constante qu’une anomalie. Ont été abandonnées ces très longues capes (*) que traînait le Pontife par ses appartements du Vatican, la sedia gestatoria a été mise de côté, on avait gardé la tiare… et s’il restait encore son empreinte sur les armes de Jean-Paul II, Benoît XVI l'a fait disparaître en lui substituant une simple mitre d’évêque (**).
Personnellement je pense que tout ce qui signifie dépouiller l’expression de la papauté des adhérences au pouvoir temporel tout au long de l’histoire va dans la bonne direction. Et c’est ce que pensait résolument le Pape Ratzinger (***).
Je ne connais pas le sort réservé à la mozette rouge (et la blanche durant le temps pascal), et il m’a paru toujours adéquat que les papes que j’ai connus l’endossent; mais j’accepte aussi sans convulsions que le Pape François préfère ne pas la porter.

Et maintenant parlons de Sainte Marthe.
Je ne perdrais pas de temps à tout cela si je ne voyais pas dans mon entourage se lever d’un côté, la légende creuse d’un pontificat qui finalement serait évangélique (ce que font des chaussures et une chambre), et d’un autre côté, la réticence qui a tourné à l’irritation et même au scandale pour ces « gestes ». Et voilà maintenant des compilations de légendes urbaines ou d’expression d’ignorance pure, comme de dire « enfin le pape se laisse toucher par les gens » ou « pour la première fois il célèbre une Messe dans une prison » ou qu’il a réalisé une geste d’une humilité retentissante en commençant les offices du Vendredi Saint étendu, face contre terre. C’est que la stupidité (parfois aussi la malice) ne connaît pas de limites.

Et maintenant Sainte Marthe. Les papes non plus n’ont pas eu qu’un seul appartement tout au long de l’histoire. La meilleure solution a été trouvée en l’adaptant aux besoins de leur ministère, aux tempéraments et aux circonstances historiques. Nous savons que Bergoglio préférait vivre dans un appartement plutôt que d’occuper le palais archiépiscopal de Buenos Aires. Et nous savons qu’il aime le contact en tête à tête, et même se sentir porté par cette « odeur de la brebis » qui est le parfum qu’il recommande pour ses curés. Sur ce point le témoignage offert dans la revue « Huellas » par le prêtre milanais Mario Peretti, installé en Argentine depuis 1993 est très intéressant: « Ce n’est pas que Bergoglio aime la pauvreté : il aime le Christ et pour cela il n’a besoin de rien (***). C’est une position de foi, non de paupérisme. Et de fait il vit la vie simplement, sans ostentations, sans faire d’elle une bannière idéologique. Jamais je ne l’ai entendu polémiquer contre l’ « Église riche ». Pour lui c’est une question de plénitude de vie ».

Donc pour l’instant il préfère continue à occuper une vaste chambre avec un bureau dans la maison Sainte Marthe, ce qui lui permet d’avoir un accès plus direct avec les gens qui vivent et travaillent à l’intérieur des murs du Vatican. On nous signale que c’est temporaire, pendant ce temps il voit comment cela fonctionne. Peut-être que le pape François craint un excès d’isolement : il veut palper, entendre et jusqu’à sentir ce qui se passe autour de lui. Quel danger y a-t-il à essayer cette forme, si contingente, si changeante, et qui ne compromet en rien la substance du pontificat… ?

Je n’ai pas besoin d’expliquer ce que je pense de la vie de Joseph Ratzinger (« trop pur, trop bon, trop saint » disait un collègue dans le « Die Welt » : ndt cf. benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/trop-pur-trop-innocent-trop-saint).
Quand le pape François lui a rendu visite il lui a dit fondamentalement un mot « merci pour votre humilité ». Et il est celui qui est encore l’un des grands maîtres de la chrétienté, il s’est distingué par cette pureté évangélique que nous pouvons simplement appeler humilité. Benoît XVI a choisi sa forme, ses gestes, jusqu’à sa propre esthétique. C’était un fils de la Bavière baroque… et elle m’enchante ! Maintenant, presque du bout du monde, est arrivé François, avec son coup de Buenos Ayires et ses arômes du Nouveau Monde. Il a son propre style et comme le pape Cyril, de Morris West il a le droit de le montrer.

Elles me paraissent pathétiques et vides, ces constructions virtuelles que font certains médias, d’un pontificat supposé pauvre et spirituel , «à la Joachim de Flore» (ndt: voir ici) qu’ils essaient d’opposer à celui des prédécesseurs de François. Curieux que ceux qui maintenant acclament les bains de foule de François ont accusé le pape Wojtyla de frivolité et de césarisme, et les braves gens qui l’acclamaient de « papolâtrie ». Les hémérothèques existent, heureusement.
Mais je suis aussi étonné par cette espèce d’acide seriné avec lequel certains reçoivent ces gestes qu'i faudra de toutes façons lire insérés dans l’ensemble du magistère, de la prédication et de la direction du nouveau pape.
Mon Dieu, trois semaines à peine se sont écoulées et il semble que c’est un monde qui est passé ! Laissons-le marcher, laissons-le développer son gouvernement. Assistons pleins de gratitude à cette histoire qui est comme un grand fleuve, ou comme un arbre qui change d’aspect tout en restant le même, parce c’est l’Esprit Saint qui gouverne au moyen des hommes qu’il choisit. S’il n’en était pas ainsi, il se serait desséché depuis longtemps.

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(*) Une grande cape : sans parler du Pape, je rappellerai cette « triste anecdote » très significative, concernant Mgr Burke qui fait pourtant un excellent travail d’évangélisation, en soutenant notamment les séminaires qui recrutent et qui n’ont parfois même pas assez de logement pour accueillir tous les postulants
Voir www.lemonde.fr/ et aussi Riposte Catholique.
La question demeure « à qui profite le crime ? ».

(**) Heureusement nos belles bouteilles de Châteauneuf du Pape l’ont « pieusement » conservée, armoriées dans le verre même.

(***) Ce dépouillement je le comprends dans le rendre à César, et à Dieu, et pas dans le transformer le Pape en mendiant en l’empêchant de facto d’exercer son rôle de guide et en le rendant trop vulnérable par rapport aux puissants. Se rappeler l’histoire notamment l’affaire des cartes bancaires non utilisables dans l’État du Vatican…Le timonier de l’Église sans en être et néanmoins dans le monde. Il faut dans chaque chose terrestre mesure garder, si la foi et l’amour, par contre, ne se comptent pas.

(***) Comme son prédécesseur même en se refusant de comparer. C’est pour cela que cette « scénarisation » par les médias horripile vraiment. Et pendant ce temps l’on ne parle pas des choses bien plus essentielles.